Выбрать главу

Au bout d’un moment, Virginie déclare qu’il est temps pour elle de regagner Paris. J’annonce que je vais prendre congé itou, mais Monica Mikaël m’assure que j’ai bien le temps, et elle fait la bibise à Virginie. Je me dis que si le Vioque pouvait me voir, il serait content de San-Antonio.

Un record, non ? Ça fait quatre ou cinq plombes que j’ai débarqué à Moisson et me voici déjà seul avec la dame à « traiter ».

Monica revient, un sourire équivoque sur ses lèvres craquelées. Vous reprendrez bien un autre verre ?

— Je ne sais si…

— Mais si, mais si ! insiste-t-elle de sa belle voix grave à la Marlène Dietrich.

Re-scotch, donc. On parle de la pluie et du Bottin. Depuis le départ de la jeune blonde, l’atmosphère s’est tendue comme la main d’un mendiant à la sortie de la grand-messe (ou comme celle d’un curé pendant). Nous sommes gênés comme deux petits jeunes gens qu’on a laissés seuls à la maison. Si c’était la gosse Virginie au moins qu’on m’ait donné l’ordre d’escalader ! Mais non : il faut que ça tombe sur la bisaïeule ! C’est bien ma veine. Enfin, quand on a une corvée à accomplir, le mieux n’est-il pas de s’en débarrasser au plus tôt ?

— Puisque vous êtes seule, susurré-je, pourquoi ne viendriez-vous pas dîner avec moi à l’auberge ?

— C’est proposé si gentiment ! se pâme la Mémé.

Nous voilà donc partis. Je préfère l’embarquer à l’auberge du village plutôt qu’à l’Elysée Club, croyez-moi ! La taulière ouvre des coquards façon hublot en nous voyant. Elle fait tout un tas de salamalecs à Monica qui est considérée ici comme une espèce de petite châtelaine. Tout en tortorant la blanquette à l’ancienne (tout à fait de circonstance) de la patronne, Monica me fait son œil de plâtre number one. Je sens ses nougats sous la table : frôleurs qu’ils sont. Voraces ! Envahissants ! Implacables. Je ne sais plus où me mettre ni comment me tenir. Les choses vont plus vite que je ne l’imaginais ! Et dire que le Vieux avait l’air de considérer cette mission comme un exploit ! J’ai envie de lui tuber pour lui demander de me mettre en congé de ma lady ! C’est trop, je n’en peux plus…

La frôleuse fait sa petite bouche. On dirait qu’elle va libérer un œuf. Mais non, il n’en sort que des mots. Bientôt il en sortira des maux ! Elle m’explique sa solitude, me raconte sa vie, ses rêves éculés (vous en êtes un autre). Elle était mariée à un biologiste dont les recherches étaient promises à un grand retentissement. Seulement c’est dans son laboratoire qu’il y a eu un grand retentissement puisqu’une explosion s’est produite et qu’il a été si fortement éprouvé par une éprouvette qu’il en est mort, le pauvre. Pour qui sait entendre entre les mots, le gars Mikaël c’était peut-être un grand chercheur dans son labo, mais pas au pageot. L’alambic l’accaparait trop. Tout ce qu’il distillait à sa bonne femme, c’était des formules.

Bref, elle a été négligée, Monica. Elle se dit que sa vie arrive sur la voie de garage et qu’elle n’a jamais connu le grand frisson, sauf l’hiver où il a fait si froid. N’avoir qu’une existence et la paumer, c’est navrant, non ?

Je m’enhardis à lui caresser la paluche par-dessus la table. J’ignore si elle me virgule des vannes, mais en tout cas ce léger contact lui fait de l’effet. Du regard elle en redemande. Si votre San-Antonio ne se met pas une armure et s’il prend pas la sage précaution d’en faire souder les bas-morceaux, il est bon pour passer à la casserole, mes loutes. Drôle de situation, non ? Je suis ici pour ça, et pourtant la réussite de mon boulot me donne envie de démissionner. Ah ! La nature humaine, c’est quelqu’un !

Le dîner expédié, je la raccompagne à la Sapinière. M’est avis que c’est maintenant que mon destin va s’accomplir. Je vois d’ici le programme : champagne frappé (c’est le brut qui mérite d’être le plus frappé) avec langues de chat. Et puis l’éclairage tamisé (t’as misé sur le bon numéro). Sûrement de la musique douce, pour la chose du vertige. Le rapprochement sur le canapé. La main baladeuse. Les « Vous n’êtes pas raisonnable ». Le premier baiser suivi de beaucoup d’autres, tous plus frémissants et passionnés les uns que les autres. Ce qu’il faut faire tout de même pour gagner sa vie ! Du train où ça usine, avec un entraînement pareil, je vais être bonnard pour ouvrir un clandé. Un clandé for ladies only. C’est toujours les julots qui vont se faire reluire en catiminette. Pourquoi pas les nanas après tout ? Les pauvrettes sont contraintes de commettre le péché d’adultère si elles sont maridas ou bien de se rabattre sur l’hévéa transformé pour se donner de l’extase quand elles ont, à la place d’époux. des rhumatismes déformants. C’est pas juste. Allons, les gars, un peu de tact. Qui est-ce qui s’associe avec moi pour lancer la maison aux dames ?

Quand on voit tous les minables qui se baguenaudent dans les rues, on comprend tout de suite qu’il y a une fortune à faire avec leurs dadames (et qui sait ? une bonne fortune peut-être, en supplément au pogrome, comme on dit à Tel-Aviv).

Nous entrons. Une douceur infinie règne dans le jardin aux pelouses bien tondues. La vioque va mettre la téloche. Paraît qu’il y a une émission fantastique sur les collectionneurs. A ne pas rater. Elle branche l’écran magique. On voit le sourire, la pipe et la dent en or de Pierre Sabbagh. Il est chez un monsieur à tronche de mulot déshydraté qui collectionne des pansements. Faut dire à sa décharge qu’il s’agit d’un ancien infirmier des hôpitaux de Paris. Paraît que sa collection est la plus belle d’Europe. Elle comporte des pièces uniques. Jugez-en plutôt : le bandage herniaire de Charlemagne, le suspensoir de Louis XIV, un sparadrap de Marcel Cerdan, une escalope ayant été utilisée pour Louison Bobet lors de son dernier Tour de France, un plâtre de Françoise Sagan, la bande Velpeau servant à bander la cheville de San-Antonio lorsqu’il subit la crampe de l’écrivain, de la charpie ramenée de Waterloo-Morne-Plaine (fin de section), une compresse ayant servi à Voltaire après qu’il eut reçu un coup de téléphone, le protège-dents de Joe Louis, une béquille à roulette (objet d’une extrême rareté), l’œillère en sèvres de Babylone que prenait Louis XV pour se rincer l’œil, un cataplasme de farine de lin qui guérit Victor Hugo d’un début de bronchite la fois où, à Guernesey, il avait oublié son jersey, et bien d’autres merveilles toutes aussi rarissimes. C’est très impressionnant. Et ça n’a pas de prix ! Le collectionneur explique qu’un magnat américain lui en a proposé dix dollars mais qu’il a refusé. Lui, c’est pour le Louvre qu’il travaille. Après lui, les musées nationaux hériteront de ces splendeurs. Tout ce qu’il souhaite, c’est la Légion d’honneur à titre posthume.

M. Sabbagh est terriblement ému. Ça se devine à la façon dont il se cramponne après sa pipe. Il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’il verse un pleur : une pincée de poivre moulu suffirait.

Bon, c’est pas tout. A San-A. d’enrichir sa collection, les gars ! Je pose ma dextre sur la sinistre épaule de la vioque. Elle frémit. Moi aussi. Elle c’est de plaisir, moi c’est d’horreur ! Heureusement que la pièce n’est éclairée que par la clarté blafarde et palpitante du téléviseur. Dans la pénombre l’imagination prend mieux son essor. Je pense fortement à Brigitte Bardot, Michèle Morgan, Sophia Lorren, Kim Novak (demandez Kim), Doris Day et quelques autres et, en fermant les yeux, je risque une galoche bulgare. Ça la flatte, Monica. Mais elle se dérobe.