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— Grand fou, chuchote-t-elle, comme vous êtes pressé ! Vous brûlez les étapes.

Je me dis que je la brûlerais bien elle aussi par la même occasion. Ça m’intéresserait de lui faire le coup du bonze bouddhiste. Je l’arroserais volontiers d’essence et comme je ne lésine pas, je lui paierais même du super et j’allumerais avec un Dupont.

Mais le devoir avant tout. Je renouvelle ma tentative. Elle se laisse embrasser puis, fermement, d’une voix plus rauque que celle de Marlène, elle supplie :

— Maintenant va-t’en, mon grand fou ; tu me plais trop. Je serais capable de te céder !

Vous voyez ce que c’est que la bonne éducation, mes fils ? Même dans les moments de grande tendresse on conserve la maîtrise de son vocabulaire.

— Pourquoi remettre à plus tard ? je rauquifie aussi.

— Laisse-moi me préparer à cette idée ! C’est tellement mouveau, tellement soudain… Reviens demain soir. Je t’aime déjà !

Et voilà le travail ! Il lui a fallu longtemps au San-A., hein, les filles ? Tout est dans la technique !

Je fais un baise-main style Jockey-Club à Monica et je prends congé.

De retour à l’hôtel je me hâte d’appeler le Dabe pour le mettre au courant de ma victoire. Je ne suis pas fâché de l’estomaquer un chouïa, le digne homme ! Il va piger que le sex-appeal de San-Antonio ça n’est pas une légende !

— Mission accomplie, patron, tonitrué-je.

J’avance un peu sur l’horaire, mais j’ai trop besoin de lui en cloquer plein les carreaux, au Tondu !

Il reste quatre secondes sans voix. Je m’apprête à répéter, pensant qu’il a les portugaises ensablées, lorsqu’il pousse une légère exclamation.

— Pas possible !

— Cela paraît vous étonner, patron ?

Un silence. Quelque chose ne doit pas carburer. Il toussote.

— Voulez-vous dire que vous êtes devenu l’amant de la dame ? répète-t-il en articulant.

— Et comment ! fais-je, non sans une certaine suffisance. Je peux même vous assurer que les choses ont été rondement menées.

— C’est ce que je vois, murmure le Boss. Eh bien, bravo, tous mes compliments.

Je me racle le gosier.

— Vous m’aviez annoncé que l’objet de ma mission me serait communiqué à ce moment-là, patron, je vous écoute…

— Il n’y a plus de mission, soupire le Daron, vous pouvez rentrer.

Du coup, j’en ai le grand zygomatique qui s’enroule après l’aorte.

— Comment cela, patron ? balbutié-je.

— C’est ainsi, coupe-t-il sèchement. Je vous remercie, San-Antonio, et j’espère que ça n’a pas été trop… heu… pénible. Bonne nuit.

Il raccroche. Je reste en tête à tête, ou plutôt, en joue à joue, avec le combiné. Un peu siphonné sur le pourtour, qu’il est, votre San-Antonio chéri, mes belles. A quoi tout cela rime-t-il ? Un léger remords me taraude. J’ai affirmé au Vioque que j’étais devenu l’amant de Monica, mais ce disant, j’ai quelque peu anticipé. Si l’on prend les choses à la lettre au cours de cet instant de folie vécu à la Sapinière sous les yeux bienveillants de Pierre Sabbagh, et devant sa pipe riche en émulation, je n’ai pas accompli la totalité de mon travail. Rendez-vous à l’évidence, les gars : votre San-Antonio, toujours un peu crâneur, en a remis, histoire d’épater le Tondu. Je raccroche et je gagne ma chambre. Le sommeil est long à venir. Je suis stupide de faire des crises à conscience professionnelle pour des choses aussi vénielles.

J’intime donc l’ordre à mon petit lutin impertinent de la boucler, et je m’abandonne pour changer dans les bras de Morphée.

CHAPITRE III

DANS LEQUEL JE JOUE LES EMPÊCHEURS D’ENTERRER EN ROND

Le lendemain, je me présente chez le Dabuche pour une mise au point. Mais le Tondu est à l’enterrement de la grand-tante du ministre des Contraventions-pour-stationnement-unilatéral-non-observé (l’un des plus actifs puisque détenant un portefeuille vaste comme les cales du France). La grand-tante du ministre se prénommait Léone et mesurait un mètre quatre-vingt-dix. Elle a longtemps défrayé la critique, et on peut même dire que, par instants, elle l’a effrayée. Elle est morte accidentellement, en s’asseyant par mégarde sur une bouteille de Perrier : l’occlusion intestinale, ça ne pardonne pas. Je trouve une note du Boss sur mon burlingue :

Prière partir d’urgence pour me représenter au Congrès international de Police à Godthaab, Groenland. Invitation et billet d’avion ci-joints. Cordialement.

Un peu laconique, mais péremptoire. Je me dis qu’un petit voyage me changera les idées et je rentre à la maison histoire d’y prendre un pull-over, vu que le Groenland n’est pas encore climatisé.

Voyage sans incident, Godthaab est une coquette cité de 92 habitants, célèbre par son stade pouvant contenir 112 000 spectateurs, par sa mosquée édifiée à l’intention des Arabes habitant la région, par ses plantations de freezers et par son équipe de hockey sur gazon. J’ai une chambre magnifique retenue à l’Iceberg-Palace, l’un des hôtels les plus confortables de la ville puisqu’il comporte l’eau froide à tous les étages et un skating par appartement. Des phoques dressés servent le petit déjeuner au lit et les couvertures sont tissées avec les laines du pingouin, c’est vous dire !

Le Congrès de la police a lieu au Palais de glace de Godthaab. Il est placé sous la haute présidence d’Heudebert Gervais, le chef de la délégation esquimaude, plus connu sous le surnom de Kim. Les mérites de ce grand policier ne sont plus à vanter. Chacun se souvient qu’il fut chef d’igloo pendant la guerre ; puis qu’il organisa la Résistance dans une centrale électrique. Il passa son bac à glace avant d’entrer dans la Brigade des Congélateurs. C’est alors qu’il écrivit le livre qui devait le rendre célèbre, « le Zéro absolu et l’infini », ouvrage qui connut un grand retentissement. Sous-secrétaire d’Etat aux Frigidaires, il fit geler les capitaux américains entreposés dans les caves de la B.G. (Banque Groenlandaise), abolit la taxe sur les marmites norvégiennes et contribua par son action au développement du tricot Rasurel. B est à la source du jumelage du Mont-Blanc avec le Groenland, ce qui donna lieu à des festivités qui sont encore dans toutes les mémoires. Chacun se souvient que le maréchal Juin y participa, ce qui fit fondre les bonshommes de neige jalonnant le parcours officiel.

Notre glorieux représentant offrit une glace biseautée à la femme du maire de Godthaab et reçut en échange une calotte glaciaire à glands.

Bref, sous l’impulsion d’un homme comme Kim, le Congrès se déroule dans un climat chaleureux.

Après quinze jours de délibérations, coupés de réceptions officielles, les congressistes votent une motion réaffirmant la nécessité de la police et décidant la création d’une gaine de velours à l’usage des matraques d’agent (gaine ne devant être utilisée que pour les défilés). Mais bien des points secondaires ont été abordés au cours de nos travaux. Ainsi, par exemple, le Congrès s’est penché sur l’emploi du dégivreur de sifflet (indispensable pour assurer la circulation pendant les hivers rigoureux), et sur la création de garde-fou destinés à protéger certains passages à tabac particulièrement dangereux. Nous avons également examiné nombre d’accessoires proposés par des chercheurs assidus, tels que l’appareil à masser la nuque (Belmondo’s speriment), la raie jaune volante pour jalonner les pistes, la gomme à effacer les erreurs judiciaires et bien d’autres merveilles du genre. Le bilan de nos travaux est positif et c’est d’un cœur léger que je retrouve Paris.