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Il fit lentement le tour de l’énorme coque qui l’abritait. Il vit un peu à l’écart, se dresser la petite nef qui lui était destinée. Mais il lui fallait traverser pour l’atteindre une zone de lumière, et passer entre deux rangées de navires, écrasants et silencieux, comme des monstres endormis.

Il se redressa et se lança en avant, fixant son ombre qui s’étalait en tache nette sur le sol, devant lui, qui le précédait et semblait lui montrer le chemin.

— Qui va là ? s’écria une voix.

Il ne s’arrêta pas, ne regarda pas en arrière. Il se contenta d’accélérer sa course.

— Qui va là ? répéta la voix moins assurée cette fois. Montrez-vous ou je donne l’alerte.

Algan essaya de localiser la voix, tout en courant. L’homme devait travailler à l’une des nefs qui bordaient ce chemin de lumière que devait parcourir Algan. Il ne pouvait manquer de l’apercevoir et, s’il n’avait pas été prévenu de fermer les yeux sur certaines allées et venues qui devaient avoir lieu cette nuit-là dans le port stellaire d’Ulcinor, c’en était fini de l’équipée d’Algan. Il ne croiserait jamais entre les étoiles.

Il réfléchit rapidement. Il s’engagea entre deux navires et abandonna résolument la piste éclairée. Il savait qu’il risquait en le faisant d’être décelé par le faisceau. Mais c’était une chance à courir. Il fit le tour d’un des navires, et cela dura plusieurs secondes qui lui parurent interminables, et le navire lui sembla aussi gros qu’une montagne, ce qui, du reste, était presque exact. Puis il passa dans l’ombre du navire suivant, dans la rangée, et revint vers la piste éclairée.

Il entendit les pas encore lointains se précipiter. L’homme ne craignait nullement d’être découvert. C’était bien un garde ou un technicien. Les machines de contrôle savaient qu’il devait se trouver dans le port et ne s’inquiétaient pas de sa présence. Et si c’était un garde, il était armé et entraîné à chasser l’homme.

Brusquement, Algan l’aperçut. Ou plutôt, il décela d’abord son ombre. Ce n’était qu’une tache minuscule, eu égard à la masse des navires qui l’entouraient. Mais elle accéléra les battements du cœur d’Algan. Il approcha lentement. Il savait qu’il ne parviendrait pas à atteindre son navire sans être repéré.

Il ne lui restait qu’une solution. Intérieurement, il la déplorait, mais il n’en voyait pas d’autre.

Il se coula dans l’obscurité au contact de la nef de métal. Puis il la heurta d’un doigt et cela résonna comme une note de musique dans l’air silencieux du port.

— Qui va là ? cria la voix en se dirigeant vers lui.

Ce devait être un technicien. Jamais un garde n’aurait commis l’erreur de signaler sa position en appelant à voix forte.

Algan se déplaça rapidement. Il frappa de nouveau la coque. Les vibrations sonores se transmettaient tout le long des tôles et il devait être presque impossible, même pour une oreille exercée, de déterminer avec précision, le point précis d’où elles venaient.

Puis il vit l’homme qui marchait vers lui, mais sans le voir, ébloui par la vive lumière, et qui hésitait encore à donner l’alarme. Il sortit brusquement de l’ombre, et l’homme eut un geste d’étonnement qui le perdit. C’était bien un technicien. Jamais, il n’avait été entraîné à combattre. Il ne pensa pas à donner l’alarme, mais à se défendre. Mais le poing d’Algan s’enfonça dans son estomac, et le tranchant de sa main s’abattit avec force sur la nuque du technicien, qui s’écroula sans bruit.

Algan le traîna dans l’ombre du navire. L’alarme pouvait être donnée dans une demi-minute.

Il se rua, sans regarder derrière lui, dans l’allée éclairée, bordée des géants de métal, massifs et assoupis. Il franchit la plaine lumineuse et déserte. Il gravit en courant le plan incliné qui reliait la porte de son navire au sol. Il se précipita dans la coursive sans plus s’inquiéter du bruit qu’il faisait. Il s’installa dans le fauteuil de pilotage.

Le navire était prêt. Ses générateurs ronronnaient doucement et tous les feux du tableau de bord étaient verts. Il pouvait prendre l’espace immédiatement.

Algan commença à appuyer sur les touches, méthodiquement. Les portes du navire se fermèrent. Puis des bandelettes métalliques jaillirent du fauteuil et enveloppèrent le corps d’Algan.

Le navire était équipé pour les courses rapides et certaines précautions étaient nécessaires.

« Adieu », murmura Algan en jetant un coup d’œil sur les écrans qui montraient le port stellaire.

Il pressa le bouton de départ. Il vit une microseconde plus tard des lumières s’allumer un peu partout dans le port. Il crut entendre le mugissement sinistre des sirènes. Puis une masse de plomb s’effondra sur lui, et, sur les écrans, les lumières du port se confondirent.

Il pouvait à peine bouger les bras, mais il parvint à plonger l’une de ses mains dans la grande poche de sa vareuse. Il caressa la surface polie de l’échiquier et sourit.

La longue quête venait de commencer. Mais pour le moment, il pouvait dormir. C’était aux innombrables mécanismes qui composaient son navire de travailler pour de longues semaines.

* * *

— Je vous souhaite un bon voyage, dit Nogaro.

Algan sursauta. Mais la voix enchaîna et il comprit qu’il ne s’agissait que d’un enregistrement.

— Je suppose, dit Nogaro, que tout s’est bien passé puisque vous êtes parvenu sans anicroche à prendre l’espace. J’espère que tout se passera aussi bien à l’avenir. Je voudrais maintenant vous donner quelques conseils quant à votre tâche future.

» Un avertissement, tout d’abord ; n’essayez pas de tromper Bételgeuse. Nous vous retrouverions à l’autre extrémité de la Galaxie si nous le désirions. Nous savons que vous êtes hostile au gouvernement central. Croyez bien que, si Bételgeuse vous a cependant envoyé accomplir cette étrange mission, c’est que nous sommes persuadés de pouvoir obtenir de vous ce que nous en attendons, même contre votre gré.

» Ne prenez pas ceci pour une manifestation d’hostilité. Bien au contraire. Bételgeuse a plus besoin de ses rebelles que de ses fidèles.

» Un conseil : lorsque vous atteindrez Glania, ne cherchez pas à vous poser sur le port stellaire. Vous seriez instantanément fait prisonnier, car votre signalement précédé de la mention « pirate » a dès maintenant été transmis à la totalité des stations de Bételgeuse. Nous ne pouvions pas l’éviter, sous peine de faire douter de notre sincérité. N’oubliez jamais que vous êtes un agent libre. Bételgeuse démentira toujours et de la façon la plus formelle tout ce que vous pourriez raconter de vos rapports avec le gouvernement central.

» Donc, posez-vous en un point quelconque de la planète, pas trop éloigné du port stellaire, et gagnez la ville qui entoure le port, à pied. Vous n’aurez aucun mal à franchir avec votre fusée les barrages de détection. Sur ces planètes lointaines, la surveillance est très lâche, et nous veillerons à ce qu’elle le soit davantage encore dans les mois à venir. Prenez contact avec l’homme dont nous vous avons parlé, mais ne lui dites pas qui vous envoie.

» Ensuite, eh bien, vous êtes libre. Nous essaierons de vous montrer, lorsque vous reviendrez, que la puissance de Bételgeuse n’est pas seulement négative. Et que ce monde nouveau qui se crée vaut tous les mondes passés.

» Nous vous faisons confiance.

» Et n’oubliez jamais, Jerg Algan, que je suis votre ami. Dites s’il en est besoin que je vous ai envoyé. Mon nom traîne un peu partout dans l’espace. Il peut vous aider.

» Au revoir, Algan.

Au revoir. Cela supposait toutes sortes de choses improbables. Cela supposait qu’Algan reviendrait de son voyage au bout de la Galaxie. Cela supposait que Nogaro serait toujours vivant lorsque Algan regagnerait Bételgeuse, malgré la distorsion du temps, malgré l’effrayant allongement des secondes passées dans l’espace, à la vitesse de la lumière.