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Il lança l’arme, qui rebondit de marche en marche pendant un bref instant. Puis des mains le palpèrent.

— C’est lui, dit une voix.

— Alors sonne-le.

Une ventouse se colla derrière son oreille droite. Le mince ruban de ciel et d’étoiles se mit à tournoyer et devint vert, tandis que les murs sombres s’éclaircissaient jusqu’à prendre une teinte gris perle.

— Bonne nuit, bredouilla-t-il, et il s’endormit.

* * *

Il dérivait au sein d’un nuage gris perle et se demandait ce qu’il faisait là. Il s’éveilla, chercha immédiatement son pistolet et ne le trouva pas. Puis il se rendit compte qu’il était nu et allongé sur une couchette dans une pièce aux murs blancs et sans fenêtre.

Il se redressa sur les coudes. La situation réclamait quelques éclaircissements. Algan se souvenait vaguement de s’être battu la veille, mais jamais, lorsque cela lui était arrivé auparavant, il ne s’était retrouvé dans une pièce semblable qui avait toutes les apparences d’une cellule.

Peut-être la police psychologique l’avait-elle ramassé. Il n’aimait pas cette idée. A moins qu’il n’ait été blessé et qu’on l’ait amené à l’hôpital du port pour le soigner. Peut-être avait-il fait une cure de sommeil. Il se sentait particulièrement en forme.

A bien réfléchir, la pièce ressemblait tout à fait à celles du port stellaire qu’il avait eu l’occasion de visiter. Elle ne présentait en elle-même rien d’inquiétant à ceci près qu’elle ne semblait pas comporter d’ouverture, ni porte, ni fenêtre, ni trappe dans le plafond. Il ne s’inquiéta pas outre mesure. Puisqu’on l’avait fait entrer, il trouverait bien un moyen de sortir. A plus d’un titre, le vol de ses vêtements se révélait bien plus ennuyeux. Mais était-ce réellement un vol ?

Il essaya de se rappeler ce qui lui était arrivé en dernier. Il se frotta machinalement le crâne derrière l’oreille droite et il se souvint brusquement qu’il avait pris un coup de sonneur. Cela même était plus inquiétant que la perte de ses vêtements. Seule la police possédait des sonneurs et dans l’ensemble, elle les gardait assez bien pour qu’une vulgaire bande de voleurs ne pût s’en procurer un. Il y avait gros à parier qu’il se trouvait présentement dans les mains de la Psycho.

L’ennui, avec ces murs nus, c’était qu’il était impossible de prévoir de quel côté ils allaient s’ouvrir. Algan espéra qu’on ne lui voulait pas le moindre mal, et se dit que s’ils avaient voulu le tuer, ils auraient pu le faire bien plus facilement lorsqu’il se trouvait dans le coma.

Il s’allongea de nouveau sur la couchette et attendit. Il manquait d’information pour préparer une fuite ou une défense quelconque. Et si la Psycho tenait à l’avoir, il y avait au moins cinq points sur lesquels elle pouvait le coincer sans qu’il eût seulement à ouvrir la bouche pour nier ou avouer.

Puis la paroi en face de lui s’éclaircit et devint transparente. Il dominait le port stellaire, et au fond, entre les hautes nefs tendues vers le ciel, tout au bout de l’immense plaine de ciment, marquant la frontière entre l’ordre de l’espace et le chaos de la ville, étincelaient les grandes portes de bronze.

Le mur, à sa droite, s’ouvrit comme une étoffe que l’on déchire.

— Levez-vous et suivez le couloir, dit une voix.

Il obéit. Le boyau étroit et faiblement éclairé se refermait derrière lui. C’était un sens unique.

Il arriva dans une petite pièce où l’obscurité était complète. Tandis qu’il essayait de s’orienter, quelque chose de tiède s’enroula autour de son bras. Il ne résista pas. Il sentit la douleur légère d’une piqûre. Puis une pluie douce tomba sur lui. La chaleur de rayonnements invisibles le sécha. Le mur s’ouvrit de nouveau devant lui et il s’engagea dans un couloir large et brillamment éclairé. Le couloir conduisait dans une petite pièce. Des vêtements étaient accrochés au mur. Algan vit qu’il s’agissait d’un uniforme de navigateur.

— Habillez-vous, dit la voix.

Il mit rapidement l’uniforme. Il n’avait pas ouvert une seule fois la bouche pour protester parce qu’il savait que c’était inutile.

Il se remit en marche dans un nouveau couloir. Il semblait que l’immeuble fût une espèce de bloc de pâte dans lequel se découpaient à volonté des vides. Puis les parois du boyau s’écartèrent brusquement, et il s’arrêta, clignant des yeux, suspendu au-dessus du vide, planant en pleine lumière du jour à trois hauteurs de fusée au-dessus du port.

Du moins, il le crut. Car en fait, il se trouvait dans une grande salle dont un mur entier était une immense fenêtre ouverte sur la vie mécanique du port. Ses yeux s’accoutumèrent à la lumière. Il regarda autour de lui. Un homme en blouse bleue était assis derrière un immense bureau blanc et semblait attendre.

— Bonjour, dit-il. Admirez le port autant qu’il vous plaira. Je suppose que c’est une excellente entrée en matière.

Algan ne répondit pas tout de suite. Il était réellement fasciné par le port et par les immenses nefs. Du reste, il ne savait que répondre. C’était la première fois qu’il pénétrait dans le port stellaire. D’habitude, les gens comme lui en étaient plutôt tenus à l’écart.

— Je suggère que nous ayons une petite conversation, dit-il doucement.

— Je suis heureux que vous le preniez ainsi, dit l’homme en bleu. Je suis obligé de raisonner tant de gens qui viennent ici pour la première fois que ma fonction en devient presque désagréable. Asseyez-vous, je vous en prie.

Algan s’installa dans un fauteuil blanc.

— Je vous écoute, dit-il.

L’homme en bleu eut l’air quelque peu embarrassé.

— Eh bien, je supposais que vous aviez quelques questions à poser.

— J’ai surtout faim, dit Algan.

Il n’était pas pressé de s’expliquer. Il savourait le fauteuil, le tapis aux dessins infiniment complexes, le splendide bureau blanc, et surtout le panorama du port stellaire.

— Comme vous voudrez, dit l’homme en bleu, pressant un bouton.

Il regarda Algan manger, sans parler. Lorsque Algan eut fini, il se leva et se tourna face à la baie.

— Comment vous nommez-vous ? demanda Algan, et qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre hospitalité ?

— Nous y venons tout de même, dit l’homme en bleu. Ses yeux gris et mobiles fouillaient le visage d’Algan. Mon nom est Tial, Jor Tial. Je pense que ça n’a pas grande importance pour vous. Vous semblez résigné à votre sort.

— Quel sort ? demanda Algan, froidement. Quoiqu’il s’efforçât de ne pas avoir l’air inquiet, il commençait à se sentir nerveux.

— Un bien beau sort, dit Tial, avec un grand geste qui englobait le bureau, le port et les fusées. La conquête de l’espace.

— Vous vous moquez de moi, dit Algan. Je ne quitterai jamais la Terre.

— Voyons, dit Tial, ne parlez pas ainsi. Vous avez signé, oui ou non ?

— Signé ? fit Algan.

Brusquement il comprit. Il avait été joué par un recruteur. Le gros Terrien de la veille l’avait soûlé pour lui extorquer une signature et, maintenant, il était bon pour l’espace, pour n’importe quelle planète après une interminable croisière sur un rafiot à moitié détruit. Il sentit la colère monter en lui. Il avait entendu parler d’histoires semblables, dans le vieux port, mais jamais il n’y avait prêté attention. Lorsque quelqu’un disparaissait des vieux quartiers de Dark, personne ne posait de question ; il pouvait tout aussi bien revenir un an plus tard assez riche pour acheter la moitié d’un continent de la Vieille Planète, ou bien s’évanouir en fumée dans l’air épais de Dark. Il avait cru si longtemps que les Galaxiens laissaient purement et simplement choir les habitants de la Vieille Planète.