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Ou peut-être l’échiquier était-il un plan de l’espace, et les trajectoires suivies par les pièces avaient-elles représenté de tout temps, une visualisation simple de certaines trajectoires privilégiées, ou peut-être encore le jeu d’échecs avait-il été une façon détournée de préparer le cerveau de l’homme à certaines tâches, et peut-être le résultat de certaines parties n’était-il que le résultat de certains problèmes posés par certaines coordonnées spatiales infiniment complexes ?

Car les problèmes que posait le jeu d’échecs étaient surtout des problèmes géométriques, des problèmes spatiaux, des problèmes topologiques. Des questions compliquées d’itinéraires devant être parcourus, tout en évitant l’influence destructrice de certaines pièces, elles-mêmes disposées à certains endroits.

Au centre, par exemple.

* * *

L’échiquier était-il bien fait de bois ? se demanda-t-il tandis que ses doigts effleuraient la surface douce et polie, sans parvenir à déceler le moindre interstice entre les cases comme ç’aurait été presque obligatoirement le cas si elles avaient été faites de pièces de bois accolées les unes aux autres.

Il avait admis dès le premier instant que l’échiquier avait été taillé dans une ou plusieurs essences de bois au grain très fin. Mais il avait pensé au bois parce que la presque totalité des échiquiers anciens qu’il avait vus sur la Terre, étaient faits de bois.

Il hésitait maintenant à penser qu’une pièce de bois pût demeurer longtemps dans un état aussi parfait.

A moins que l’échiquier n’ait été un faux, un piège grossier.

Il repoussa cette idée. Les Puritains aussi bien que les gens de Bételgeuse disposaient de moyens scientifiques extrêmement précis pour évaluer l’âge d’un objet, fût-il forgé dans le métal, et ils ne se seraient jamais laissé tromper, et quel intérêt pouvaient-ils avoir à l’abuser, lui, Jerg Algan, homme de la Vieille Planète, rebelle à Bételgeuse, loup solitaire perdu dans les Marches de la Galaxie humaine ?

Il y avait le zotl, aussi. Le zotl et l’échiquier.

Le zotl, cette drogue étrange, nullement nocive, qui agissait sur le système nerveux et le rendait capable de percevoir certaines réalités incompréhensibles.

Irréelles, disaient les psychologues, dangereuses, traumatisantes. Voire, disaient les mathématiciens et les physiciens, les univers que le zotl permet d’explorer sont parfaitement logiques, bien plus logiques qu’un rêve sorti d’un cerveau d’homme, aussi logiques que l’univers lui-même.

Délire cénesthésique, répondaient les psychologues. Simple croisement des fibres nerveuses. Vous voyez ce que vous devriez entendre, et vos sensations auditives vont droit à vos centres optiques.

Les neurologues, eux, haussaient les épaules.

L’échiquier et le zotl.

Le zotl était une porte qui s’entrebâillait sur des mondes incompréhensibles. Et l’échiquier était une sorte de sauf-conduit, de plan qui vous permettait de vous orienter et d’entrevoir certains mondes compréhensibles et bien réels.

Le zotl et l’échiquier.

Ils se complétaient comme se complètent une serrure et une clef pourvu qu’il y ait une main d’homme qui glisse l’une dans l’autre. Et pousse la porte ouverte.

Et pourvu que l’homme ne se contente pas de jeter un coup d’œil dans la chambre ainsi découverte, mais entre hardiment.

Entrer hardiment.

Il y avait l’échiquier et Jerg Algan.

Il se leva brusquement dans la lumière pâlissante qui emplissait la pièce et secoua le vieillard.

— Réveillez-vous, cria-t-il en se penchant sur le visage ridé et gris.

— Qu’y a-t-il ? murmura le vieil homme en se redressant, les yeux clignotants.

— Levez-vous. Je vous expliquerai. J’ai besoin de votre aide.

Il regarda le vieillard enfiler un uniforme de marin usé et rapiécé.

— Le soleil n’est même pas levé, dirent les lèvres sèches et tremblantes.

— Peu importe, dit-il. Je ne peux plus attendre.

— Et maintenant ? dit le vieillard.

— J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit. J’ai besoin de zotl pour tenter une expérience. En possédez-vous ?

— Non. Qu’en ferais-je ?

— Connaissez-vous quelqu’un qui en détienne sur cette planète ?

— La racine de zotl ne pousse pas ici. Et la population est pauvre. Elle ne peut pas s’offrir ce luxe. Non, je ne vois pas.

Le vieillard ouvrit la porte et ils sortirent. La cour était aussi misérable et boueuse que la veille, mais la nuit finissante lui donnait un aspect enchanté. La jungle environnante semblait être la proie des flammes et la maison elle-même se consumait en un brasier froid et imaginaire. Mais la haute architecture du port stellaire se dressait comme un bloc de glace, même au sein de la nuit pourpre.

— Attendez, dit le vieillard, le capitaine du port, peut-être. Il faudrait que vous le voyiez. Peut-être les caves du port stellaire contiennent-elles une cargaison de zotl, peut-être en fait-il lui-même consommation. J’en doute, car il vient d’un des mondes puritains. Mais je ne vois pas comment vous parviendrez à le décider à vous céder un peu de zotl, même s’il en possède. Que pouvez-vous lui donner en échange ? Dites-lui, lorsque vous irez, que vous venez de ma part.

— Je n’y manquerai pas, dit Algan. Je vais y aller tout de suite.

— Le jour n’est même pas levé. Attendez un peu.

— Les ports stellaires ne connaissent ni jour ni nuit, dit Algan, et j’ai déjà attendu trop longtemps. Je tiens à ce que ce capitaine se souvienne de ma visite. Adieu.

— Bonne chance, dit le vieillard, mais sa voix était pleine de doute et de méfiance. Il regarda Jerg Algan boucler son sac et s’éloigner sur le sentier escarpé qui conduisait aux hautes portes de bronze du port stellaire, entre les baraques misérables qui constituaient l’unique rue de la bourgade. Il haussa les épaules et regagna sa cabane.

* * *

— Vous n’entrerez pas, dit le garde. Pas à cette heure de la nuit. Et vous êtes un étranger, de surcroît.

Il semblait minéral dans son uniforme de métal souple. Ses doigts immobiles étaient posés sur les touches d’un tableau de contrôle et il pouvait déclencher tous les feux de l’enfer autour de la porte. Ses yeux brillaient comme des silex polis. Son masque luisait tel une énorme pépite d’un métal fabuleux. En sa tranquille obstination, il était immortel et invulnérable. Il représentait Bételgeuse et il savait que la puissance entière d’une Galaxie était prête à appuyer sa détermination.

— Je suis un libre citoyen de la Galaxie, dit Algan, à voix forte. J’ai droit jour et nuit au libre accès des ports stellaires.

— En principe, oui, dit le garde de sa voix glacée. Mais la nuit, ici, même les principes dorment. Vous devriez en faire autant. Vous parlerez demain au capitaine.

— Je fais appel à son autorité, dit Algan. Vous n’avez pas le droit de m’interdire de votre propre initiative l’entrée du port.

— Je vois que vous connaissez le droit, dit le garde en souriant à peine. Eh bien ! prouvez-moi que vous êtes un libre citoyen de la Galaxie et je vous laisserai entrer.

— Je suis un humain, dit Algan, cela devrait suffire.

Le garde secoua la tête.