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Il se passa un petit temps pendant lequel ils se regardèrent sans rien dire. Puis le capitaine rompit le silence.

— Je suppose, dit-il, que vous pensez avoir tout prévu. Mais que feriez-vous maintenant, si je vous retenais sans vous donner de zotl ?

— Une chose bien simple, dit Algan. La somme offerte en échange de ma personne ne sera versée qu’à celui qui m’aura fait prisonnier. L’offre n’est pas valable si je me rends à un représentant de Bételgeuse. Il peut donc y avoir deux versions de ma capture. Ou bien vous m’avez fait prisonnier après une poursuite acharnée et vous touchez la prime. Ou bien j’affirme m’être rendu et vous ne gagnez rien.

— Ils ne vous croiront pas, dit le capitaine en se mordant les lèvres. Ils me feront confiance plutôt qu’à vous.

— Bien entendu, dit Algan. Mais ils croiront bien plus encore le témoignage d’un détecteur de mensonges. Alors je serai obligé de dire la vérité. Ils ne me croiront, alors, que lorsque je dirai que je me suis rendu. Et vous serez probablement attaqué pour faux témoignage. Par contre, si vous acceptez les conditions que je vous propose, je ne passerai jamais devant un détecteur. La loi autorise le criminel à refuser l’épreuve du détecteur, bien que les plus lourdes présomptions pèsent alors sur lui. Mais je n’ai rien à perdre.

— Comment puis-je être sûr, dit le capitaine, que vous n’essaierez pas de me doubler, aussitôt arrêté.

— Vous ne pouvez pas l’être. Ma parole vaut la vôtre, c’est tout. J’ai été franc avec vous dans l’espoir que vous comprendriez qu’elle vaut quelque chose. Et, somme toute, je n’aurais aucun intérêt à vous doubler. Bételgeuse paie, pas moi. De votre côté, c’est un risque à courir. Il en vaut la peine, croyez-moi.

— Cinq mille unités, dit le capitaine, à voix basse. Presque le prix d’une planète de seconde importance. Oh ! soyez maudit si vous êtes un envoyé secret de Bételgeuse.

— Ma tête est mise à prix, rappela Jerg Algan. Vous pouvez le vérifier.

— Soit.

Des données défilèrent rapidement sur un écran. Des positions de navires, des signalements, des avertissements, puis la cadence se ralentit et le film s’arrêta brusquement sur une image. Celle d’Algan.

Le portrait était saisissant de vérité. Il avait dû être pris sur Terre, dans le port de Dark, tandis qu’Algan subissait l’entraînement. Mais pourtant, il ne correspondait plus exactement à la vérité. C’était une image du passé. Le visage de l’Algan de maintenant était plus dur, plus hâlé ; ses yeux plus enfoncés dans leurs orbites brillaient plus nettement.

Des instructions suivaient. Une description détaillée. Plus un acte d’accusation. Plus un tableau du navire sur lequel il avait pris la fuite. Plus la somme qui était offerte à tout citoyen de la Galaxie, civil, soldat ou officier, pour sa capture. Plus cette mention en lettres rouges : A prendre vivant. Ne tirer sous aucun prétexte. L’homme n’est probablement pas dangereux.

— Ils semblent tenir à vous, dit simplement le capitaine.

— Bien plus que vous ne croyez. Ils ont autant besoin de moi que j’ai besoin de zotl. Pour la même raison.

— Alors, suivez-moi.

Et, tandis qu’il marchait derrière le capitaine, Algan réfléchissait. Les hommes de Bételgeuse n’avaient pas tenu compte dans leur acte d’accusation, des menaces qu’il avait proférées. Ils parlaient seulement du vol d’un navire. Et encore, en termes singulièrement atténués. Mais cela n’était pas le vrai délit, si délit il y avait, puisqu’ils avaient eux-mêmes donné à Algan l’occasion de s’emparer d’un navire. La vérité était qu’ils désiraient s’assurer de la personne d’Algan dès qu’il aurait découvert quelque chose et avant que les Puritains aient pu mettre la main dessus.

Ils avaient lâché Algan dans l’espace, comme on lâche un furet dans un terrier, en disposant des cages à toutes les issues et en espérant bien le retrouver dans l’une d’elles lorsqu’il aurait débusqué la proie.

Mais ils avaient négligé une issue.

— Il est évidemment inutile de tenter quoi que ce soit contre moi, dit le capitaine. Aucune arme, vous le savez probablement, ne peut fonctionner sur toute l’étendue du port stellaire, à moins que je ne donne l’ordre de supprimer localement le champ inhibiteur. Par ailleurs, ma garde agirait au moindre cri suspect. J’ajouterai que dans la longue histoire de la Galaxie humaine, jamais un groupe de criminels, même nombreux et bien armés, n’a réussi à se rendre maître d’un port stellaire.

— Inutile d’insister, dit Algan. Je ne suis pas venu ici pour me battre.

Ils franchirent une porte qui se referma sans bruit derrière eux. Un pan de mur pivota et démasqua une profonde cavité qui contenait une luxueuse machine à presser le zotl et un bon tas de racines. Algan siffla entre ses dents.

— Je dois cette installation à mon prédécesseur, dit le capitaine. Il fut un beau jour rappelé sur Bételgeuse pour une obscure affaire de trafic. Et je découvris, longtemps après, ceci, tout à fait par hasard. Légalement, cela m’appartient.

Le ton de sa voix indiquait qu’il se tenait sur la défensive et qu’il n’avait pas cessé de croire à la possibilité que Jerg Algan fût un émissaire secret de Bételgeuse.

— Mettez une racine à presser, dit Algan.

Il tira l’échiquier de son sac et le posa sur une table basse. Il disposa en face de la table un fauteuil, s’assit et posa ses deux mains sur l’échiquier, un doigt sur chaque case. Puis il ôta ses mains et examina les fines gravures, les figures dessinées par un stylet de diamant en un temps incroyablement ancien. Il semblait – était-ce une illusion – qu’elles tremblaient. Il essaya de penser à autre chose qu’à ce qu’il allait faire. Il ignorait complètement ce qui allait lui arriver. Mais cela n’avait pas d’importance. Dans la situation où il se trouvait, il ne voyait pas d’autre issue que celle-là. Si c’en était une. Il regarda la racine de zotl céder sous le lourd piston, et cela lui rappelait la Terre, Dark, et le marchand d’Ulcinor.

Peu de jours avaient passé depuis son départ du port stellaire de Dark, peu de jours, pour lui qui avait voyagé d’un bout à l’autre de la Galaxie à une vitesse proche de celle de la lumière par des chemins extrêmement courts, mais sur la Terre, des années peut-être s’étaient écoulées.

Et ses amis étaient morts.

Il fixa le verre à moitié plein que le capitaine venait de poser devant lui. Et le repoussa.

— Pressez une autre racine, dit-il. Doublez la dose.

— Vous risquez la démence, dit le capitaine.

— Non, dit Algan. Ce n’est qu’une légende. Je sais ce que je fais.

— Je l’espère, dit le capitaine.

Il regardait l’échiquier d’un œil soupçonneux.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je vous expliquerai plus tard, dit Algan d’une voix lasse.

La seconde racine disparut sous le piston.

Il ne disposait d’aucun moyen d’évaluer la quantité optimale de zotl à absorber. Il fallait qu’il tentât une expérience. Il y avait neuf chances sur dix pour qu’elle échoue.

A moins que derrière son dos, à son insu, quelqu’un ne tirât les ficelles de ce pantin qu’il avait conscience d’être.

Il vida entièrement le verre et posa ses doigts sur l’échiquier. Au hasard.

Ou bien quelqu’un guidait-il ses doigts ?

Il ne se passa rien.

Il vit le capitaine qui le fixait, incrédule, il vit les yeux du capitaine qui semblaient se dilater. Il vit les lèvres du capitaine s’arrondir pour lancer un cri.

Les formes et les couleurs tremblèrent et se brouillèrent autour de lui.