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« Donc, ce n’était pas de l’amour, dit Plod. Dans ce cas, Dieu t’honore pour ton sacrifice, je n’en doute pas ! » Il éclata de rire et par esprit d’amitié Mouj l’imita.

Ils riaient encore quand on gratta à la tente, et Plod se précipita pour ouvrir. L’intercesseur entra le premier, ce qui était son devoir – et l’expression de sa foi en Dieu, puisqu’il laissait ainsi son dos exposé à une attaque, si Dieu ne le protégeait pas. Un inconnu le suivait. Mouj n’avait pas souvenir d’avoir jamais vu cet homme ; sa tenue dénotait un soldat d’une cité raffinée ; mais son physique était celui d’un soldat mou, sans vigueur, le garde d’une porte plutôt qu’un combattant ; d’après le hochement de tête de reconnaissance qu’il adressa à Mouj, ce devait être le soldat basilicain. Ils avaient dû effectivement se parler et se quitter en bon termes.

L’intercesseur s’assit le premier, puis Mouj ; alors seulement les autres purent prendre place.

« Fais-moi voir ta lame, dit Mouj au soldat. Je voudrais connaître le genre d’acier que vous utilisez à Basilica. »

Le Basilicain se leva d’un air circonspect sans quitter Plod des yeux. Mouj se rappela vaguement Plod, l’épée sur la gorge du soldat ; pas étonnant que l’homme se méfie à présent ! Du bout des doigts, il tira son épée du fourreau et la tendit à Mouj, garde en avant.

Il s’agissait d’une épée citadine courte, non d’une grande épée forgée pour le champ de bataille. Il en éprouva le fil sur sa peau ; l’incision était légère mais elle suffit à faire apparaître une ligne sanglante. À cette vue, l’homme fit une grimace. Douillet ! Douillet !

« J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit, mon général », dit le Basilicain.

Ah. Je lui donc donné matière à réflexion.

« Et je vois que ma cité a besoin de votre aide. Mais qui suis-je pour la réclamer, ou même pour savoir quelle forme d’aide conviendrait ? Je ne suis qu’un garde municipal ; ce n’est que par le plus grand des hasards que je me suis retrouvé mêlé à ces affaires d’importance.

— Tu aimes ta cité, n’est-ce pas ? » demanda Mouj. Il savait à présent ce qu’il avait dû dire à l’homme. Même dans mes mauvais jours, je suis vraiment retors, songea Mouj non sans satisfaction. Assez pour inventer des plans à l’épreuve de Dieu. « Tu aimes ta cité ?

— Oui. » Des larmes montèrent soudain aux yeux du soldat. « Pardonnez-moi, mais une autre personne m’a posé la même question juste avant que je ne quitte Basilica. Ce signe m’indique que vous êtes un loyal serviteur de Surâme et que je peux me fier à vous. »

Mouj soutint calmement le regard de l’homme pour lui montrer que sa confiance était bien placée.

« Venez à Basilica, mon général. Venez avec une armée. Rétablissez l’ordre dans les rues et chassez-en les mercenaires. Alors, les femmes de Basilica cesseront de vivre dans la crainte. »

Mouj hocha la tête d’un air pénétré. « Éloquente et noble requête que je brûle en mon cœur d’exaucer. Mais je sers l’Impérator et il faut expliquer la situation de ta cité à l’intercesseur ici présent, qui est l’œil, l’oreille et le cœur de l’Impérator dans notre camp. » Tout en parlant, Mouj s’était levé puis incliné devant le représentant du pouvoir, il entendit derrière lui Plod et le soldat l’imiter.

Plod est sûrement assez intelligent pour savoir ce que je projette, pensa Mouj avec terreur. Son poignard doit être tiré à présent, prêt à s’enfoncer dans mon dos. Il se doute certainement que s’il n’agit pas, l’épée basilicaine que je tiens va jaillir et lui couper proprement la tête en même temps que je me relèverai.

Mais l’intelligence de Plod n’allait pas jusque-là. Aussi, un instant plus tard, son sang éclaboussa-t-il toute la tente tandis que son corps s’écroulait, sa tête pendant à son cou à demi tranché.

Le geste de Mouj avait été si rapide, si souple, que ni le Basilicain ni l’intercesseur ne comprirent tout de suite comment Plod avait pu se retrouver mort si brusquement. Aussi Mouj eut-il amplement le temps de plonger l’épée basilicaine entre les côtes de l’intercesseur et de trouver son cœur avant qu’il n’ait pu dire un mot ni même se lever de son fauteuil.

Puis Mouj se tourna vers le Basilicain qui se mit à trembler de tous ses membres.

« Comment t’appelles-tu, soldat ?

— Smelost, mon général. Comme je vous l’ai dit. Je n’ai menti sur rien, mon général.

— Je le sais. Moi non plus. Ces hommes étaient résolus à m’empêcher de venir au secours de ta cité. C’est pourquoi je les ai invités ici ensemble. Si tu voulais que je t’aide, il me fallait d’abord les tuer.

— Si vous le dites, mon général.

— Non, pas si je le dis. Je ne te dis que la vérité, Smelost. Ces hommes étaient tous deux des espions introduits ici pour observer chacun de mes gestes, écouter chacune de mes paroles et juger sans cesse de ma loyauté envers l’Impérator. Celui-ci – il indiqua Plod – avait interprété un de mes rêves comme un signe d’infidélité et l’avait rapporté à l’intercesseur. Ils n’auraient pas tardé à me dénoncer et à me faire perdre mon commandement ; et alors, qui aurait volé au secours de Basilica ?

— Mais comment allez-vous expliquer leur mort ? » demanda Smelost.

Mouj ne répondit pas.

Smelost attendit un moment, puis ses yeux se portèrent à nouveau sur les cadavres. « Je vois. L’épée qui les a tués était la mienne.

— À quel point aimes-tu ta cité ? s’enquit Mouj.

— De tout mon cœur.

— Plus que la vie ? »

Smelost acquiesça gravement. La peur était tapie au fond de ses yeux, mais il ne tremblait pas.

« Si mes soldats croient que j’ai tué Plod et l’intercesseur, ils me mettront en pièces. Mais s’ils pensent, non, s’ils savent que c’est toi le coupable et que je t’ai tué pour te punir, pris d’une juste indignation, ils me suivront. Je te ferai passer pour un des mercenaires de Basilica ; je salirai ton nom ; je dirai que tu trahissais ta cité, que tu voulais m’empêcher d’aller à son aide. Mais parce qu’ils croiront mes mensonges à ton sujet, ils me suivront à Basilica et nous la sauverons. »

Smelost sourit. « C’est donc là mon destin, semble-t-il : mieux je sers ma cité, plus je passe pour un traître.

— C’est un jour terrible pour l’homme qui doit choisir. Quel dilemme ! être cru loyal ou être vraiment loyal ; et ce jour est venu pour toi.

— Dites-moi ce que je dois faire. »

Mouj dut se retenir de verser des larmes d’admiration pour le courage et l’honneur de cet homme, tandis qu’il lui expliquait la scène simple qu’ils allaient jouer. Si ce n’était pas pour une cause qui me dépasse, songeait Mouj, j’aurais trop honte de tromper un homme aussi honorable que toi. Mais pour Pravo Gollossa, je suis prêt au pire.

Donc, quelques instants plus tard, profitant d’une accalmie de la tempête, Mouj et Smelost se mirent tous deux à hurler et Mouj poussa un grand cri aigu dont les témoins pourraient plus tard jurer que c’était celui de l’intercesseur à l’agonie. Puis, alors qu’ils sortaient pêle-mêle de leurs tentes, les soldats virent Smelost, déjà blessé à la cuisse, se précipiter d’un pas chancelant hors du pavillon du général en brandissant une courte épée dégoulinante de sang. « Pour Gaballufix ! Mort à l’Impérator ! »