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Elle entendit qu’on déverrouillait la porte ; puis celle-ci pivota sur ses énormes gonds. Rashgallivak apparut, pitoyable et décharné. Il ne portait pas d’arme.

« Si vous venez pour me trahir, ce sera un soulagement. »

Shedemei se retint de lui faire remarquer que ce ne serait que justice, après sa trahison de la maison de Wetchik et son alliance avec Gaballufix pour s’emparer de la place de son maître. Elle était venue en cliente, non en justicière.

« La politique m’indiffère, dit-elle, et vous aussi. Il me faut simplement une douzaine de caissons secs ; des portatifs, de ceux qu’on utilise pour les caravanes. »

Il secoua la tête. « Wetchik me les a tous fait vendre. »

Prise de lassitude, Shedemei ferma les yeux un instant. Il l’obligeait à dire des choses qu’elle n’avait pas envie de lui jeter à la figure. « Oh, Rashgallivak, vous n’attendez tout de même pas que je vous croie, alors que pour reprendre le contrôle de la maison de Wetchik, il vous fallait évidemment poursuivre ses affaires ! »

Rashgallivak rougit – de honte, espéra Shedemei. « Néanmoins, je les ai vendus, comme on me l’avait demandé.

— Qui les a achetés, alors ? Ce sont les caissons que je veux, pas vous. »

Rashgallivak ne répondit pas.

« Ah ! dit Shedemei. C’est vous qui les avez achetés ! »

Un silence. « Que voulez-vous en faire ? demanda Rash.

— Vous me demandez à moi de vous rendre des comptes ? s’exclama Shedemei.

— Je vous pose cette question parce que vous avez, je le sais, tout un tas de caissons secs dans votre laboratoire. Le seul usage concevable des portatifs, c’est pour une caravane, et vous n’y connaissez rien.

— Eh bien, je me ferai dépouiller ou tuer, mais ça ne vous regarde pas. Et d’ailleurs, il ne m’arrivera peut-être rien du tout.

— Auquel cas vous irez vendre vos plantes dans des pays lointains, en concurrence directe avec moi. Pourquoi fournirais-je des caissons portatifs à une concurrente ? »

Shedemei éclata d’un rire plein de dérision. « Ah, parce que vous trouvez que votre entreprise marche normalement ? De toute façon, je ne prépare pas un voyage d’affaires, pauvre imbécile ! Je déménage avec tout mon laboratoire là où je pourrai poursuivre mes recherches en sécurité, sans être interrompue par des fous qui mettent la cité à feu et à sang ! »

Il rougit à nouveau. « Ils n’ont jamais fait de mal à personne quand ils étaient sous mes ordres. Je ne suis pas Gaballufix.

— En effet, Rash. Vous n’êtes pas Gaballufix. »

La phrase pouvait se comprendre de deux façons, mais apparemment, Rash choisit d’y entendre la confirmation que Shedemei le croyait fondamentalement honnête. « Vous n’êtes pas mon ennemie, Shedya, n’est-ce pas ?

— Les caissons ; c’est tout ce que je veux. »

Il eut encore une hésitation, puis il recula et lui fit signe de le suivre.

L’entrée de la serre n’était pas réfrigérée comme les salles intérieures et Rash en avait fait une espèce de logis pathétique : un lit de fortune, un vaste bac qui avait dû autrefois accueillir des plantes, mais qui lui servait sans doute à présent à se baigner et à faire sa lessive. C’était très primitif, mais ingénieux ; Shedemei ne put s’empêcher de l’admirer : il n’avait pas désespéré, même quand tout semblait se retourner contre lui.

« Je vis seul, dit-il. Surâme sait que j’ai davantage besoin d’argent que de caissons ; et le conseil municipal m’a interdit l’accès à tous mes fonds. Vous ne pouvez même pas me payer, parce que je n’ai plus de compte en banque où transférer votre argent.

— Ça ne devrait pas être un problème, répondit Shedemei. Comme vous l’imaginez bien, beaucoup de gens vident leurs comptes. Je peux vous payer en pierres précieuses – quoique leur prix, comme celui de l’or, ait triplé depuis les derniers événements.

— De toute façon, je ne suis pas en position de marchander, je le sais bien.

— Déposez les caissons devant la porte, reprit Shedemei. J’enverrai quelqu’un pour les rapporter chez moi. Je vous paierai séparément, et largement. Dites-moi où.

— Venez seule, plus tard. Et remettez-moi les pierres en mains propres.

— Ne dites donc pas de bêtises ! répliqua Shedemei. Je n’ai pas l’intention de revenir ici, ni de vous revoir. Dites-moi où vous laisser les pierres précieuses.

— Dans la chambre des voyageurs, chez Wetchik.

— C’est facile à trouver ?

— Assez.

— Alors votre paiement s’y trouvera dès que j’aurai reçu les caissons.

— Je trouve un peu injuste que je doive vous faire entièrement confiance, sans aucune contrepartie de votre part. »

Toutes les réponses qu’aurait pu lui faire Shedemei étaient cruelles. Elle préféra se taire.

Au bout d’un moment, il hocha la tête. « Très bien, dit-il. Il y a deux maisons sur la propriété de Wetchik. Mettez les pierres dans la chambre des voyageurs de la plus petite ; c’est aussi la plus vieille. Sur un des chevrons. Je les trouverai.

— Dès que les caissons seront dans mon laboratoire, répéta Shedemei.

— Croyez-vous que je dispose d’un réseau de fidèles qui vont vous attaquer ? demanda Rashgallivak d’un ton amer.

— Non. Mais si vous deviez bientôt disposer de cet argent et que vous le sachiez, rien ne vous empêcherait de les engager dès maintenant.

— Donc, c’est vous qui décidez quand me payer et combien ; et moi, je n’ai pas voix au chapitre.

— Rash, dit Shedemei, je vous traite avec bien plus d’équité que vous n’avez traité Wetchik et ses fils.

— Vous aurez une douzaine de caissons devant la porte d’ici une demi-heure. »

Shedemei se leva et sortit. Elle entendit Rash fermer la porte derrière elle et l’imagina tirant craintivement les verrous, de peur qu’on ne découvre que l’homme qui avait régné l’espace d’une journée sur les petits empires de Gaballufix et de Wetchik se tapissait à présent dans l’ombre épaisse de ces murs.

Shedya s’arrêta à la porte de la Musique, où les gardes gorayni vérifièrent rapidement son identité et la laissèrent passer. La vue de ces uniformes aux portes de Basilica la dérangeait toujours, mais comme tout le monde, elle s’habituait peu à peu à la parfaite discipline des soldats et au calme qui présidait aux entrées jusque-là anarchiques des gens dans la cité. Chacun faisait patiemment la queue, à présent.

Et autre chose, encore : il y avait maintenant plus de gens qui attendaient d’entrer que de citoyens pressés de sortir. La confiance revenait, une confiance placée dans la puissance des Gorayni. Qui aurait imaginé que la population s’abandonnerait si vite à l’ennemi ?

Parcourant la longue ruelle qui suivait l’enceinte jusqu’à la porte du Marché, Shedemei retrouva la muletière qu’elle avait engagée. « Allez-y dit-elle. Il devrait y en avoir une douzaine. » La muletière inclina la tête et partit au trot. Nul doute que cette démonstration de diligence prendrait fin à l’instant où Shedemei serait hors de vue, mais celle-ci apprécia néanmoins qu’elle fit preuve d’empressement, fût-il feint. Au moins, la muletière savait ce qu’était la célérité et ne dédaignait pas d’en donner l’illusion.

Puis Shedemei mit la main sur un jeune coursier dans la file d’attente de la porte du Marché. Elle griffonna un mot sur un des papiers à sa disposition dans la guérite du messager ; au dos, elle indiqua l’emplacement de la maison de Wetchik, avec des instructions sur l’endroit où laisser le papier. Après quoi elle tapa un paiement sur l’ordinateur de la guérite. Quand il vit la prime allouée pour une exécution rapide, le coursier eut un grand sourire, puis il s’empara du bout de papier et partit comme une flèche.