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— Shedemei viendra. Elle aussi a fait un rêve ; Surâme l’a invitée, et Hushidh également. Elle est dans le coup, n’est-ce pas ? Surâme l’emmènera sûrement, pour Issib ou Zdorab.

— Pourquoi ne lui poses-tu pas la question ? » demanda Rasa.

Nafai parut horrifié.

« Oh non, pas moi !

— Pourtant, Surâme t’a annoncé, m’as-tu dit, que tu dirigerais tes frères, un jour. Comment sera-ce possible si tu n’as pas même assez de force intérieure pour affronter une simple fille, gentille et généreuse comme Shuya ?

— Pour vous, elle a peut-être l’air gentille, répondit Nafai. Mais pour moi… Et puis, aller lui poser ce genre de question…

— Elle sait que tes frères et toi êtes revenus chercher des épouses, jeune nigaud. Tu crois qu’elle n’a pas fait ses comptes ? Elle est déchiffreuse – penses-tu qu’elle n’ait pas vu les liens s’organiser ? »

Nafai resta interdit. « Non, je n’y avais pas pensé. Elle en sait sans doute plus long que moi sur n’importe quoi.

— Sur certains sujets, seulement. Et tu en es encore à éviter la question la plus importante de toutes.

— Non, répondit Nafai. Je sais que Luet est celle que je dois épouser et que je vais le lui proposer. Je n’attendais pas votre conseil pour ça.

— Alors, je n’ai plus aucune crainte pour toi, mon fils. »

Les soldats introduisirent Rashgallivak et, suivant les instructions que Mouj leur avait données plus tôt, le projetèrent brutalement par terre. Une fois qu’ils eurent disparu, Rashgallivak se tâta le nez. Il n’était pas cassé, mais il saignait de sa rencontre avec le sol, et Mouj ne proposa rien pour l’essuyer. Comme les soldats l’avaient dépouillé de ses vêtements avant de l’amener, Rashgallivak n’eut d’autre choix que de laisser le sang lui couler dans la bouche et sur le menton.

« Je pensais bien vous rencontrer un jour ou l’autre, dit Mouj. Ce n’était pas la peine de vous chercher. Je savais que le moment viendrait où vous croiriez posséder quelque chose que je désirerais et où vous m’approcheriez pour négocier votre vie. Mais je n’ai besoin de rien que vous possédiez, soyez-en assuré.

— Alors tuez-moi et qu’on en finisse, répliqua Rashgallivak.

— Très dramatique. J’ai dit que je n’avais besoin de rien, mais j’ai peut-être envie de quelque chose, et j’en ai peut-être assez envie pour ne pas vous arracher les yeux, vous castrer ou vous faire subir quelque autre mignardise avant que vous ne passiez sur le bûcher pour traîtrise envers Basilica.

— C’est vrai, Basilica vous tient profondément à cœur ! ironisa Rashgallivak.

— C’est vous qui me l’avez donnée, pauvre imbécile ! Votre stupidité et votre brutalité m’en ont fait présent. Et elle est désormais le joyau le plus éclatant que je possède. Oh oui, je tiens profondément à Basilica !

— Seulement si vous arrivez à la garder !

— Ah, croyez-moi, je conserverai ce diamant, que je m’en fasse une décoration ou que je la réduise en poussière avant de l’avaler.

— Quelle bravoure, intrépide général ! Et pourtant, vous maintenez dame Rasa en résidence surveillée.

— Il me reste encore bien des pistes à suivre, répondit Mouj. Et je ne vois pas pourquoi toutes ne mèneraient pas à votre mort immédiate. Il faudrait donc faire mieux que me dire ce que je sais déjà.

— Que cela vous plaise ou non, je suis légalement Wetchik et chef du clan palwashantu, et bien que personne ne me porte dans son cœur en ce moment, si les hommes sans droits qui vivent en dehors des murs voyaient que j’avais vos faveurs et de l’autorité à partager, ils se rallieraient à moi. Ça pourrait vous être utile.

— À ce que je vois, vous caressez le rêve pathétique de vous mesurer à moi dans la course au pouvoir.

— Non, général. J’ai passé ma vie comme intendant, à bâtir et à consolider la maison de Wetchik. Gaballufix m’a persuadé d’agir selon des ambitions que je n’avais jamais connues avant qu’il me les mette en tête. J’ai eu amplement le temps de regretter de l’avoir cru, de me mépriser pour avoir paradé en me prenant pour un grand chef, alors que je suis fait pour être intendant, c’est tout. Je ne suis heureux qu’au service d’un homme plus grand que moi, et je me glorifie d’avoir toujours servi, en effet, le plus grand de Basilica. Il se trouve aujourd’hui qu’il s’agit de vous et, si vous me gardez en vie, vous vous rendrez compte que je suis plein de ressources.

— Et d’une loyauté sans faille ?

— Vous ne me ferez jamais confiance, je le sais parfaitement. J’ai trahi Wetchik, à ma grande honte. Mais seulement alors qu’il était déjà en exil et sans pouvoir. Vous, vous ne faiblirez jamais, vous n’échouerez pas ; vous pouvez donc implicitement vous fier à moi. »

Mouj ne put s’empêcher d’éclater de rire. « Vous me demandez de me fier à votre loyauté parce que vous êtes trop poltron pour trahir un homme fort ?

— J’ai eu le temps d’apprendre à me connaître, général Vozmujalnoy Vozmojno. Je n’ai envie de tromper personne, ni vous ni moi.

— Je peux placer qui je veux à la tête de cette racaille qui se donne le nom de Palwashantu, dit Mouj, ou bien la commander moi-même. En quoi aurais-je besoin de vous vivant, alors que j’ai tant à gagner à votre confession et votre exécution publiques ?

— Vous êtes un grand général et un meneur d’hommes brillant, mais vous ne connaissez pas encore Basilica.

— Assez bien quand même pour m’en être rendu maître sans y perdre un seul de mes soldats.

— Alors, puisque vous savez tout, général Vozmujalnoy Vozmojno, peut-être comprendrez-vous tout de suite en quoi l’achat par Shedemei d’une douzaine de caissons secs chez moi présente tant d’intérêt.

— Ne jouez pas au plus fin avec moi, Rashgallivak. J’ignore totalement qui est ce Shedemei et ce que signifie cet achat de caissons secs, vous le savez très bien.

— Shedemei est une femme, général ; une savante renommée, excellente généticienne ; elle a créé des plantes qui ont eu beaucoup de succès, entre autres choses.

— Si vous en veniez au fait…

— Shedemei enseigne aussi chez Rasa, dont elle est une des nièces bien-aimées. »

Ah ! Rashgallivak savait peut-être quelque chose d’utile, finalement. Mouj attendit la suite.

« On se sert des caissons secs pour transporter des semences et des embryons sur de longues distances sans réfrigération. Elle m’a raconté qu’elle comptait déménager tout son laboratoire dans une cité loin d’ici, et que c’était pour ça qu’elle avait besoin de caissons.

— Et vous n’y croyez pas.

— Que Shedemei déplace son laboratoire en ce moment relève de la plus haute fantaisie. Tout danger est passé, cela se voit, et elle devrait donc se replonger tout simplement dans son travail. D’ordinaire, elle s’y abstrait complètement, au point d’en oublier le monde qui l’entoure.

— Par conséquent, son projet de quitter Basilica lui a été soufflé par Rasa, c’est ce que vous pensez ?

— Rasa est fidèle à Wetch… à Volemak, l’ancien Wetchik, depuis de nombreuses années. Il s’est exilé de la cité il y a plusieurs semaines sous prétexte d’obéir à une vision envoyée par Surâme. Puis ses fils sont revenus pour essayer d’acheter l’Index palwashantu à Gaballufix. »

Rashgallivak s’interrompit comme s’il s’attendait que Mouj opère quelque rapprochement, bien qu’il sût pertinemment que c’était impossible : c’était sa façon à lui d’affirmer qu’il était nécessaire au général, lequel n’avait pourtant nulle intention d’entrer dans son jeu. « Dites-le moi ou ne me le dites pas, fit Mouj ; de toute manière, c’est moi qui déciderai si j’ai ou non besoin de vous. Mais si vous persistez à croire que vous pouvez me manipuler, vous ne faites que prouver votre inutilité. »