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« Peu importe la façon de considérer Surâme, reprit Nafai d’un ton patient, il faut l’interroger. Sur la signification de la présence de Mouj à Basilica, par exemple ; est-ce qu’il faut essayer de l’emmener avec nous au désert, lui aussi ? Est-ce pour ça que Surâme l’a conduit chez nous ? Et ces créatures bizarres, ces anges, ces rats – que signifient-elles ? Il faut que Surâme nous le dise.

— Moi, je suis toujours persuadée que j’ai vu des rats et des anges parce que Lutya en a rêvé et qu’elle m’en a parlé ; ils étaient là, tout prêts à donner corps à mes peurs, dit Hushidh.

— D’accord, mais que faisaient-ils dans le rêve de Lutya ? demanda Nafai. Elle n’en avait pas peur, elle.

— Et les rats n’étaient ni dangereux ni terrifiants dans ma vision, renchérit Luet. Ils étaient… ils étaient eux-mêmes, simplement. Ils vivaient leur vie. Ils n’avaient rien à voir avec les hommes.

— Bon, arrêtons de jouer aux devinettes, coupa Nafai, et interrogeons Surâme. »

Ils n’avaient encore jamais fait cela. Hommes et femmes ne priaient pas ensemble dans les rites de Basilica : les hommes priaient par le sang et l’eau dans leur temple ou chez eux, tandis que les femmes rendaient leur culte dans l’eau du lac ou dans leurs domiciles privés. Les jeunes gens se sentirent donc intimidés et hésitants. Mais, spontanément, Nafai tendit ses mains à Hushidh et à Luet. Elles les saisirent et se donnèrent la main à leur tour.

« Je parle à Surâme en silence, dit Nafai. Dans mon esprit.

— Moi aussi, répondit Luet, mais parfois, je m’adresse à elle à voix haute ; pas toi ?

— Pareil pour moi, déclara Hushidh. Luet, parle pour nous tous. »

Luet refusa d’un signe de la tête. « C’est toi qui as fait ce rêve, ce soir, Hushidh. C’est avec toi que Surâme a communiqué. »

Hushidh fut prise d’un frisson involontaire. « Et si le mauvais rêve me reprenait ?

— Écoutez, peu importe lequel de nous prend la parole, intervint Nafai, du moment que nous posons les mêmes questions dans notre cœur. Père, Issib et moi communiquons facilement avec Surâme quand nous avons l’Index ; nous posons des questions et on nous répond comme si nous discutions avec l’ordinateur de l’école. On n’a qu’à faire la même chose.

— Nous n’avons pas l’Index, objecta Luet.

— Non, mais nous sommes reliés à Surâme par des fils d’or et d’argent, répondit Nafai en lançant un coup d’œil à Hushidh. Ça devrait suffire, non ?

— Parle pour nous, alors, Luet », dit Hushidh.

Et Luet posa leurs questions, puis fit état de ses inquiétudes, de celles que Nafai avait exprimées et de la terreur qu’avait éprouvée Hushidh. Ce fut à cette question que la première réponse leur parvint.

Je ne sais pas, dit Surâme.

Luet se tut, effrayée.

« Vous avez entendu ce que j’ai entendu ? » demanda Nafai.

Comme aucune des sœurs ne savait ce qu’avait perçu Nafai, nulle ne put répondre, jusqu’à ce qu’Hushidh trouve le courage d’exprimer tout haut ce qu’elle avait entendu. « Elle ne sait pas », souffla-t-elle.

Nafai resserra sa prise sur les mains des jeunes filles et s’adressa à Surâme, prenant la place de Luet comme porte-parole. « Qu’est-ce que tu ne sais pas ?

C’est moi qui ai envoyé le rêve des fils d’or et d’argent, dit Surâme. C’est moi qui ai envoyé le rêve d’Issib et des enfants à l’entrée de la tente. Mais la vision du général n’était pas prévue. Ce n’est pas moi qui ai montré le général.

— Et les… les rats ? demanda Hushidh.

— Et les anges ? ajouta Luet.

J’ignore d’où ils venaient et ce qu’ils signifient.

— Eh bien voilà, déclara Hushidh. Il s’agissait simplement d’un rêve bizarre et sans signification sorti de ton esprit, Luet. Et comme tu me l’avais raconté, ça s’est transformé en souvenir dans le mien, voilà tout.

Non !

Ce fut comme un cri dans leur esprit, et Hushidh frémit sous l’impact.

« Mais quoi, alors ? s’écria-t-elle. Si tu ignores d’où il vient, comment sais-tu qu’il ne s’agit pas d’un cauchemar ordinaire ?

Parce que le général l’a fait, lui aussi.

Ils se regardèrent, abasourdis.

« Le général ? Le général Mouj ? »

Dans l’esprit d’Hushidh apparut fugitivement l’image d’un homme avec une créature volante sur l’épaule et un rat géant accroché à sa jambe, puis d’une foule – humains, rats et anges confondus – qui s’approchait et touchait le trio avec vénération. Puis, aussi vite qu’elle était venue, l’image s’évanouit.

« C’est ce rêve qu’a fait le général ? demanda Hushidh.

Il l’a fait il y a plusieurs semaines. Avant qu’aucun d’entre vous ne rêve de ces créatures.

— Nous sommes trois, dans ce cas, dit Luet. Nous sommes trois, nous n’avons jamais rencontré le général, il ne nous a jamais vus, et pourtant nous avons tous rêvé de ces créatures. Il y a vu de la vénération, j’y ai vu de l’art, et toi, Hushidh, tu y as vu la guerre, la guerre et le salut.

— Si ça ne venait pas de toi, Surâme, intervint Nafai d’un ton pressant en tenant fermement les mains de ses voisines, si ça ne venait pas de toi, d’où un tel rêve a-t-il bien pu venir ?

Je l’ignore.

— Est-ce qu’il y aurait un autre ordinateur ? demanda Hushidh.

Pas ici. Pas sur Harmonie.

— Tu n’es peut-être pas au courant de son existence, suggéra Nafai.

Je le saurais.

— Alors, comment se fait-il que nous ayons fait ces rêves ? » insista Nafai.

Ils attendirent. D’abord nulle réponse ne vint. Et quand elle arriva, ce n’était pas celle qu’ils espéraient.

J’ai peur.

Hushidh sentit l’effroi investir à nouveau son cœur et elle serra plus fort les mains de sa sœur et de Nafai. « C’est horrible ! dit-elle. C’est horrible ! Je ne voulais pas savoir ça !

J’ai peur, dit Surâme dans la tête d’Hushidh – et, elle l’espérait, dans celle de ses deux compagnons ; c’était aussi net et distinct qu’un vrai discours. J’ai peur, car la peur est le nom que je donne à l’incertitude, à l’impossible qui est pourtant réalité. Mais j’ai aussi un espoir, qui est un autre nom pour l’impossible qui peut être réalité. J’ai l’espoir que ce qui vous a été donné vient du Gardien de la Terre ; que par-delà les milliers d’années-lumière, le Gardien de la Terre cherche à nous atteindre.

— Qu’est-ce que le Gardien de la Terre ? demanda Hushidh.

— Surâme en a déjà parlé, dit Nafai. Ce n’était pas clair, mais je crois qu’il s’agit d’un ordinateur mis en place comme surveillant de la Terre quand nos ancêtres ont fui il y a quarante millions d’années.

Il ne s’agit pas d’un ordinateur.

— De quoi, alors ?

Ce n’est pas une machine.

— Qu’est-ce que c’est, dans ce cas ?

C’est vivant.

— Qu’est-ce qui pourrait bien être vivant au bout de tout ce temps ?

Le Gardien de la Terre. Il nous appelle. Il vous appelle. Peut-être mon désir de vous ramener à la Terre est-il aussi un rêve envoyé par le Gardien. J’ai moi aussi été troublé, incapable de décider que faire, et puis des idées me sont venues. J’ai cru qu’elles provenaient de mes sous-programmes de probabilisation, qu’elles répondaient à ma programmation. Mais si Mouj et vous pouvez faire d’étranges rêves de créatures inconnues sur ce monde, ne puis-je moi aussi recevoir des pensées étrangères à mes programmes, qui n’ont pas leur origine dans ce monde ?