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Basilica, ô cité des femmes, ton époux est là pour toi, pour te dompter et t’apprendre les arts domestiques que tu as si longtemps oubliés !

Mouj jeta un nouveau coup d’œil à la liste que lui avait remise Bitanke. S’il cherchait quelqu’un pour gouverner Basilica au nom de l’Impérator, il devait choisir un homme comme consul : un des fils de Wetchik, si l’on pouvait mettre la main sur eux, ou peut-être Rashgallivak lui-même, voire un homme plus faible encore, soutenu par Bitanke.

Mais si Mouj désirait unir Basilica, les cités de la Plaine et jusqu’à Seggidugu contre l’Impérator, alors il lui fallait devenir citoyen de Basilica par mariage et gagner sa place à la tête de la cité ; il n’avait pas besoin d’un consul, mais d’une épouse.

Si bien que les noms qui éveillèrent sa curiosité furent ceux de deux jeunes filles, la sibylle de l’eau et la déchiffreuse. Elles étaient jeunes, assez pour en offenser plus d’un s’il épousait l’une d’elles, surtout la sibylle : treize ans ! Pourtant ces deux enfants possédaient le genre de prestige qu’il recherchait, une aura qui s’étendrait à lui s’il épousait l’une ou l’autre. Mouj, le grand général des Gorayni, s’unissant à l’une des femmes les plus pieuses de Basilica, s’abaissant à entrer dans la cité en simple époux plutôt qu’en conquérant ! Voilà qui lui gagnerait les cœurs, non seulement de ceux qui le remerciaient déjà de la paix qu’il avait imposée, mais les cœurs de tous, car ils verraient alors qu’il ne désirait pas les abattre, mais bien les mener à la grandeur.

Une fois marié à la déchiffreuse ou à la sibylle, Mouj ne tiendrait plus seulement Basilica : il serait Basilica. Et au lieu d’envoyer des ultimatums aux royaumes et aux cités méridionales de la côte occidentale, il pousserait un cri de guerre. Il ferait arrêter les espions de Potokgavan pour les renvoyer dans le marécage de leur paresseux empire, chargés de cadeaux et de promesses. Et la nouvelle se répandrait comme le feu vers le nord : Vozmujalnoy Vozmojno s’est proclamé lui-même la nouvelle incarnation, le véritable Impérator ! Il demande à tous les loyaux soldats de Dieu de faire route au sud pour le rejoindre, ou de se dresser contre l’usurpateur là où il sont ! Entre-temps, la rumeur circulerait à Pravo Gollossa : les Sotchitsiya vont retrouver le pouvoir ! Levez-vous et emparez-vous de ce qui vous appartient depuis toujours !

Profitant du chaos qui en résulterait, Mouj ferait mouvement vers les terres du Nord en gagnant des alliés sur son passage. Les armées gorayni battraient en retraite devant lui ; les natifs des nations conquises salueraient en lui leur libérateur. Il refoulerait les Gorayni jusque sur leurs propres terres et alors il s’arrêterait – le temps d’un long hiver à Pravo Gollossa, où il entraînerait son armée hétéroclite pour en faire une force de combat honorable. Puis au printemps suivant, il s’enfoncerait dans la terre montueuse des Gorayni et anéantirait en eux tout désir de gouverner. On trancherait les pouces des hommes en âge de se battre, afin qu’ils ne puissent plus manier ni arc ni épée, et à chaque pouce qui tomberait, les Gorayni comprendraient un peu plus la douleur des Sotchitsiya à la langue mutilée.

Que Dieu essaye de l’arrêter, maintenant !

Mais Dieu n’en ferait rien, il le savait. Au cours de ces derniers jours, depuis que Mouj l’avait défié et s’était engagé vers le sud pour s’emparer de Basilica, Dieu n’avait rien tenté contre lui, rien fait pour dresser obstacle contre lui. Mouj s’était vaguement attendu que Dieu lui fasse oublier les plans qu’il établissait. Mais Dieu devait maintenant savoir que cela ne servirait à rien, car ces plans étaient si parfaits et si clairs que Mouj ne pourrait que les retrouver, et les retrouver encore, s’il le fallait.

À moi le renversement des Gorayni et l’unification de la côte occidentale ! À mon fils la conquête de Potokgavan, la civilisation des tribus forestières du Nord, la soumission des pirates de la côte septentrionale ! À mon fils, fils de ma femme !

De laquelle s’agira-t-il ? La sibylle de l’eau était la plus puissante des deux, celle qui jouissait du plus grand prestige ; mais c’était aussi la plus jeune, trop jeune, en vérité. Les gens risquaient de la plaindre d’une telle union, à moins que Mouj n’arrive à la persuader de venir à lui de son plein gré.

Mais l’autre, la déchiffreuse, dont le prestige était moindre, celle-là ferait quand même l’affaire, et elle avait seize ans. Seize ans, le bon âge pour un mariage politique, car elle n’avait pas d’anciens époux et, si Bitanke ne se trompait pas, aucun amant connu. Et une part du prestige de la sibylle rejaillirait sur l’union, parce que la déchiffreuse était sa sœur et que Mouj veillerait à ce que la sibylle soit bien traitée – et liée de près à la nouvelle dynastie qu’il s’apprêtait à fonder.

C’était un plan très séduisant. Ne restait plus à Mouj qu’à se sentir sûr de son fait – assez pour agir, assez pour se rendre chez Rasa et manœuvrer pour obtenir la main d’une des deux filles.

On frappa un coup à la porte. Mouj répondit par un tambourinement sur la table. Un soldat entra.

« Mon général, dit-il, nous avons fait une intéressante arrestation devant la maison de dame Rasa. »

Mouj, levant les yeux de la carte, attendit la suite du message.

« Le dernier fils de dame Rasa. Celui qui a tué Gaballufix.

— Il s’est enfui au désert, répliqua Mouj. Êtes-vous sûrs qu’il ne s’agit pas d’un imposteur ?

— C’est très possible, répondit le soldat. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il est sorti de la maison de Rasa, qu’il s’est avancé droit sur le sergent en poste pour décliner son identité, puis qu’il a prétendu vous parler tout de suite de questions qui détermineront votre avenir et celui de Basilica.

— Ah !

— Alors, ou bien c’est le garçon aux bourses d’airain qui a décapité Gaballufix et qui s’est échappé de la cité avec ses vêtements, ou bien c’est un fou qui a envie de mourir.

— Ou bien les deux, rétorqua Mouj. Fais-le entrer, et prépare une escorte de quatre hommes pour le ramener ensuite directement chez dame Rasa. Si je le gifle quand vous ouvrirez la porte pour le remmener, vous le tuerez sous l’auvent de la maison de Rasa. Si je lui souris, vous le traiterez avec courtoisie et honneur. Par ailleurs, il est en état d’arrestation et ne doit plus quitter la place. »

Le soldat laissa la porte ouverte en partant, et Mouj se rassit. C’est bien, pensait-il ; je ne suis pas obligé de rechercher les protagonistes des jeux sanglants de cette cité. Ils viennent tous à moi, l’un après l’autre. Nafai, censément au désert, en sécurité, hors de ma portée… se trouvait en fait chez dame Rasa ! Quelles autres surprises sa maison renferme-t-elle ? Les autres fils ? Comment Bitanke les avait-il décrits ?… Elemak, le caravanier vif et dangereux ; Mebbekew, le pénis ambulant ; Issib, l’infirme surdoué. Et pourquoi pas Wetchik lui-même, l’horticulteur visionnaire ? Tous attendent peut-être entre les murs de cette résidence que je décide comment les utiliser.

Était-il possible que Dieu eût choisi de favoriser la cause de Mouj ? Qu’aujourd’hui, plutôt que de le contrecarrer, Il aidât Mouj en lui faisant cadeau de tous les instruments dont il avait besoin pour atteindre son but ?

Je n’incarne certes rien d’autre que moi-même, songea-t-il ; et je ne prétends pas du tout à la sainteté comme le fait l’Impérator. Mais si Dieu accepte enfin de me prêter main-forte, je ne vais pas refuser. Peut-être, dans le cœur de Dieu, l’heure des Sotchitsiya a-t-elle sonné.