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— Jusqu’à mon arrivée, dit Mouj.

— Vos conquêtes dépassent en effet de loin le périmètre qu’autorise normalement Surâme.

— Parce que je ne suis pas l’esclave de Dieu. Quel que soit le pouvoir qu’il a sur les autres hommes – Lui ou cet ordinateur, si tu dis vrai –, ce pouvoir est affaibli chez moi, car j’y ai résisté et je l’ai brisé. Si je suis ici aujourd’hui, c’est que je suis trop fort pour Dieu.

— Oui, il nous a dit que tel est votre sentiment, répondit Nafai. Mais en réalité, l’influence de Surâme est encore plus forte chez vous que chez la plupart des gens, et sans doute autant que chez moi. Si vous vous ouvriez à sa voix, Surâme pourrait vous parler directement et vous n’auriez pas besoin que je vous dise ce que je suis venu vous raconter.

— Si Surâme s’est prétendu plus puissant en moi qu’en la plupart des gens, c’est que ton ordinateur est un menteur !

— Non, comprenez-moi : Surâme ne s’intéresse pas vraiment à la vie personnelle de chacun, sauf dans la mesure où il mène un programme de croisements dans le but de créer des personnes comme moi – et comme vous, naturellement. Ça ne m’a pas fait plaisir du tout de l’apprendre, mais c’est la raison de mon existence, ou du moins la raison pour laquelle mes parents ont été réunis. Surâme manipule les gens ; c’est son travail. Vous, il vous manipule presque constamment.

— J’ai bien senti qu’il l’essayait. Je l’ai appelé Dieu, tu le nommes Surâme, mais jamais il ne m’a contrôlé.

— Mais si : dès qu’il s’est rendu compte que vous aviez l’intention de lui résister, il a simplement inversé le processus. Ce qu’il voulait vous voir faire, il vous l’interdisait ; puis il veillait à ce que vous n’oubliiez pas de le faire et vous obéissiez presque à la perfection.

— C’est un mensonge ! » murmura Mouj.

Nafai s’effraya en voyant les émotions qui agitaient cet homme. Le général n’avait manifestement pas l’habitude d’être la proie de sentiments qu’il ne pouvait pas contrôler ; Nafai se demanda s’il ne devrait pas le laisser se calmer avant de poursuivre. « Ça va ? demanda-t-il.

— Continue, répondit Mouj d’un ton acide. Je ne crains pas ce que peut me dire un mort ! »

La mesquinerie de cette réflexion dégoûta Nafai. « Ah, il faudrait que je modifie mon histoire parce que vous me menacez de mort ? Mais si j’avais peur de mourir, croyez-vous que je serais ici ? »

Une transformation visible s’opéra chez Mouj, comme s’il se reprenait d’un coup. « Pardonne-moi, dit-il. L’espace d’un instant, j’ai réagi comme ceux que je méprise le plus ; j’ai proféré une menace pour changer le message d’un envoyé persuadé qu’il me dit la vérité. Mais je puis t’assurer, quels que soient mes sentiments, que si tu meurs aujourd’hui, ce ne sera pour aucune de tes paroles. Poursuis, je t’en prie.

— Comprenez ceci, reprit donc Nafai : si Surâme veut que vous oubliiez quelque chose, vous l’oublierez inévitablement. Mon frère Issib et moi, nous nous sommes crus très malins d’arriver à forcer ses barrières ; mais nous ne les avons pas vraiment forcées : simplement, nous sommes devenus tellement casse-pieds que Surâme n’a plus jugé utile de nous résister. Il préfère que nous suivions ses plans en toute connaissance de cause plutôt que d’être obligé de nous manipuler. Et voilà pourquoi je suis ici : la sœur de ma femme a vu en rêve la force de votre lien avec Surâme et le gaspillage que représentent vos vains efforts pour le contrarier. Je suis venu vous dire que le seul moyen de vous libérer de son contrôle, c’est d’embrasser son plan.

— La victoire dans la reddition ? demanda Mouj avec un sourire mi-figue, mi-raisin.

— La liberté dans le renoncement à résister et dans la communication, rectifia Nafai. Surâme est le serviteur de l’humanité, pas son maître. On peut le convaincre ; il écoutera. Il a parfois besoin de notre aide. Et nous, général, nous avons besoin de vous, si vous acceptez de nous accompagner.

— De vous accompagner ?

— Mon père a été appelé au désert ; et c’est le premier pas d’un immense voyage.

— Allons donc ! Ce sont les machinations de Gaballufix qui ont chassé ton père au désert ! J’ai parlé avec Rashgallivak, et on ne peut me tromper.

— Croyez-vous honnêtement que parler avec Rashgallivak soit le moyen le plus sûr de ne pas se faire tromper ?

— S’il m’avait menti, je le saurais.

— Mais s’il croyait à ce qu’il vous disait, sans que ce soit pourtant la vérité ? »

Mouj ne répondit pas.

« Je vous le répète, indépendamment de la cause immédiate qui a provoqué notre départ à telle heure de tel jour, c’est par le dessein de Surâme que Père, mes frères et moi sommes allés au désert pour y entreprendre notre voyage.

— Et pourtant, te voici en ville.

— Je vous l’ai dit : je me suis marié hier soir. Mes frères aussi.

— Elemak, Mebbekew et Issib. »

Nafai fut surpris et un peu effrayé que Mouj en sût si long sur sa famille. Mais il avait résolu de dire la vérité, et il s’y tiendrait. « Non, Issib est resté avec Père. Il voulait venir, pourtant, et moi aussi je le voulais, mais Elemak a refusé tout net et Père était d’accord avec lui. Nous sommes venus chercher des épouses, en plus de celle de Père. À notre arrivée, Mère a éclaté de rire en disant que jamais elle n’irait au désert, quel que soit le projet dément que Wetchik avait en tête. Mais à ce moment, vous avez donné l’ordre de l’arrêter et fait courir des rumeurs sur elle ; résultat, vous l’avez coupée de Basilica, elle a compris maintenant qu’elle n’a plus rien à espérer ici, et elle aussi va nous accompagner au désert.

— Tu prétends que mes décisions faisaient partie d’un plan de Surâme pour pousser ta mère à rejoindre son époux sous une tente ?

— J’affirme que vos desseins ne pouvaient que servir les plans de Surâme, inévitablement. C’est toujours comme ça, général. Ç’a toujours été comme ça.

— Mais que se passerait-il si je refusais à ta mère le droit de quitter son domicile ? Si je vous gardais, tes frères, vos femmes et toi, ici, en état d’arrestation ? Si j’envoyais des soldats empêcher Shedemei de réunir des semences et des embryons pour votre voyage ? »

Nafai fut abasourdi. Il était au courant pour Shedemei ? Impossible ! Jamais elle n’en aurait parlé autour d’elle ! De quoi donc ce Mouj était-il capable si, arrivant dans une cité inconnue, il pouvait savoir tant de choses si vite, au point d’en déduire que les semences que réunissait Shedemei avaient un rapport avec l’exil de Père ?

« Eh bien, tu vois ! reprit Mouj. Surâme n’a aucun pouvoir où je règne, moi !

— Vous pouvez nous garder prisonniers. Mais quand Surâme décidera que notre heure est venue de partir, vous vous apercevrez que vous avez une raison incontournable de nous laisser aller, et vous nous laisserez aller.

— Si Surâme veut que vous partiez, mon garçon, vous ne partirez pas, tu peux me croire.

— Mais vous ne comprenez pas ! Je ne vous ai pas dit l’essentiel : peu importe cette guerre que vous croyez mener contre je ne sais quelle version de Surâme, ce que vous nommez Dieu ; ce qui compte, c’est le rêve que vous avez fait. Celui sur les bêtes volantes et les rats géants. »

Mouj attendit la suite, et Nafai le vit profondément troublé.

« Ce n’est pas Surâme qui a envoyé ce rêve, reprit-il. Il n’en comprend pas lui-même le sens.