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Oh, pardonne-moi ! s’écria-t-elle silencieusement, confuse.

Ah, et puis, tant pis ! Elle se retourna et chercha le sommeil ; ses doigts séchaient dans les courants d’air ténus qui pénétraient par les fenêtres.

Elle s’endormit enfin, et elle rêva.

Dans son rêve, elle était dans un bateau sur le lac des femmes et en face d’elle, au gouvernail, se trouvait Surâme. Rasa ne l’avait jamais vue, mais comme il s’agissait d’un songe, elle la reconnut aussitôt. Surâme ressemblait beaucoup à feu la mère de Wetchik – une femme sévère, mais non dépourvue de bonté.

« Continue à ramer », dit Surâme.

Rasa baissa les yeux et vit qu’elle tenait les avirons. « Je n’en ai pas la force !

— Mais si ; tu vas t’étonner toi-même !

— Je n’y tiens pas du tout. J’aimerais bien mieux être à ta place ; après tout, c’est toi la divinité, c’est toi qui disposes d’une puissance infinie. Alors, rame, toi, et moi, je gouverne.

— Je ne suis qu’un ordinateur. Je n’ai ni bras ni jambes ; c’est donc toi qui dois ramer.

— Ah oui ? J’aperçois d’ici tes bras et tes jambes, moi, et nettement plus musclés que les miens. De plus, j’ignore où tu nous emmènes ; je ne vois pas où nous allons parce que je suis tournée vers l’arrière.

— Je sais, répondit Surâme. Voilà comment tu as passé toute ton existence : tournée vers l’arrière ; toujours à vouloir reconstruire un passé glorieux.

— Eh bien, si ça te déplaît, aie l’intelligence de changer de place avec moi. Laisse-moi voir l’avenir, pendant que tu rameras, pour changer.

— Tous, vous n’arrêtez pas de me bousculer ! Je commence à regretter de vous avoir créés ! Quand vous me connaissez de trop près, vous perdez tout respect.

— Comment nous le reprocher ? Attends, on ne peut pas passer l’une à côté de l’autre ; le bateau est trop étroit, il va chavirer. Passe entre mes jambes, la barque ne tanguera pas. »

Surâme se mit à marmonner tout en se pliant à quatre pattes. « Tu vois ? Plus aucun respect !

— Si, je te respecte, dit Rasa. Mais je ne me fais pas d’illusions sur ton infaillibilité. Nafai et Issib te décrivent comme un ordinateur, ou plutôt un programme qui vit dans un ordinateur. Par conséquent, tu n’es pas plus sage que ceux qui t’ont programmée.

— Ils m’ont peut-être programmée pour apprendre la sagesse. Au bout de quarante millions d’années, j’ai peut-être même retenu quelques bonnes idées.

— Oh, je n’en doute pas ! Il faudra que tu m’en exposes une, un de ces jours – parce que jusqu’à présent, je n’ai rien vu de tel.

— Tu n’as peut-être pas vu tout ce que j’ai fait. »

Rasa s’installa à l’arrière de l’embarcation, la main sur la poupe, et constata avec satisfaction que, tenant les avirons d’une poigne ferme, Surâme leur appliquait une puissante traction.

Pourtant, la barque fit une simple embardée en avant, puis s’immobilisa. Étonnée, Rasa regarda autour d’elle et vit alors qu’elles ne se trouvaient plus sur l’eau, mais au milieu d’un désert de sable qui ondulait.

« Alors ça, c’est franchement minable ! jeta-t-elle.

— Je ne peux pas dire que tes talents de barreuse m’impressionnent beaucoup, remarqua Surâme. Tu ne comptes pas, j’espère, que je rame sérieusement là-dedans !

— Mes talents de barreuse ? Mais c’est toi qui nous as fourrées dans ce désert !

— Et tu aurais fait mieux que ça, à ma place ?

— Ça ne m’étonnerait pas. Par exemple, où sont les chameaux ? Il nous en faut. Et les tentes ? Assez pour… voyons, combien sommes-nous ? Elemak et Eiadh, Mebbekew et Dol, Nafai et Luet – et Hushidh, évidemment. Ça fait sept. Et moi. Et puis, il vaudrait mieux emmener Sevet et Kokor, et leurs époux, s’ils veulent bien venir ; ça fait douze. Qu’est-ce que j’oublie ? Ah, oui, bien sûr : Shedemei avec toutes ses semences et ses embryons – ça fait combien de caissons, ça ? Je ne sais plus ; il faut prévoir au moins six chameaux rien que pour son matériel. Et notre équipement à nous ? Je ne sais même pas comment calculer ça. Nous sommes treize ; ça fait du monde à nourrir et à coucher, dans un voyage.

— Et pourquoi m’en parler à moi ? demanda Surâme. Tu crois que j’ai des chameaux et des tentes en dépôt au fond de ma mémoire ?

— Et voilà, c’est bien ce que je pensais ! Tu n’as rien prévu pour le voyage ! Tu ne sais donc pas que ce genre de chose ne se prépare pas au dernier moment ? Si tu ne peux rien pour moi, trouve-moi au moins quelqu’un qui puisse m’aider. »

Surâme l’entraîna vers une colline, au loin. « Ce que tu peux être dirigiste ! dit-elle. Normalement, c’est moi la gardienne de l’humanité, si tu veux bien ne pas l’oublier !

— Eh bien, c’est parfait : continue à faire ton travail tandis que je m’occupe des gens que j’aime. Qui va tenir ma maison quand je ne serai plus là ? Tu y as pensé, dis moi ? Tous ces professeurs et tous ces élèves qui dépendent de moi !

— Ils rentreront chez eux. Ils trouveront d’autres professeurs ou d’autres emplois. Tu n’es pas indispensable. »

Elles avaient atteint le sommet de la colline – comme dans tous les rêves, elles étaient capables de se déplacer très vite à certains moments et très lentement à d’autres. Arrivée là-haut, Rasa vit qu’elle se trouvait dans sa rue à Basilica. Elle ne s’était jamais doutée qu’il existait un chemin direct depuis sa rue jusqu’au désert, par la colline. Elle promena son regard autour d’elle pour repérer la route que lui avait fait prendre Surâme et se retrouva nez à nez avec un soldat. Pas un Gorayni, à son grand soulagement, mais un officier de la garde basilicaine.

« Dame Rasa, dit-il d’un ton plein de révérence.

— J’ai du travail pour vous, répondit-elle. Surâme se serait volontiers chargée de vous avertir auparavant, mais elle a préféré m’abandonner cette tâche. J’espère que cela ne vous dérange pas de m’aider ?

— Mon seul désir est de servir Surâme.

— Alors, j’espère que vous ferez preuve d’ingéniosité et que vous remplirez cette mission convenablement, parce que je n’y connais pas grand-chose et je devrai m’en remettre souvent à votre jugement. Tout d’abord, nous serons treize.

— Treize pour quoi faire ?

— Pour un voyage dans le désert.

— Mais le général Mouj vous a assignés à résidence.

— Oh, Surâme s’occupera de ça ! Je ne peux quand même pas tout faire !

— Parfait, dans ces conditions, dit l’officier. Nous disons donc : un voyage dans le désert à treize.

— Il nous faudra des chameaux et des tentes.

— Des grandes ou des petites ?

— Quelle taille font les unes et les autres ?

— Les grandes peuvent abriter jusqu’à douze occupants, mais celles-là sont très difficiles à monter. Pour les plus petites, deux personnes.

— Des petites, alors. Tout le monde couchera en couple ; il faudra juste une tente pour trois, Hushidh. Shedemei et moi.

— Hushidh la déchiffreuse ? Elle s’en va ?

— Peu importe la liste des voyageurs ; ça ne vous regarde pas.

— Je ne crois pas que Mouj acceptera qu’Hushidh s’en aille.

— Il n’accepte pas non plus que je m’en aille… pour l’instant. Vous prenez des notes, j’espère ?

— Je me souviendrai de tout.

— Parfait. Des chameaux pour nous transporter, des tentes pour le couchage, et puis des chameaux pour convoyer les tentes, et encore d’autres pour des vivres en prévision d’un voyage de… oh, combien ? Je ne m’en souviens plus… Dix jours, ça devrait aller.