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— Ça fait beaucoup de chameaux.

— Je n’y peux rien. Vous êtes officier, vous devez savoir où sont les bêtes et comment les obtenir.

— En effet.

— Ah, autre chose encore : une demi-douzaine de chameaux en plus pour les caissons secs de Shedemei. Mais elle s’en est peut-être déjà occupée de son côté : il faudra vérifier avec elle.

— Quand avez-vous besoin de tout cela ?

— Tout de suite. J’ignore quand ce voyage débutera – nous sommes sous le coup d’une assignation à résidence, comme vous le savez peut-être…

— Je suis au courant.

— Mais nous devons nous tenir prêts à partir dans l’heure, quand le moment sera venu.

— Dame Rasa, je ne peux rien faire sans l’accord de Mouj. C’est lui qui dirige la cité, à présent, et moi, je ne suis même pas commandant de la garde.

— Très bien, dit Rasa. Je vous donne l’accord de Mouj.

— Mais vous n’en avez pas l’autorité ! protesta l’officier.

— Surâme ? appela Rasa. Tu ne crois pas que c’est le moment d’intervenir ? »

Aussitôt, Mouj en personne apparut à côté de l’officier. « Vous avez parlé à dame Rasa, dit-il d’un air sévère.

— C’est elle qui m’a abordé, répondit l’officier.

— C’est parfait. J’espère que vous avez bien fait attention à tout ce qu’elle vous a dit.

— Vous m’autorisez donc à lui obéir ?

— Je ne peux pas, pour le moment, dit Mouj. Pas officiellement, en tout cas, parce que pour l’instant, je ne sais pas encore que mon désir sera de vous voir lui obéir. Vous devez donc vous y prendre très discrètement, afin que même moi, je n’en sache rien. Vous comprenez ?

— J’espère que ça ne me causera pas trop d’ennuis si vous l’apprenez.

— Non, ne vous inquiétez pas. Je n’en saurai rien, tant que vous ne viendrez pas me le dire vous-même.

— Voilà qui me soulage !

— Quand viendra le temps où je voudrai que ce voyage ait lieu, je vous ordonnerai de vous occuper des préparatifs. Vous n’aurez qu’à dire : oui, général, c’est réalisable sur-le-champ. Et, je vous en prie, ne m’importunez pas en faisant remarquer, par exemple, que tout est prêt depuis midi ; je ne veux pas avoir l’impression que mes ordres ne sont pas l’effet d’une impulsion. Compris ?

— Très bien, général.

— Je ne voudrais pas avoir à vous tuer, alors ne me mettez pas dans l’embarras, d’accord ? Je pourrais avoir besoin de vous par la suite.

— Comme vous voudrez, général.

— C’est bon, rompez », dit Mouj.

Aussitôt, l’officier de la garde disparut.

Mouj reprit l’aspect de Surâme dans le rêve de Rasa. « Eh bien, je crois que la question est réglée, Rasa, dit-elle.

— J’en ai l’impression, en effet.

— Parfait. Tu peux te réveiller, maintenant. Le vrai Mouj ne va pas tarder à sonner à ta porte, et il faut que tu sois prête à l’affronter.

— Ah, merci beaucoup ! dit Rasa, plus que mécontente. Je n’ai pratiquement pas dormi et tu m’obliges à me lever déjà ?

— Je ne suis pas responsable de l’heure, rétorqua Surâme. Si Nafai n’avait pas été si pressé de sortir pour demander une entrevue à Mouj dès potron-minet, tu aurais pu dormir jusqu’à une heure raisonnable.

— Mais quelle heure est-il donc ?

— Je te l’ai dit : réveille-toi et regarde l’horloge. »

Là-dessus, Surâme disparut et Rasa s’éveilla, les yeux fixés sur l’horloge. Le ciel commençait à peine à virer au gris de l’aube et elle dut sortir de son lit pour aller lire l’heure de près. Elle eut un gémissement de lassitude et alluma une lampe. Trop tôt, beaucoup trop tôt pour se lever ! Mais aussi étrange qu’il eût été, le rêve avait dit vrai sur un point : quelqu’un sonnait à la porte.

À cette heure-là, les domestiques n’avaient pas le droit d’ouvrir avant que Rasa elle-même eût été prévenue, et elles furent surprises de la voir descendre si promptement dans le vestibule.

« Qui est-ce ? demanda-t-elle.

— Votre fils, dame Rasa. Et le général Vozmuj… le général.

— Ouvrez, puis vous pourrez vous retirer. »

La cloche de nuit n’était pas assez forte pour réveiller toute la maison, si bien que le vestibule était presque désert. Une fois la porte ouverte, Nafai et Mouj entrèrent ensemble, seuls. Aucun soldat ne les suivait – bien qu’il dût s’en trouver en poste dans la rue. Cependant, un souvenir s’imposa à Rasa : celui des visites de deux hommes qui prétendaient gouverner la cité de Basilica. Gaballufix et Rashgallivak étaient tous deux venus accompagnés de soldats masqués par des hologrammes, moins dans l’espoir de la terrifier, elle, que d’étayer leur propre assurance. Le fait que Mouj n’eût pas besoin d’escorte était significatif.

« J’ignorais que mon fils traînait dans les rues à cette heure de la nuit, dit Rasa. Je vous remercie de me l’avoir ramené.

— Maintenant qu’il est marié, répondit Mouj, vous n’allez sûrement plus surveiller d’aussi près ses allées et venues, n’est-ce pas ? »

Rasa eut un mouvement d’impatience. Mais à quoi pensait donc Nafai, à crier sur les toits qu’il avait épousé la sibylle de l’eau la veille ? Était-il donc incapable de discrétion ? Oui, évidemment, sinon il ne serait pas sorti pour se faire embarquer par les soldats de Mouj. Quoi, avait-il tenté de s’échapper ?

Mais non ; il s’agissait d’autre chose… Oui ! Dans le rêve, Surâme avait parlé de Nafai pressé de sortir pour demander une entrevue à Mouj. « J’espère qu’il ne vous a pas causé d’ennuis, dit Rasa.

— Si, un peu, je l’avoue, répondit Mouj. J’avais espéré qu’il m’aiderait à mener Basilica à la grandeur qu’elle mérite, mais il a refusé cet honneur.

— Pardonnez mon ignorance, mais je ne vois pas bien comment mon fils pourrait ajouter de la grandeur à une cité qui est déjà une légende dans le monde entier. Est-il une cité plus ancienne et plus sacrée que Basilica ? En est-il une autre qui ait aussi longtemps connu la paix ?

— C’est une cité solitaire, ma dame, une cité isolée. Une cité de pèlerins. Mais bientôt, j’espère en faire la cité des ambassadeurs de tous les grands royaumes de ce monde.

— Qui viendront sans doute sur une mer de sang.

— Pas si tout se déroule bien. Et si j’obtiens une coopération digne de ce nom.

— De la part de qui ? De moi ? De mon fils ?

— Je sais que ma requête va vous paraître inopportune, mais j’aimerais voir deux de vos nièces ; l’une est la jeune épousée de Nafai ; l’autre est sa sœur célibataire.

— Je ne souhaite pas que vous les rencontriez.

— Mais elles, elles souhaiteront me voir, vous ne croyez pas ? Étant donné qu’Hushidh a seize ans et le droit légal de recevoir des visiteurs, et que Luet a aussi ce droit de par son mariage, j’espère que vous respecterez la loi autant que la courtoisie et que vous les informerez que je désire m’entretenir avec elles. »

Tout en le craignant, Rasa ne put s’empêcher d’admirer le général ; car, quand Gabya ou Rash auraient proféré des menaces ou des fanfaronnades, Mouj insistait simplement sur la courtoisie. Sans prendre la peine de rappeler à Rasa ses mille soldats, son pouvoir sur le monde, il comptait sur les bonnes manières de son interlocutrice, qui se retrouvait sans défense, car le bon droit n’était pas clairement dans son camp.

« J’ai renvoyé les domestiques, dit Rasa. Je vais attendre avec vous pendant que Nafai va chercher mes nièces. »