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L’expression de Nafai et de Luet montra qu’ils reçurent leurs réponses les premiers. Rasa attendit, attendit, et comprit pour finir qu’elle n’obtiendrait rien.

« Vous avez entendu ? demanda Nafai.

— Non, rien, dit Rasa. Rien du tout.

— Vous en voulez peut-être trop à Surâme pour entendre son message, dit Luet.

— À moins qu’elle ne me punisse, rétorqua Rasa. Machine vindicative ! Qu’avait-elle à dire ? »

Sans un mot, Nafai et Luet échangèrent un regard : les nouvelles n’étaient donc pas bonnes.

« Surâme n’a pas vraiment la situation en main, annonça enfin Luet.

— C’est ma faute, dit Nafai. Mon entrevue avec le général a tout avancé d’un jour au moins. Il avait déjà prévu d’épouser une des filles, mais sans mon intervention, il y aurait encore réfléchi au moins une journée.

— Une journée ! Quelle différence ?

— Surâme n’est pas sûre de pouvoir exécuter son meilleur plan si rapidement, dit Luet. Mais on ne peut pas non plus en vouloir à Nafai. Mouj est impétueux, brillant, et il aurait très bien pu se décider très vite sans Nafai et…

— … sa stupidité, proposa Nafai.

— Son audace, termina Luet.

— Donc, nous sommes condamnés à rester ici pour servir d’instruments à Mouj ? demanda Rasa. Enfin, il ne peut pas nous traiter avec plus de désinvolture que Surâme ne le fait.

— Mère ! dit Nafai, et son ton était tranchant. Surâme ne nous a pas maltraités. Qu’Hushidh épouse ou non Mouj, nous entreprendrons quand même notre voyage. Si elle se retrouve réellement unie à Mouj, elle se servira de son influence pour nous libérer ; il n’aura plus besoin de nous une fois acquise sa position dans la cité.

— Nous ? demanda Rasa. Il nous libérera ?

— Tous ceux d’entre nous qui sont prévus pour le voyage, même Shedemei.

— Et Hushidh ?

— C’est là que Surâme est impuissante, dit Luet. Si elle ne peut pas empêcher le mariage, Hushidh restera.

— Alors, ma haine de Surâme sera éternelle ! s’exclama Rasa. Si elle inflige ça à ma douce Hushidh, plus jamais je ne la servirai ! Tu m’entends, Surâme ?

— Calmez-vous, Mère, dit Nafai. Si Hushidh avait refusé Mouj, alors j’aurais accepté de devenir consul, et ç’aurait été Luet et moi qui serions restés. D’une façon ou d’une autre, ça devait arriver.

— Et c’est censé me consoler ? fit amèrement Rasa.

— Vous consoler, vraiment ! s’écria Luet. Vous consoler, vous, dame Rasa ? Hushidh est ma sœur, ma seule famille ; vous, vous aurez près de vous tous les enfants que vous avez portés, et votre mari en plus. Que perdez-vous, à côté de ce que je vais perdre ? Et pourtant, me voyez-vous pleurer ?

— Tu le devrais !

— J’aurai toute la traversée du désert pour pleurer. Mais pour le moment, nous n’avons que quelques heures pour nous préparer.

— Oh, faut-il que je t’apprenne le déroulement de la cérémonie ?

— Elle ne durera que cinq minutes, dit Luet, et de toute façon, les prêtresses m’aideront. Non, le temps qui nous reste doit servir à faire les paquets pour le voyage.

— Le voyage ! » Rasa avait craché le mot avec fureur.

« Tout doit être prêt afin de charger les chameaux en cinq minutes, reprit Luet. Tu es d’accord, Nafai ?

— Il reste encore une chance que tout se passe bien, répondit-il. Mère, ce n’est pas le moment de baisser les bras. Toute votre vie, vous avez tenu bon face à toutes les provocations. Allez-vous vous effondrer maintenant, alors que nous avons tant besoin de vous pour faire obéir les autres ?

— Croyez-vous que nous obtiendrons, nous, de Sevet et de Vas, de Kokor et d’Obring, qu’ils se préparent à un voyage dans le désert ? demanda Luet.

— Pensez-vous qu’Elemak et Mebbekew accepteront de suivre des instructions qui viendront de moi ? » renchérit Nafai.

Rasa essuya ses larmes. « Vous m’en demandez trop. Je ne suis pas aussi jeune que vous. Je n’ai plus autant de ressort.

— Vous pouvez rebondir aussi haut que vous le voulez, dit Luet. Et maintenant, s’il vous plaît, dites-nous quoi faire. »

Alors Rasa ravala son chagrin et reprit son rôle habituel. Quelques minutes plus tard, la maison bruissait d’activité, les domestiques préparaient les affaires et les empaquetaient, les clercs rédigeaient des lettres de recommandation pour les professeurs et des rapports sur les progrès de chaque élève, afin qu’ils trouvent sans mal de nouveaux établissements après le départ de Rasa et la fermeture de l’école.

Puis elle enfila le long couloir qui menait à la chambre nuptiale d’Elemak ; l’épreuve allait être rude : il fallait informer les futurs voyageurs récalcitrants qu’ils devraient assister au mariage, puisque des soldats les y escorteraient, et se préparer pour un voyage dans le désert, puisqu’apparemment, et pour quelque raison inconnue, Surâme estimait qu’ils n’auraient pas assez souffert tant qu’ils ne vivraient pas au milieu des scorpions.

À l’Orchestre, et pas en rêve

Ce n’était pas ainsi qu’Elemak aurait souhaité passer la matinée qui suivait son mariage. C’aurait dû être un moment paisible, plein de langueur, où l’on fait l’amour, où l’on bavarde en se taquinant gentiment. Et voilà que ce moment s’était transformé en une frénésie de préparatifs – et de préparatifs parfaitement insuffisants, puisqu’on prévoyait un voyage dans le désert, semblait-il, alors qu’on ne disposait ni de chameaux, ni de tentes ni de ravitaillement. De plus, Eiadh avait très mal réagi à la situation, et c’était troublant. Là où la Dol de Mebbekew s’était montrée aussitôt coopérative – plus que Meb lui-même, ce mollasson ! – Eiadh n’avait cessé de faire perdre son temps à Elemak en l’accablant de protestations et de discutailleries. Ne pouvons-nous pas rester et les rejoindre plus tard ? Pourquoi faut-il que nous partions alors que c’est seulement tante Rasa qui est en état d’arrestation ?

Pour finir, Elemak avait envoyé Eiadh à Luet et Nafai pour qu’ils répondent à ses questions tandis qu’il supervisait l’empaquetage pour éliminer les vêtements inutiles – ce qui entraîna d’aigres discussions avec Kokor, la fille de Rasa, incapable de comprendre que ses robes légères et provocantes ne seraient pas particulièrement de mise dans le désert. Elemak avait fini par exploser, devant sa sœur Sevet et leurs deux maris : « Écoute, Kokor, le seul homme que tu auras là-bas, c’est ton mari, et quand tu auras envie de le séduire, tu n’auras qu’à enlever carrément tes habits ! » Sur quoi, il s’empara de la robe préférée de Kokor et la déchira par le milieu. Naturellement, elle se mit à pleurer et à hurler ; mais plus tard, il la vit se débarrasser d’un air noble de tous les vêtements qui lui tenaient à cœur – à moins qu’elle ne les échangeât contre des tenues plus pratiques, car Kokor n’avait probablement jamais rien possédé d’utile.

Comme si l’épreuve du paquetage n’avait pas suffi, il fallut encore supporter une mortifiante traversée de la cité. Au vrai, les soldats s’étaient donné du mal pour se faire discrets ; on ne voyait nulle part de troupes brutales marchant au pas. Mais c’étaient néanmoins des soldats gorayni, et les passants – qui se rendaient eux aussi à l’Orchestre – faisaient le vide autour d’eux avant de les regarder bouche bée. « On dirait qu’ils nous considèrent comme des criminels », dit Eiadh. Mais Elemak la rassura : la plupart des badauds les prenaient sans doute pour des hôtes de marque qu’on honorait d’une escorte militaire, et aussitôt Eiadh eut l’air satisfaite. Cette puérilité gênait vaguement Elemak ; Père ne l’avait-il pas prévenu que les épouses jeunes, si elles possédaient un corps mince et souple, avaient aussi l’esprit léger ? Eiadh était jeune, tout simplement ; Elemak ne pouvait espérer qu’elle prenne la situation avec sérieux, ni même qu’elle fasse la différence entre ce qui était sérieux et ce qui ne l’était pas.