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Les officiers sortirent sans rien dire. Gilles s’apprêtait à les suivre mais le jeune Général le retint :

— Un instant, s’il vous plaît ! fit-il sèchement. Je dois vous féliciter, Lieutenant ! Il n’est bruit que de vos exploits chez messieurs les aides de camp du comte de Rochambeau. Vous auriez sauvé, cette nuit, le comte de Fersen ?

— La chose ne vaut pas la peine qu’on en parle, mon Général…

Le ton de La Fayette avait quelque chose d’agressif dont il ne comprenait pas la raison mais qu’il n’aimait pas.

— Croyez-vous ? Je pense, au contraire que vous avez fait là une opération excellente, la meilleure sans doute de toute votre vie car désormais votre avenir est assuré. La Reine n’aura rien à vous refuser !

— La R…

— Ne me regardez pas de cet air effaré ? Oui, la Reine ! M. de Fersen est fort de ses amis… et elle déteste qu’on lui abîme ses amis, notre éblouissante souveraine. Ah ! je vous félicite ! Ce muguet de cour lui est fort cher !…

Ainsi donc, c’était cela, le secret du Suédois ? Il tenait en deux petits mots, en sept lettres brèves et redoutables : la Reine ! C’était la Reine qu’il aimait et, tout à coup, Gilles absurdement, eut envie de voir à quoi ressemblait cette Margaret Collins, à cause de qui le Suédois avait failli finir dans l’estomac d’un requin.

Mais que Fersen aimât ou non l’épouse de son Roi, cela n’expliquait pas le ton hargneux de La Fayette, le pli méprisant de sa bouche et ce regard plein de rancune. Quels étaient donc ses sentiments à lui envers Marie-Antoinette ? Le Breton n’ignorait pas ce qu’il pensait des rois en général mais il considérait plutôt ses tirades enflammées comme autant de vues de l’esprit suggérées par l’aventure que tous vivaient depuis des mois. La Fayette, nourri au lait de l’Encyclopédie, affilié à des loges maçonniques ne pouvait professer d’idées essentiellement monarchiques. Mais la Reine était une femme…

— Monsieur le Marquis, dit Gilles froidement en appuyant intentionnellement sur le titre, Sa Majesté ne me connaît pas et ne me connaîtra sans doute jamais. Cependant vous me permettrez de m’étonner d’avoir entendu, sur une terre étrangère, son nom prononcé sans respect par un gentilhomme français.

Il crut, un instant, que le général allait éclater sous l’afflux violent du sang.

— Le respect ? Pauvre imbécile ! On voit bien que vous venez de votre province ! Allez une fois, une seule fois à la cour, regardez le cercle de la Reine et venez ensuite me dire combien de ces beaux gentilshommes qui l’entourent pensent à elle comme à leur souveraine ou bien rêvent tout simplement de la mettre dans leur lit.

Les yeux de glace bleue dévisagèrent La Fayette parvenu aux limites extrêmes de la fureur puis, du haut de sa taille, le Gerfaut laissa tomber, dédaigneusement :

— Il ne me convient pas d’en entendre davantage. Je viens de ma province en effet qui, d’ailleurs, vaut bien la vôtre ; mais vos propos sont de nature à me laisser croire que vous avez fait partie de ces gentilshommes dont vous me parlez… et que vous êtes tout simplement jaloux de M. de Fersen ! Car, si j’ai bien compris, vous me reprochez d’avoir sauvé un compagnon d’armes !

Il sortit juste à temps pour éviter le jet brutal d’un encrier, dont les éclaboussures lui firent cadeau de quelques taches supplémentaires et retrouva le soleil avec un soulagement physique. La scène qui venait de se passer lui déplaisait car il avait commencé de s’attacher à un chef dont il admirait le courage et il n’aimait pas avoir à revenir sur ses sentiments.

— Que se passe-t-il ? demanda Tim qui vint à sa rencontre. Je l’ai entendu crier depuis le bas de la colline ! Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Le sourire de Gilles se fit provocant tandis que d’un geste nonchalant il ôtait son tricorne cabossé pour en considérer la plume rouge.

— Rien du tout ! Un point de protocole sur lequel nous ne sommes pas d’accord. Vois-tu, je crois que M. de La Fayette est devenu trop bon Américain pour être encore un Français convenable… Je lui croyais le cœur plus grand.

Et, comme par mégarde, il ouvrit les doigts, laissant le vent emporter la plume rouge qui voltigea doucement vers la plaine.

L’assaut commença vers cinq heures. Appuyées par le tir incessant des canons de Knox et de Choisy, les deux vagues s’élancèrent vers les redoutes. Les troupes royales partirent comme à la parade, dans un ordre impressionnant emmenées par le baron de Viomenil et le comte de Deux-Ponts. Deux régiments seulement : le Royal Deux-Ponts et le Régiment de Saintonge, deux murs, blanc et garance, bleu et jaune, qui, au son des fifres et des tambours, marchèrent vers la mitraille anglaise sans qu’un pas plus rapide vînt troubler la magnifique ordonnance…

Côté américain, ce fut tout différent.

— En avant ! hurla La Fayette, chargez !

Il fonça, l’épée haute, suivi d’Hamilton de Gimat et de toute sa bande. Les hommes chargèrent avec fureur se ruant comme des lions à l’escalade des parapets. Pour la première fois, Gilles connut la griserie du combat sous un ciel vide. Tandis que Tim se servait alternativement de sa baïonnette ou de la crosse de son fusil comme d’une massue, il escalada l’escarpement l’épée haute, Pongo sur ses talons jouait du tomahawk en virtuose sans se soucier des balles qui sifflaient autour de lui. Le parapet atteint, Gilles plongea avec un cri de triomphe, dans ce qui lui parut une fourmilière de bonnets pointus : les Hessois du régiment von Bose. Le goût héréditaire de la bataille le possédait à présent tout entier, vieille résurgence née dans la nuit des temps, l’emportant au-delà de tout raisonnement, balayant l’élémentaire instinct de conservation. D’un élan irrésistible, il troua la masse humaine qui s’ouvrit devant lui, aperçut le drapeau troué par les balles mais encore debout sur un tas de décombres, courut à lui et l’arracha.

Un « Hurrah ! » triomphal répondit à son cri de victoire. Il s’aperçut alors que le combat cessait d’un seul coup, que la redoute était prise. Ses défenseurs étaient tous morts ou prisonniers. Tout était fini… déjà !

Déçu que la chose eût été si rapide, il sauta de son tas de décombres, le drapeau d’une main et se trouva nez à nez avec La Fayette qui lui sourit encore que ce sourire n’atteignît pas ses yeux froids.

— Beau travail, Lieutenant ! Il est seulement dommage que vous ayez perdu votre plume dans l’ardeur du combat.

— Je ne l’ai pas perdue, monsieur, je l’ai enlevée.

— Ah !… Je comprends ! Eh bien, Lieutenant, puisque vous semblez brûler de vous distinguer, et que les troupes royales vous intéressent tant je vais vous confier une mission…

— À vos ordres !

La Fayette se détourna, alla jusqu’au parapet d’où l’on pouvait découvrir l’autre redoute. Un tir nourri l’enveloppait toujours et, de ce fait, les troupes françaises avançaient plus lentement.

— Comme vous pouvez le constater, ils ne sont pas encore arrivés.

— Les défenseurs me paraissent aussi plus nombreux.

— C’est possible ! Néanmoins, allez trouver de ma part le baron de Viomenil, faites-lui mes compliments… et dites-lui que s’il avait, d’aventure, besoin d’un peu d’aide, nous nous ferions un plaisir de lui prêter main-forte.

Le jeune homme s’inclina avec un froid sourire.

— C’est avec plaisir, mon Général, que je ferai votre commission… mais moins pour celui de river son clou au baron que pour la joie de combattre encore…