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Il s’approcha doucement, maudissant les lames du parquet de sapin qui criaient sous son poids et resta un moment à la contempler, retenant son souffle, jouissant avidement de sa beauté.

La masse de ses cheveux défaits entourait la jeune femme d’un halo sombre dans lequel son visage brillait comme une fleur d’or. Ses longs cils mettaient une ombre douce sur ses joues que la chaleur teintait de rose et ses lèvres humides s’entrouvraient comme si, dans son sommeil, elle attendait un baiser. Émerveillé, Gilles ne pouvait encore croire que de la nuit froide du dehors il fût passé à ce délicieux paradis féminin.

Il allait peut-être se pencher sur la dormeuse quand, sans même ouvrir les yeux, elle murmura :

— Tu es venu vite ! Je n’ai pas eu le temps de m’endormir. C’est très aimable à toi…

L’ironie du ton rompit le charme. Gilles se raidit.

— Tu m’as demandé. Je n’avais aucune raison de te faire attendre. Que veux-tu de moi ?

— Un simple renseignement. Est-ce toi qui me reconduiras auprès de mon sage époux Sagoyewatha ?

— Non. Le général Washington ne le veut pas…

Soudainement, elle ouvrit les yeux, l’enveloppant de leur chaleur lumineuse où pétillait une moquerie légère.

— Tu le lui as donc demandé ?

— En effet ! J’estimais qu’il était de mon devoir de te reconduire moi-même et, en même temps, de me laver, aux yeux de ton époux, de l’accusation d’enlèvement que Hiakin a dû faire peser sur moi.

L’Indienne sourit, referma à demi ses yeux, examinant sournoisement le jeune homme à travers la frange de ses cils, s’avouant que jamais homme ne lui avait plu autant que celui-là. La guerre lui allait bien. Ces dernières semaines avaient durci son visage, lui ôtant à jamais les dernières traces de l’adolescence ; et Sitapanoki n’avait qu’à rappeler ses proches souvenirs pour retrouver, sous le sombre drap d’uniforme, la perfection d’une musculature sans défaut. Et puis, il y avait ce regard de glace bleue, ce pli à la fois ironique et désabusé au coin des lèvres dures. Un bel animal en vérité, aussi beau que Cornplanter mais infiniment plus attirant !

— Était-ce la seule raison ? Ne souhaitais-tu réellement que me remettre aux mains d’un époux ou bien…

— Ou bien quoi ? articula-t-il sur la défensive.

— Oh rien !… J’ai dû rêver qu’un soir, dans mon wigwam, tu m’avais suppliée de te suivre… Les rêves sont une chose étrange, vois-tu, car je crois même entendre encore tes paroles. Tu disais : « Si tu veux me suivre, je saurai t’aimer comme jamais aucun autre homme ne le pourra… »

— Tu n’as pas rêvé. Ces mots, je les ai dits et je ne les renie pas mais…

— Mais ? C’est là un mot que les femmes n’aiment guère.

— Pardonne-moi. J’étais sincère alors mais tant de choses ont changé. Je ne m’appartiens plus… Je suis officier du général Washington.

— Tu veux dire que tu ne m’aimes plus ?… Dommage ! Car moi, vois-tu, j’étais prête à t’aimer…

D’un geste brutal, elle rejeta ses couvertures et, aussi nue que la vérité, se dressa devant le jeune homme, rejetant derrière son dos la masse sombre de ses cheveux dans un mouvement qui fit saillir ses seins dressés comme de fières collines de chair. Mais elle ne s’approcha pas de lui et comme s’il avait cessé soudainement d’exister, elle passa devant lui et marcha vers le feu, balançant sur de longues cuisses des fesses hautes et fermes qui apparaissaient sous le rideau luisant des cheveux.

La gorge soudain plus sèche qu’un désert de sable en été et le sang aux tempes, Gilles la regarda marcher vers la cheminée, découpant sur le fond rougeoyant, la forme parfaite de son corps. D’une voix rauque qui lui parut venir des profondeurs de la terre, il s’entendit murmurer :

— Quel jeu joues-tu ? Tu étais prête à m’aimer dis-tu ?

— Sinon pourquoi serais-je venue te chercher jusqu’ici quand il était si simple de rentrer chez moi lorsque les Skinners ont tué l’Avenger et brûlé la ferme ?

Elle se détourna lentement pour lui offrir l’affolant profil de son corps ; la courbe hardie des seins dominant celle infiniment émouvante du ventre plat et le doux renflement d’un pubis soigneusement épilé… Sa voix se fit plus basse et passa comme une râpe sur les nerfs du jeune homme.

— … Je te désirais au camp de mon époux et je te désire à présent ! Oh ! Je sais ce qui te retient. Tu crains de déplaire à l’homme que tu as choisi de servir… mais cela ne suffit pas. Après tout, peut-être me suis-je trompée… peut-être que tu n’es pas vraiment un homme ?

Alors il s’empara d’elle. Brutalement et totalement. Tout aussi totalement elle répondit à son étreinte sous laquelle elle plia. Le sol recouvert d’un candide tapis au crochet, œuvre de la sage Mrs Gibson, monta vers eux avec la chaleur des flammes. La chair de l’Indienne était brûlante mais les mains de Gilles étaient glacées. Comme une petite bête sauvage, elle lui mordit doucement la bouche puis le repoussa, s’agenouillant auprès de lui.

— Laisse-moi t’enlever ces habits ridicules ! Tu es tellement plus beau sans eux.

Impatiente de l’étreindre encore, il arrachait son habit, son long gilet blanc, s’attaquait à la cravate mais elle s’arrêta.

— Non ! Je veux le faire moi-même. Nous autres, filles de la forêt, on nous apprend comment faire durer très longtemps le plaisir du maître que nous nous choisissons.

— Aussi bien que vous savez prolonger les tortures ? fit Gilles en riant.

Mais elle demeura grave.

— C’est la même chose. L’amour est une mort lente dont on renaît sans cesse. Le plaisir comme la douleur doit être un paroxysme…

Devant le feu qui lui aussi se mourait ce fut, entre leurs deux corps, un jeu subtil, cruel et délicieux. Avant de s’ouvrir enfin pour lui, vaincue et délirante, Sitapanoki conduisit, avec une science raffinée, le désir de son partenaire jusqu’aux limites d’une souffrance dont il se délivra dans un râle de fauve auquel fit écho le cri haletant de la femme. Puis tout disparut…

Gilles s’éveilla le premier du bienheureux anéantissement de l’amour et, doucement, se dégagea. Le feu n’était plus que braises. Il y posa quelques bûches et le ranima. De hautes flammes claires jaillirent enveloppant de lumière la femme endormie. La sueur traçait de petits ruisseaux brillants sur sa peau mate. D’un doigt léger, Gilles suivit le tracé de l’un d’eux qui se perdait dans l’ombre des cuisses entrouvertes… Du fond de son sommeil superficiel Sitapanoki sentit la caresse, gémit, se tendit vers elle sans ouvrir les yeux.

Le désir s’enfla de nouveau dans les reins du jeune homme mais, durant de longues minutes, il demeura à genoux, jouant comme d’une harpe de ce corps féminin qui haletait et se soulevait sous ses doigts, jouissant de ses plaintes jusqu’à ce que, se relevant d’une brusque torsion, la femme vint s’abattre sur lui, l’enveloppant de toute sa chair et de l’odeur poivrée de ses cheveux et manquant de les jeter dans le feu tous les deux. Alors, Gilles l’emporta jusqu’au lit pour s’y anéantir avec elle dans la blancheur des draps…

Trois fois encore ils firent l’amour sans parvenir à se rassasier l’un de l’autre. Leurs corps semblaient avoir été créés de tout temps pour s’adapter l’un à l’autre et ne plus pouvoir se séparer. Mais, enfin, Sitapanoki sembla chercher un peu de repos et nicha sa tête contre le cou de son amant qu’elle enveloppa de ses bras.