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Je ne compris pas ce que cela signifiait:

– Que voulez-vous dire: me sauver? demandai-je tout haut. Le pied-bot frappa rageusement le sol. Le visage du conseiller de police devint gris de haine. Il retroussa la lèvre. Attendit. Je savais qu’il allait immédiatement lâcher une bordée (son système d’intimidation me rappelait Wassertrum) et j’attendis aussi – observant du coin de l’œil une tête de chèvre, propriétaire du pied-bot, se dresser au-dessus du bureau, aux aguets -, puis le conseiller me hurla soudain aux oreilles:

– Assassin!

Je demeurai muet de stupeur.

Grinchue, la tête de chèvre replongea derrière son bureau.

Le conseiller de police lui-même parut assez décontenancé par mon calme, mais le dissimula adroitement en approchant un siège sur lequel il m’invita à prendre place.

«Donc, vous refusez de me donner les renseignements que je vous demande sur la comtesse, monsieur Pernath?

– Je ne peux pas les donner, monsieur le conseiller de police, du moins pas au sens où vous l’entendez. D’abord je ne connais personne qui s’appelle Savioli et ensuite je crois dur comme fer que l’on calomnie la comtesse quand on prétend qu’elle trompe son mari.

– Vous êtes prêt à le jurer? J’en eus le souffle coupé.

– Oui! À n’importe quel moment!

– Bon. Hum.

Une pause plus longue suivit, pendant laquelle il parut réfléchir intensément. Quand il me regarda de nouveau, sa grimace avait pris une expression de douleur assez bien simulée et je songeai involontairement à Charousek lorsqu’il reprit d’une voix étranglée par les larmes:

«Vous pouvez bien me le dire, Athanasius, à moi, un vieil ami de votre père, moi qui vous ai tenu dans mes bras.

J’eus peine à retenir un éclat de rire: il avait, au maximum, dix ans de plus que moi.

«N’est-ce pas, Athanasius, c’était un cas de légitime défense?

La tête de chèvre reparut.

– Comment cela, un cas de légitime défense? Je ne comprenais pas.

– L’affaire avec… Zottmann!

Il me cracha littéralement le nom au visage. Le mot me perça comme un coup de poignard: Zottmann! Zottmann! La montre! Le nom de Zottmann était gravé à l’intérieur de la montre. Je sentis tout mon sang refluer au cœur: l’abominable Wassertrum m’avait donné la montre pour faire peser sur moi le soupçon de l’assassinat.

Aussitôt le policier jeta le masque, grinça des dents, fronça les sourcils:

– Vous avouez donc le meurtre, Pernath?

– Tout cela est une erreur, une effroyable erreur. Pour l’amour de Dieu, écoutez-moi. Je peux vous expliquer, monsieur le conseiller de police, hurlai-je.

– Si vous me dites tout ce que vous savez sur la comtesse, coupa-t-il très vite, vous améliorerez beaucoup votre situation. Je tiens à attirer votre attention là-dessus.

– Je ne peux pas vous dire autre chose que ce que je vous ai déjà dit: la comtesse est innocente.

Il se mordit les lèvres et se tourna vers la tête de chèvre:

– Écrivez: donc, Pernath avoue le meurtre de l’employé d’assurances, Karl Zottmann.

Une rage insensée s’empara de moi.

– Canaille, hurlai-je, vous oseriez?

Je cherchai quelque objet lourd. L’instant d’après deux gardiens m’avaient empoigné et me passaient les menottes. Le conseiller de police se rengorgea comme un coq sur son fumier.

– Et cette montre? Il brandit soudain le boîtier cabossé.

– Quand vous la lui avez volée, est-ce que le malheureux Zottmann vivait encore ou non?

Redevenu très calme, je déclarai d’une voix claire à l’usage du procès-verbaclass="underline"

– Cette montre m’a été donnée ce matin par le brocanteur Aaron Wassertrum.

Un rire hennissant éclata et je vis le pied-bot exécuter une gigue avec la pantoufle de feutre sous le bureau.

XVI TOURMENT

Les mains liées derrière le dos, suivi par un gendarme baïonnette au canon, je dus parcourir les rues illuminées pour le soir. Des bandes de petits voyous m’escortaient, jubilants, des femmes ouvraient la fenêtre, me menaçaient avec leur cuillère à pot et me criaient des injures. De loin, j’apercevais déjà le cube massif du Palais de Justice avec l’inscription sur son fronton:

La sévérité de la justice

Est la protection des honnêtes gens.

Puis une porte gigantesque m’avala et je pénétrai dans un vestibule empesté par des odeurs de cuisine. Un barbu avec sabre, vareuse et casquette d’uniforme, pieds nus et jambes enfilées dans un long caleçon ficelé autour des chevilles, posa le moulin à café qu’il tenait et m’ordonna de me déshabiller. Puis il visita mes poches, sortit tout ce qu’il y trouva et me demanda si j’avais des punaises. Quand je lui eus dit que non, il m’ôta les bagues des doigts et m’assura que tout allait bien, que je pouvais me rhabiller.

On me fit grimper de nombreux étages et parcourir d’innombrables corridors dans lesquels de grandes caisses grises occupaient les embrasures des fenêtres.

Des portes de fer avec des verrous énormes et de petites ouvertures grillagées, surmontées chacune par une flamme de gaz, se succédaient en files ininterrompues le long du mur.

Un gardien gigantesque au maintien d’ancien soldat – le premier visage honnête depuis des heures – ouvrit une des portes, me poussa dans l’ouverture sombre et étroite qui soufflait la pestilence, puis la referma derrière moi. Plongé dans une obscurité complète, je tâtonnai autour de moi. Mes genoux heurtèrent un seau de fer-blanc. Je finis par sentir une poignée, l’espace était si réduit que je pouvais à peine me tourner, et je me trouvai dans une cellule.

De chaque côté, deux grabats avec des paillasses le long du mur. Le passage entre eux, large d’un pas tout au plus. Une fenêtre grillagée carrée, en haut du mur perpendiculaire, laissait entrer la lueur terne du ciel nocturne. Une chaleur intolérable, chargée d’une odeur empestée de vieux vêtements emplissait la pièce.

Quand mes yeux se furent habitués à l’obscurité, je vis que sur trois des grabats – le quatrième était vide – des hommes habillés du costume gris des prisonniers étaient assis, les bras appuyés sur les genoux et la tête dans les mains. Aucun ne dit mot. Je m’assis sur le cadre vide et attendis. Attendis. Attendis. Une heure. Deux… trois heures!

Quand je croyais entendre un pas dehors, je me levais: «Enfin, enfin on vient me chercher pour me conduire devant le juge d’instruction.»

Chaque fois, c’était une déception. Les pas se perdaient à nouveau dans la longueur du corridor.

J’arrachai ma cravate – il me semblait que j’allais étouffer. J’entendis les prisonniers s’étendre les uns après les autres en geignant.

– On ne peut donc pas ouvrir la fenêtre, là-haut? demandai-je tout haut dans le noir, désespéré. Ma propre voix me fit presque peur.

– A marche pas, grogna-t-on de l’une des paillasses.

Je tâtai néanmoins la paroi transversale: à hauteur de poitrine une planche, deux cruches à eau, des croûtes de pain.

Péniblement, je grimpai en m’accrochant aux barreaux et pressai le visage contre la jointure du carreau, pour avoir au moins un peu d’air frais. Je restai là jusqu’à ce que mes genoux se missent à trembler. Devant mes yeux, le brouillard de la nuit gris-noir, uniforme. Les carreaux froids transpiraient. Minuit ne devait pas être loin. Derrière moi, j’entendais ronfler. Un seul paraissait ne pas pouvoir dormir: il s’agitait sur la paillasse et gémissait souvent à mi-voix.