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Assis dans la mansarde, j’écoutais le craquotement des aiguilles de sapin quand çà et là une petite branche se mettait à griller sur la flamme d’une bougie.

«Peut-être en ce moment même le vieux Zwakh est-il en train de jouer son Noël des marionnettes quelque part dans le monde» pensai-je et je me le représentais déclamant d’une voix pleine de mystère les strophes de son poète préféré, Oskar Wiener:

Où est le cœur en pierre rouge?

Il est attaché à un ruban de soie.

Ô toi, ô! ne donne pas ce cœur,

Je lui ai été fidèle et je l’aimais

Et j’ai servi sept dures années

Pour ce cœur et je l’aimais.

Soudain, je me sentis inondé par une joie singulière.

Les bougies achevaient de se consumer. Une seule vacillait encore. La fumée roulait dans la pièce.

Comme si une main m’avait tiré, je me retournai brusquement et:

Mon image se tenait sur le seuil. Mon double.

Dans un manteau blanc. Une couronne sur la tête.

Un instant seulement.

Puis des flammes se ruent au travers du bois de la porte, entraînant à leur suite un nuage de fumée étouffante.

Il y a un incendie dans la maison! Au feu! Au feu!

Dans le lointain déjà, les hurlements furieux des sirènes de pompiers.

Casques étincelants et commandements hachés.

Puis le halètement flasque et rythmé des pompes qui se ramassent comme des démons de l’eau pour bondir sur leur ennemi morteclass="underline" le feu.

Le verre tinte et des langues rouges jaillissent de toutes les fenêtres.

On jette des matelas, la rue en est pleine, des gens sautent et on les emmène, blessés.

Mais en moi c’est une extase frénétique qui exulte; je ne sais pourquoi. Mes cheveux se hérissent.

Je cours vers la cheminée pour ne pas être grillé, car les flammes me gagnent.

La corde d’une brosse à ramoner y est enroulée.

Je la déroule, me la passe autour des poignets et des jambes comme j’ai appris à le faire à la gymnastique quand j’étais enfant et me laisse tranquillement glisser le long de la façade.

Je passe devant une fenêtre. Regarde à l’intérieur.

Tout y est violemment éclairé.

Et alors je vois… alors je vois… tout mon corps n’est qu’un immense cri de joie.

– Hillel! Mirjam! Hillel!

Je veux sauter dans la gouttière.

J’étends la main vers elle. Perds ma prise sur la corde.

Pendant un instant, je reste suspendu entre ciel et terre, la tête en bas, les jambes en croix.

La corde chante sous la brusque tension. Ses fils s’étirent et craquent.

Je tombe.

Perds connaissance.

En tombant, j’empoigne le rebord de la fenêtre, mais mes doigts glissent. Pas de prise: La pierre est lisse.

Lisse comme un morceau de graisse.

XX CONCLUSION

comme un morceau de graisse!

C’est la pierre qui ressemble à un morceau de graisse.

Les mots hurlent à mes oreilles. Puis je me redresse, et dois faire un effort pour me rappeler où je suis.

Couché, dans un hôtel.

Je ne m’appelle pas Pernath du tout.

Ai-je donc rêvé tout cela?

Non! On ne rêve pas ainsi.

Je regarde la pendule: j’ai à peine dormi une heure.

Il est trois heures et demie.

Et là-bas, un chapeau est accroché; il n’est pas à moi, c’est celui que j’ai pris par mégarde à la cathédrale du Hradschin, tandis que j’assistais à la grand-messe.

Est-ce qu’il y a un nom à l’intérieur?

Je le prends et vois, en lettres d’or sur la doublure de soie blanche, le nom inconnu et pourtant si connu:

ATHANASIUS PERNATH

Cette fois, j’en aurai le cœur net; je m’habille à la hâte et descends l’escalier en courant.

– Portier! Ouvrez-moi! Je veux aller faire un tour d’une heure.

– Où ça, sivouplaît?

– Dans la ville juive. Ruelle du Coq. Il y a bien une rue qui porte ce nom-là?

– Sûr, sûr – le portier sourit malicieusement – mais je vous signale que dans la ville juive, il ne reste pas grand-chose. Tout refait à neuf, sivouplaît.

– Aucune importance. Où est-elle cette rue?

Le gros doigt du portier se pose sur le plan:

– Là, sivouplaît.

– Et le cabaret Chez Loisitschek?

– Là, sivouplaît.

– Donnez-moi une grande feuille de papier.

– Voilà, sivouplaît.

J’emballe le chapeau de Pernath. Curieux: il est presque neuf, irréprochablement propre et pourtant friable comme s’il était très, très vieux.

En chemin, je réfléchis.

Tout ce qui est arrivé à cet Athanasius Pernath, je l’ai vécu en une nuit, vu, entendu, senti comme si j’étais devenu lui. Alors comment se fait-il que je ne sache pas ce qu’il a aperçu derrière la fenêtre grillagée pendant l’instant où la corde s’est cassée et où il a crié «Hillel! Hillel!»?

Je me rends compte qu’il s’est séparé de moi à ce moment.

Il faut que je retrouve cet Athanasius Pernath, dussé-je courir à sa poursuite pendant trois jours et trois nuits.

Ainsi, c’est cela la ruelle du Coq?

Je ne l’avais pas vue du tout comme cela en rêve!

Rien que des maisons neuves.

Une minute plus tard, je suis assis au café Loisitschek.

Une salle sans style, assez propre.

Au fond, une estrade bordée d’une balustrade en bois; une certaine ressemblance avec le vieux Loisitschek rêvé est indéniable.

– Vous désirez? me demande la serveuse, solide gaillarde serrée à éclater dans une veste de velours rouge.

– Un cognac, mademoiselle… Bien, merci. Hum, dites-moi…

– Oui?

– À qui appartient ce café?

– À monsieur le conseiller commercial Loisitschek. Toute la maison lui appartient. Un beau monsieur, très riche.

Ah! le type avec des dents de sanglier à sa chaîne de montre! Je me rappelle.

J’ai une bonne idée qui va m’aider à m’y reconnaître:

– Mademoiselle!

– Oui?

– Le pont de pierre, quand s’est-il donc écroulé?

– Il y a trente-trois ans.

– Hum. Trente-trois ans!

Je calcule: dans ces conditions le tailleur de pierres précieuses Pernath doit avoir presque quatre-vingt-dix ans.

«Mademoiselle!

– Oui?

– Est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un, dans vos clients, qui se rappellerait encore l’aspect qu’avait la vieille ville juive de l’époque? Je suis écrivain et ces questions-là m’intéressent.