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Cyrus J. Headley. »

* * *

Le deuxième document de l’affaire est l’inintelligible message par sans-fil qui a été capté par plusieurs navires, parmi lesquels le steamer Arroya. Reçu à 15 heures le 3 octobre 1926, il a donc été diffusé deux jours seulement après que le Strafford ait quitté la Grande Canarie, ainsi qu’en témoigne la lettre ci-dessus. Or cette date correspond bien au jour où le petit bateau norvégien a vu sombrer un steamer dans une tempête à trois cents kilomètres au sud-ouest de Porta de la Luz. Ce message était conçu comme suit :

« Navire couché. Craignons notre position sans espoir. Avons déjà perdu Maracot, Headley, Scanlan. Situation incompréhensible. Mouchoir Headley au bout de la sonde grands fonds. Que Dieu nous aide !

S. S. Strafford. »

Tel a été le dernier message, incohérent, émis par l’infortuné navire ; la phrase relative au mouchoir a été attribuée à un accès de délire de l’opérateur. L’ensemble paraissait néanmoins décisif.

* * *

L’explication (en admettant qu’elle puisse être acceptée pour telle) de toute l’affaire réside dans le récit trouvé à l’intérieur de la boule vitreuse. Mais il vaudrait mieux commencer par ajouter quelques détails au très bref compte rendu publié dans la presse sur la découverte de la boule. Je les emprunte au journal de navigation de l’Arabella Knowles, capitaine Amos Green, qui transportait un chargement de charbon de Cardiff à Buenos Aires. Je recopie le journal sans en changer un mot.

« Mercredi 5 janvier 1927. Lat. 27° 14’. Long. 28° W. Temps calme. Ciel bleu avec touffes de cirrus. Mer comme du verre. Au deuxième coup de cloche du quart du milieu, le premier lieutenant a déclaré avoir vu un objet brillant jaillir hors de la mer et retomber. Il a d’abord cru qu’il s’agissait d’un poisson bizarre ; mais en l’examinant à la lunette il s’est aperçu que c’était un globe argenté, ou une boule qui était si légère qu’elle reposait, plus qu’elle ne flottait, à la surface de l’eau. J’ai été averti et je l’ai vue : elle était aussi grosse qu’un ballon de football ; elle brillait à un demi-mille sur notre tribord. J’ai fait arrêter les machines, j’ai ordonné au chef d’équipage de descendre le canot ; il est allé pêcher l’objet et l’a rapporté à bord.

« L’examen a révélé que c’était une boule faite d’un verre très résistant et rempli d’une substance si légère que lorsqu’on la lançait en l’air, elle demeurait en suspension comme un ballon rouge d’enfant. Elle était presque transparente, et nous pouvions voir à l’intérieur quelque chose qui ressemblait à un rouleau de papier … Sa matière était néanmoins si dure que nous avons eu beaucoup de mal pour la briser et en extraire le contenu. Un marteau n’ayant donné aucun résultat, il a fallu que le chef mécanicien la pince dans la course de la machine pour que nous puissions la casser. J’ai le regret de dire qu’elle s’est réduite en une poussière étincelante, et qu’il a été impossible d’en garder un débris de taille suffisante pour le faire analyser. Nous avons toutefois récupéré le papier ; après l’avoir parcouru, nous avons conclu qu’il était d’une grande importance, et nous avons l’intention de le remettre au consul d’Angleterre quand nous atteindrons le Rio de la Plata. Voilà trente-cinq ans que je suis marin ; c’est l’aventure la plus étrange qui me soit arrivée. Je laisse à plus savant que moi le soin d’en tirer la signification. »

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Voici donc maintenant le nouveau récit de Cyrus J. Headley, que nous reproduisons textuellement.

À qui suis-je en train d’écrire ? Hé bien, je suppose que c’est à l’univers entier ; mais comme cette adresse est un peu vague, je songe à mon ami Sir James Talbot, de l’Université d’Oxford, pour la simple raison que ma dernière lettre lui était destinée et que celle-ci peut être considérée comme une suite. Il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que la boule, même si elle parvient à la lumière du jour et si elle n’est pas avalée au passage par un requin, se promène de vague en vague sans être jamais repérée par un marin. N’importe : l’essai en vaut la peine. Maracot en a expédié une deuxième. Il se peut donc que grâce à lui ou à moi, le monde apprenne notre merveilleuse histoire. Le monde nous croira-t-il ? C’est une autre affaire. Tout de même, quand des habitants de la Terre examineront la boule avec son enveloppe vitreuse et découvriront le gaz lévigène qu’elle renferme, ils verront bien qu’ils ont là quelque chose sortant de l’ordinaire. En tout cas, vous, Talbot, vous ne ferez pas une boulette de ce papier sans l’avoir lu.

Si quelqu’un désirait savoir l’origine et le but de notre aventure, il n’aurait qu’à se reporter à la lettre que je vous ai écrite le 1er octobre de l’an dernier, juste avant de quitter Porta de la Luz. Par saint George ! Si je m’étais douté de ce que le destin nous tenait en réserve, je crois que je me serais glissé dans la vedette du courrier ce soir-là. Et pourtant … Oui, hé bien, sachant ce que je sais, je serais demeuré avec le docteur jusqu’au bout. Tout bien réfléchi, oui, je le jure !

Je vais maintenant relater mes aventures depuis notre départ de la Grande Canarie.

Dès que le port s’est fondu dans la brume, le vieux Maracot s’est mis à cracher des flammes. L’heure de l’action avait sonné : toute l’énergie de l’homme, contenue depuis si longtemps, s’est embrasée. Ah, je vous jure qu’il a pris le navire en mains, nous tous compris, et qu’il a plié les hommes et les choses à sa volonté ! Le savant distrait, sec, plus ou moins timbré avait disparu : nous étions commandés par une machine humaine électrique qui crépitait de vitalité et qu’animait une formidable énergie intérieure. Derrière de grosses lunettes ses yeux brillaient comme des flammes dans une lanterne. Il donnait l’impression d’être partout à la fois, calculant ses distances sur la carte, comparant ses relevés avec ceux du pilote, bousculant Bill Scanlan, m’accablant de cent besognes invraisemblables, mais le tout avec une méthode parfaite et dans un but bien défini. Il a révélé des connaissances inattendues en électricité et en mécanique. Il consacrait beaucoup de temps à travailler à l’assemblage de la cage que Scanlan, sous sa supervision, confectionnait en ajustant les pièces détachées que nous avions vues dans la cale.

— Dites donc, Monsieur Headley, c’est épatant ! m’a déclaré Bill le surlendemain matin. Venez voir ! Le doc est un champion, en mécanique de précision.

J’ai été désagréablement impressionné, comme si je regardais mon cercueil, Mais tout de même j’ai dû convenir que le mausolée était rudement bien conçu. Le plancher avait été agrafé aux quatre parois d’acier et les hublots vissés au centre de chaque cloison. On accédait dans la cage par deux petites trappes, l’une sur le toit, l’autre sur la base. Un câble d’acier, mince mais très robuste, la soutenait : il passait sur un tambour et il était filé ou roulé par la machine puissante que nous utilisions pour nos chaluts de pêche de grands fonds ; il avait huit cents mètres de long, et son ballant était enroulé autour des bittes sur le pont. Les tubes d’air caoutchoutés, de la même longueur, étaient reliés au tube acoustique et au fil qui transmettait aux lampes électriques l’énergie des batteries du navire ; en supplément nous disposions d’une installation autonome.

Au soir du deuxième jour après notre départ, les machines ont été stoppées. Le baromètre était bas ; un gros nuage noir se levant au-dessus de l’horizon annonçait des ennuis prochains. En vue, un seul petit bateau battant pavillon norvégien ; j’ai remarqué qu’il avait serré les ris comme si son équipage s’attendait à du mauvais temps. Pour l’heure cependant, les conditions atmosphériques étaient propices, et le Strafford roulait gentiment sur un océan bleu foncé, ça et là coiffé de blanc par le souffle des vents alizés. Bill Scanlan a pénétré dans mon laboratoire ; il était très énervé.