Quand il arrive, nous ne lui laissons pas le temps de sonner: très vite, nous dévissons sa sonnette.
Il dit:
– Où est votre grand-mère?
Nous disons:
– Ne vous occupez pas d'elle. Donnez-nous ce que vous avez apporté.
Il dit:
– Il n'y a rien.
Il veut repartir, mais nous le bousculons. Il tombe dans la neige. Son vélo tombe sur lui. Il jure.
Nous fouillons ses sacoches, nous trouvons une lettre et un mandat. Nous prenons la lettre, nous disons:
– Donnez l'argent!
Il dit:
– Non. C'est adressé à votre grand-mère.
Nous disons.:
– Mais ça nous est destiné à nous. C'est notre Mère qui nous l'envoie. Si vous ne nous le donnez pas, nous vous empêcherons de vous lever jusqu'à ce que vous soyez mort de froid.
Il dit:
– D'accord, d'accord. Aidez-moi à me relever, j'ai une jambe écrasée sous le vélo.
Nous relevons la bicyclette et nous aidons le facteur à se relever. Il est très maigre, très léger.
Il sort l'argent d'une de ses poches et nous le donne.
Nous demandons:
– Vous voulez une signature ou une croix?
Il dit:
– Ça va, la croix. Une croix en vaut bien une autre.
Il ajoute:
– Vous avez raison de vous défendre. Tout le monde connaît votre grand-mère. Il n’y a pas plus avare qu'elle. Alors c'est votre maman qui vous envoie tout ça? Elle est bien gentille. Je l'ai connue toute petite. Elle a bien fait de partir, Elle n'aurait jamais pu se marier ici. Avec tous ces racontars…
Nous demandons:
– Quels racontars?
– Comme quoi elle aurait empoisonné son mart. Je veux dire, votre grand-mère a empoisonné votre grand-père. C’est une vieille histoire. De là vient qu'on l’appelle la Sorcière.
Nous disons:
– Nous ne voulons pas qu'on dise du mal de Grand-Mère
Le facteur tourne son vélo:
– Bon, bon, il fallait bien que vous soyez au courant.
Nous disons:
– Nous étions déjà au courant. Désormais c'est à nous que vous remettrez le courrier. Sans cela, nous vous tuerons. Vous avez compris?
Le facteur dit:
– Vous en seriez capables, graines d'assassins. Vous aurez votre courrier, ça m'est bien égal. La Sorcière, je m'en fous.
Il part en poussant son vélo. Il traîne la jambe pour montrer que nous lui avons fait mal.
Le lendemain, chaudement habillés, nous allons en ville pour acheter des bottes de caoutchouc avec de l'argent que notre Mère nous a envoyé. Sa lettre, nous la portons sous notre chemise, chacun son tour.
Le cordonnier
Le cordonnier habite et travaille dans le sous-sol d'une maison près de la gare. La pièce est vaste. Dans un coin, il y a son lit, dans un autre, sa cuisine. Son atelier est devant la fenêtre qui est au ras du sol. Le cordonnier est assis sur un tabouret bas, entouré de chaussures et d'outils. Il nous regarde par-dessus ses lunettes; il regarde nos souliers laqués tout craquelés.
Nous dlsons:
– Bonjour, monsieur. Nous voudrions des bottes en caoutchouc, imperméables, chaudes. En vendez-vous? Nous avons dè l'argent.
Il dit:
– Oui, j'en vends. Mais les doublées, les chaudes sont très chères.
Nous disons:
– Nous en avons absolument besoin. Nous avons froid aux pieds.
Nous mettons sur la table basse l'argent que nous avons.
Le cordonnier dit:
– C'est juste assez pour une seule paire. Mais une paire peut vous suffire. Vous avez ia même pointure. Chacun de vous sortira à son tour.