La maison de Grand-Mère
La maison de Grand-Mère est à cinq minutes de marche des dernières maisons de la Petite Ville. Après, il n'y a plus que la route poussiéreuse, bientôt coupée par une barrière. Il est interdit d'aller plus loin, un soldat y monte la garde. Il a une mitraillette, des jumelles et, quand il pleut, il s'abrite dans une guérite. Nous savons qu'au-delà de la barrière, cachée par les arbres, il y a une base militaire secrète et, derrière la base, la frontière et un autre pays.
La maison de Grand-Mère est entourée d'un jardin au fond duquel coule une rivière, puis c'est la forêt.
Le jardin est planté de toutes sortes de légumes et d'arbres fruitiers. Dans un coin, il y a un clapier, un poulailler, une porcherie et une cabane pour les chèvres. Nous avons essayé de monter sur le dos du plus gros des cochons, mais il est impossible de rester dessus.
Les légumes, les fruits, les lapins, les canards, les poulets sont vendus au marché par Grand-Mère, ainsi que les œufs des poules et des canes et les fromages de chèvre. Les cochons sont vendus au boucher qui les paie avec de l'argent, mais aussi avec des jambons et des saucissons fumés.
Il y a encore un chien pour chasser les voleurs et un chat pour chasser les souris et les rats. Il ne faut pas lui donner à manger, de sorte qu'il ait toujours faim.
Grand-Mère possède encore une vigne de l'autre côté de la route.
On entre dans la maison par la cuisme qui est grande et chaude. Le feu brûle toute la journée dans le fourneau à bois. Près de la fenêtre, il y a une immense table et un banc d'angle. C'est sur ce banc que nous dormons
De la cuisine une porte mène à la chambre de GranaMère, mais elle est toujours fermée à clé. Seule Grand-Mère y va le soir, pour dormir.
Il existe une autre chambre où l'on peut entrer sans passer par la cuisine, directement du jardin. Cette chambre est occupée par un officier étranger. La porte en est également fermée à clé.
Sous la maison, il y a une cave pleine de choses à manger et, sous le toit, un galetas où Grand-Mère ne monte plus depuis que nous avons scié l'échelle et qu'elle s'est fait mal en tombant. L'entrée du galetas est juste au-dessus de la porte de l'officier, et nous y montons à l'aide d'une corde. C'est là-haut que nous dissimulons le cahier de composition, le dictionnaire de notre Père et les autres objets que nous sommes obligés de cacher.
Bientôt nous fabriquons une clé qui ouvre toutes les portes et nous perçons des trous dans le plancher du galetas. Grâce à la clé, nous pouvons circuler librement dans la maison quand personne ne s'y trouve, et, grâce aux trous, nous pouvons observer Grand-Mère et l'officier dans leurs chambres, sans qu'ils s'en doutent.
Grand-Mère
Notre Grand-Mère est la mère de notre Mère. Avant de venir habiter chez elle, nous ne savions pas que notre Mère avait encore une mère.
Nous l'appelons Grand-Mère.
Les gens l'appellent la Sorcière. Elle nous appelle «fils de chienne».
Grand-Mère est petite et maigre. Elle a un fichu noir sur la tête. Ses habits sont gris foncé. Elle porte de vieux souliers militaires. Quand il fait beau, elle marche nu-pieds. Son visage est couvert de rides, de taches brunes et de verrues où poussent des poils. Elle n'a plus de dents, du moins plus de dents visibles.
Grand-Mère ne se lave jamais. Elle s'essuie la bouche avec le coin de son fichu quand elle a mangé ou quand elle a bu. Elle ne porte pas de culotte. Quand elle a besoin d'uriner, elle s'arrête où elle se trouve, écarte les jambes et pisse par terre sous ses jupes. Naturellement, elle ne le fait pas dans la maison.