Grand-Mère ne se déshabille jamais. Nous avons regardé dans sa chambre le soir. Elle enlève une jupe, il y a une autre jupe dessous. Elle enlève son corsage, il y a un autre corsage dessous. Elle se couche comme ça. Elle n'enlève pas son fichu.
Grand-Mère parle peu. Sauf le soir. Le soir, elle prend une bouteille sur une étagère, elle boit directement au goulot. Bientôt, elle se met à parler une langue que nous ne connaissons pas. Ce n'est pas la langue que parlent les militaires étrangers, c'est une langue tout à fait différente.
Dans cette langue inconnue, Grand-Mère se pose des questions et elle y répond. Elle rit parfois, ou bien elle se fâche et elle crie. A la fin, presque toujours, elle se met à pleurer, elle va dans sa chambre en titubant, elle tombe sur son lit et nous l'entendons sangloter longuement dans la nuit.
Les travaux
Nous sommes obligés de faire certains travaux pour Grand-Mère, sans quoi elle ne nous donne rien à manger et nous laisse passer la nuit dehors.
Au début, nous refusons de lui obéir. Nous dormons dans le jardin, nous mangeons des fruits et des légumes crus.
Le matin, avant le lever du soleil, nous voyons Grand-Mère sortir de la maison. Elle ne nous parle pas. Elle va nourrir les animaux, elle trait les chèvres, puis elle les conduit au bord de la rivière où elle les attache à un arbre. Ensuite elle arrose le jardin et cueille des légumes et des fruits qu'elle charge sur sa brouette. Elle y met aussi un panier plein d'œufs, une petite cage avec un lapin et un poulet ou un canard aux pattes attachées.
Elle s'en va au marché, poussant sa brouette dont la sangle, passée sur son cou maigre, lui fait baisser la tête. Elle titube sous le poids. Les bosses du chemin et les pierres la déséquilibrent, mais elle marche, les pieds en dedans, comme les canards. Elle marche vers la ville, jusqu'au marché, sans s'arrêter, sans avoir posé sa brouette une seule fois.
En rentrant du marché, elle fait une soupe avec les légumes qu'elle n'a pas vendus et des confitures avec les fruits. Elle mange, elle va faire la sieste dans sa vigne, elle dort une heure, puis elle s'occupe de la vigne ou, s'il n'y a rien à y faire, elle revient à la maison, elle coupe du bois, elle nourrit de nouveau les animaux, elle ramène les chèvres, elle les trait, elle va dans la forêt, en rapporte des champignons et du bois sec, elle fait des fromages, elle sèche des champignons et des haricots, elle fait des bocaux d'autres légumes, arrose de nouveau le jardin, range des choses à la cave, et ainsi de suite jusqu'à la nuit tombée.
Le sixième matin, quand elle sort de la maison, nous avons déjà arrosé le jardin. Nous lui prenons des mains les seaux lourds de la nourriture des cochons, nous conduisons les chèvres au bord de la rivière, nous l'aidons à charger la brouette. Quand elle rentre du marché, nous sommes en train de scier du bois
Au repas, Grand-Mère dit:
– Vous avez compris. Le toit et la nourriture, il faut les mériter.
Nous disons:
– Ce n'est pas cela. Le travail est pénible, mais regarder, sans rien faire, quelqu'un qui travaille, c'est encore plus pénible, surtout si c'est quelqu'un de vieux.
Grand-Mère ricane:
– Fils de chienne! Vous voulez dire que vous avez eu pitié de moi?
– Non, Grand-Mère. Nous avons seulement eu honte de nous-mêmes.
L'après-midi, nous allons chercher du bois dans la forêt.
Désormais nous faisons tous les travaux que nous sommes capables de faire.