– Vous êtes déjà venus jusqu'ici?
– Non. Jamais. Nous aurions peur d'aller si loin.
– Vous n'avez jamais vu ce trou, ni un soldat mort?
– Non, jamais.
– Quand on a trouvé ce soldat mort, il lui manquait son fusil, ses cartouches, ses grenades.
Nous disons:
– Il devait être bien distrait et négligent, ce soldat, pour avoir perdu tous ces objets indispensables à un militaire.
Le policier dit:
– Il ne les a pas perdus. Ils lui ont été volés après sa mort. Vous qui venez souvent dans la forêt, vous n'auriez pas une idée sur la question?
– Non. Aucune idée.
– Pourtant, quelqu'un a bien dû prendre ce fusil, ces cartouches, ces grenades.
Nous disons:
– Qui oserait toucher à des objets aussi dangereux?
L'interrogatoire
Nous sommes dans le bureau du policier. Il s'assied à une table, nous restons debout en face de lui. Il prépare du papier, un crayon. Il fume. Il nous pose des questions:
– Depuis quand connaissez-vous la servante de la cure?
– Depuis le printemps.
– Où l'avez-vous connue?
– Chez Grand-Mère. Elle est venue chercher des pommes de terre.
– Vous livrez du bois à la cure. Combien êtes-vous payés pour ça?
– Rien. Nous apportons du bois à la cure pour remercier la servante qui lave notre linge.
– Elle est gentille avec vous?
– Très gentille. Elle nous fait des tartines, elle nous coupe les ongles et les cheveux, elle nous prépare des bains.
– Comme une mère, en somme. Et M. le curé, il est gentil avec vous?
– Très gentil. Il nous prête des livres et il nous apprend beaucoup de choses.
– Quand avez-vous apporté du bois pour la dernière fois à la cure?
– Il y a cinq jours. Le mardi matin.
Le policier se promène dans la pièce. Il ferme les rideaux et allume la lampe du bureau. Il prend deux chaises et nous fait asseoir. Il dirige la lumière de la lampe sur notre visage:
– Vous l'aimiez beaucoup, la servante?
– Oui, beaucoup.
– Savez-vous ce qui lui est arrivé?
– Il lui est arrivé quelque chose?
– Oui. Une chose atroce. Ce matin, comme d'habitude, elle faisait du feu et le fourneau de la cuisine a explosé. Elle a tout pris en plein visage. Elle est à l'hôpital.
Le policier arrête de parler; nous ne disons rien. Il dit:
– Vous ne dites rien?
Nous disons:
– Une explosion en plein visage, cela mène forcément à l'hôpital et parfois à la morgue. C'est une chance qu'elle ne soit pas morte.
– Elle est défigurée pour la vie!
Nous nous taisons. Le policier aussi. Il nous regarde.
Nous le regardons. Il dit:
– Vous n'avez pas l'air spécialement triste.
– Nous sommes contents qu'elle soit en vie. Après un tel accident!
– Ce n'était pas un accident. Quelqu'un a caché un explosif dans le bois de chauffage. Une cartouche provenant d'un fusil militaire. On a retrouvé la douille.
Nous demandons:
– Pourquoi quelqu'un aurait-il fait ça?
– Pour la tuer. Elle, ou M. le curé.
Nous disons:
– Les gens sont cruels. Ils aiment tuer. C'est la guerre qui leur a appris ça. Et il y a des explosifs qui traînent partout.
Le policier se met à crier:
– Cessez de faire les marioles! C'est vous qui livrez du bois à la cure! C'est vous qui traînez toute la journée dans la forêt! C'est vous qui dévalisez les cadavres! Vous êtes capables de tout! Vous avez ça dans le sang! Votre Grand-Mère aussi a un meurtre sur la conscience. Elle a empoisonné son mari. Elle, c'est le poison, vous, ce sont les explosifs! Avouez, petits salopards! Avouez! C'était vous!