– Mes petits, mes petits garçons. Il a osé vous faire du mal, ce porc ignoble!
Le policier dit:
– Qu'est-ce qu'il va me faire? Dites-lui, j'ai des enfants… Je ne savais pas… C'est votre père, ou quoi?
Nous disons:
– C'est notre oncle.
– Vous auriez dû me le dire. Je ne pouvais pas savoir. Je vous demande pardon. Qu'est-ce que je peux faire pour…
Nous disons:
– Priez Dieu.
L'ordonnance arrive avec d'autres soldats. On nous pose sur des civières et on nous porte dans l'ambulance. L'officier s'assied à côté de nous. Le policier, encadré par plusieurs soldats, est emmené dans la Jeep conduite par l'ordonnance.
A la base militaire, un médecin nous examine tout de suite dans une grande salle blanche. Il désinfecte nos plaies, il nous fait des piqûres contre les douleurs et contre le tétanos. Il nous fait aussi des radiographies. Nous n'avons rien de cassé, sauf quelques dents, mais il s'agit de dents de lait.
L'ordonnance nous ramène chez Grand-Mère. Il nous couche dans le grand lit de l'officier et s'installe sur une couverture à côté du lit. Le matin, il va chercher Grand-Mère qui nous apporte du lait chaud au lit. Quand l'ordonnance est parti, Grand-Mère nous demande:
– Vous avez avoué?
– Non, Grand-Mère. Nous n'avions rien à avouer.
– C'est ce que je pensais. Et le policier, qu'est-ce qu'il est devenu?
– Nous ne savons pas. Mais il ne reviendra certainement plus jamais.
Grand-Mère ricane:
– Déporté ou fusillé, hein? Le cochon! On va fêter ça. Je vais réchauffer le poulet d'hier. Je n'en ai pas mangé, moi non plus.
A midi nous nous levons, nous allons manger à la cuisine.
Pendant le repas, Grand-Mère dit:
– Je me demande pourquoi vous avez voulu la tuer? Vous aviez vos raisons, je suppose.
Le vieux monsieur
Juste après le repas du soir, un vieux monsieur arrive avec une fille plus grande que nous.
Grand-Mère lui demande:
– Qu'est-ce que vous voulez?
Le vieux monsieur prononce un nom, et Grand-Mère nous dit:
– Sortez. Allez faire un tour dans le jardin.
Nous sortons. Nous contournons la maison et nous nous asseyons sous la fenêtre de la cuisine. Nous écoutons. Le vieux monsieur dit:
– Ayez pitié.
Grand-Mère répond:
– Comment pouvez-vous me demander une chose pareille?
Le vieux monsieur dit:
– Vous connaissiez ses parents. Ils me l'ont confiée avant d'être déportés. Ils m'avaient donné votre adresse pour le cas où elle ne serait plus en sécurité chez moi.
Grand-Mère demande:
– Vous savez ce que je risque?
– Oui, je le sais. Mais il y va de sa vie.
– Il y a un officier étranger dans la maison.
– Justement. Personne ne la cherchera ici. Il suffira de dire que c'est votre petite-fille, la cousine de ces deux garçons.
– Tout le monde sait que je n'ai pas d'autres petits enfants que ces deux-là.
– Vous pouvez dire qu'elle est de la famille de votre gendre.
Grand-Mère ricane:
– Je ne l'ai jamais vu, celui-là!
Après un long silence, le vieux monsieur reprend:
– Je ne vous demande que de nourrir la fillette pendant quelques mois. Jusqu'à la fin de la guerre.
– La guerre peut encore durer des années.
– Non, elle ne sera plus très longue.
Grand-Mère se met à pleurnicher:
– Je ne suis qu'une pauvre vieille qui se tue au travail. Comment nourrir autant de bouches?
Le vieux monsieur dit: