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La forêt et la rivière

La forêt est très grande, la rivière est toute petite. Pour aller dans la forêt, il faut traverser la rivière. Quand il y a peu d'eau, nous pouvons la traverser en sautant d'une pierre à l'autre. Mais parfois, quand il a beaucoup plu, l'eau nous arrive à la taille, et cette eau est froide et boueuse. Nous décidons de construire un pont avec les briques et les planches que nous trouvons autour des maisons détruites par les bombardements.

Notre pont est solide. Nous le montrons à Grand-Mère. Elle l'essaie, elle dit:

– Très bien. Mais n'allez pas trop loin dans la forêt. La frontière est proche, les militaires vont vous tirer dessus. Et surtout, ne vous perdez pas. Je ne viendrais pas vous chercher.

En construisant le pont, nous avons vu des poissons. Ils se cachent sous les grosses pierres ou dans l'ombre des buissons et des arbres dont les branches se rejoignent par endroits au-dessus de la rivière. Nous choisissons les poissons les plus grands, nous les attrapons et nous les mettons dans l’arrosoir rempli d'eau. Le soir, quand nous les rapportons à la maison, Grand-Mère dit

– Fils de chienne! Comment les avez-vous attrapés?

– Avec les mains. C'est facile. Il faut simplement rester immobile et attendre.

– Alors, attrapez-en beaucoup. Le plus que vous pourrez.

Le lendemain, Grand-Mère charge l'arrosoir sur sa brouette et elle vend nos poissons au marché.

Nous allons souvent dans la forêt, nous ne nous perdons jamais, nous savons de quel côté se trouve la frontière. Bientôt, les sentinelles nous connaissent. Elles ne nous tirent jamais dessus. Grand-Mère nous apprend à distinguer les champignons comestibles de ceux qui sont vénéneux.

De la forêt, nous rapportons des fagots de bois sur le dos, des champignons et des marrons dans des paniers. Nous entassons le bois bien en ordre contre les murs de la maison sous l'auvent et nous grillons des marrons sur le fourneau si Grand-Mère n'est pas là.

Une fois, loin dans la forêt, au bord d'un grand trou fait par une bombe, nous trouvons un soldat mort. Il est encore entier, seuls les yeux lui manquent à cause des corbeaux. Nous prenons son fusil, ses cartouches, ses grenades: le fusil caché, dans un fagot, les cartouches et les grenades dans nos paniers, sous les champignons.

Arrivés chez Grand-Mère, nous emballons soigheusement ces objets dans de la paille et dans des sacs à pommes de terre, et nous les enterrons sous le banc devant la fenêtre de l'officier.

La saleté

Chez nous, à la Grande Ville, notre Mère nous lavait souvent. Sous la douche ou dans la baignoire. Elle nous mettait des habits propres, elle nous coupait les ongles. Pour couper nos cheveux, elle nous accompagnait chez le coiffeur. Nous nous brossions les dents après chaque repas.

Chez Grand-Mère, il est impossible de se laver. Il n'y a pas de salle de bains, il n'y a même pas l'eau courante. Il faut aller pomper l'eau du puits dans la cour, et la porter dans un seau. Il n'y a pas de savon dans la maison, ni de dentifrice, ni de produit pour la lessive.

Tout est sale dans la cuisine. Le carrelage rouge, irrégulier, colle sous les pieds, la grande table colle sous les mains et sous les coudes. Le fourneau est complètement noir de graisse, les murs aussi tout autour à cause de la suie. Bien que Grand-Mère fasse la vaisselle, les assiettes, les cuillers, les couteaux ne sont jamais tout à fait propres, et les casseroles sont couvertes d'une épaisse couche de crasse. Les torchons sont grisâtres et sentent mauvais.