Notre cousine, très joyeuse, emballe ses robes et rassemble ses affaires de toilette dans sa serviette de bain.
Le civil se tourne vers nous:
– Et vous? Comment vous appelez-vous?
Grand-Mère dit:
– Ce sont mes petits-fils. Ils resteront chez moi.
Nous disons:
– Oui, nous resterons chez Grand-Mère.
Le civil dit:
– J'aimerais tout de même avoir votre nom.
Nous le lui disons. Il regarde ses papiers:
– Vous n'êtes pas sur ma liste. Vous pouvez les garder, madame.
Grand-Mère dit:
– Et comment! je peux les garder!
Notre cousine dit:
– Je suis prête. Allons-y.
Le civil dit:
– Vous êtes bien pressée. Vous pourriez au moins remercier madame et dire au revoir à ces petits garçons. Notre cousine dit:
– Petits garçons? De petits salopards, oui.
Elle nous serre contre elle, très fort:
– Je ne vous embrasse pas, je sais que vous n'aimez pas ça. Ne faites pas trop les cons, soyez prudents.
Elle nous serre encore plus fort, elle pleure. Le civil la prend par le bras et dit à Grand-Mère:
– Je vous remercie, madame, pour tout ce que vous avez fait pour cette enfant.
Nous sortons tous. Devant la porte du jardin, il y a une Jeep. Les deux soldats s'installent à l'avant, le civil et notre côusine à l'arrière. Grand-Mère crie encore quelque chose. Les soldats rigolent. La Jeep démarre. Notre cousine ne se retourne pas.
L'arrivée des nouveaux étrangers
Après le départ de notre cousine, nous allons en ville pour voir ce qui se passe.
A chaque coin de rue, il y a un tank. Sur la Grande Place, des camions, des Jeeps, des motos, des side-cars et, partout, beaucoup de militaires. Sur la place du Marché qui n'est pas goudronnée, ils montent des tentes et installent des cuisines en plein air.
Quand nous passons à côté d'eux, ils nous sourient, ils nous parlent, mais nous ne comprenons pas ce qu'ils disent.
A part les militaires, il n'y a personne dans les rues. Les portes des maisons sont fermées, les volets tirés, les stores des magasins baissés.
Nous rentrons, nous disons à Grand-Mère:
– Tout est calme en ville.
Elle ricane:
– Ils se reposent pour l'instant, mais cet après-midi, vous verrez!
– Que va-t-il se passer, Grand-Mère?
– Ils vont perquisitionner. Ils vont entrer partout et fouiller. Et ils prendront tout ce qui leur plaira. J'ai déjà vécu une guerre, je sais comment ça se passe. Nous, on n'a rien à craindre: il n'y a rien à prendre ici et je sais leur parler.
– Mais que cherchent-ils, Grand-Mère?
– Des espions, des armes, des munitions, des montres, de l'or, des femmes.
L'après-midi, en effet, les militaires commencent à fouiller systématiquement les maisons. Si on ne leur ouvre pas, ils tirent en l'air, puis ils enfoncent la porte.
Beaucoup de maisons sont vides. Les habitants sont partis définitivement ou bien ils se cachent dans la forêt. Ces maisons inhabitées sont fouillées comme les autres, ainsi que tous les magasins et les boutiques.
Après le passage des militaires, ce sont les voleurs qui envahissent les magasins et les maisons abandonnées. Les voleurs sont surtout des enfants et des vieillards, quelques femmes aussi, qui n'ont peur de rien ou qui sont pauvres.
Nous rencontrons Bec-de-Lièvre. Elle a les bras chargés de vêtements et de chaussures. Elle nous dit:
– Dépêchez-vous pendant qu'il y a encore quelque chose à prendre. Moi, c'est la troisième fois que je fais mes courses.
Nous entrons dans la Librairie dont la porte est enfoncée. Là, il n'y a que quelques enfants plus petits que nous. Ils prennent des crayons et des craies de couleur, des gommes, des taille-crayons, des cartables.