– On ne peut pas le savoir. Elle est vieille, mais son cœur est solide. Donnez-lui ces médicaments trois fois par jour. Et puis il faudrait quelqu'un pour s'occuper d'elle.
Nous disons:
– Nous nous occuperons d'elle. Qu'est-ce qu'il faut faire?
– Lui donner à manger, la laver. Elle va probablement rester paralysée définitivement.
Le médecin s'en va. Nous préparons une purée de Iegumes et nous donnons à manger à Grand-Mère avec une petite cuiller. Vers le soir, ça sent très mauvais dans sa chambre. Nous soulevons ses couvertures: sa paillasse est pleine d'excréments.
Nous allons chercher de la paille chez un paysan, nous achetons une culotte en caoutchouc pour bébe et des langes.
Nous déshabillons Grand-Mère, nous la lavons dans notre baignoire, nous lui faisons un lit propre. Elle est tellement maigre que la culotte de bébé lui va très bien. Nous changeons ses langes plusieurs fois par jour.
Une semaine plus tard, Grand-Mère commence à bouger ses mains. Un matin, elle nous reçoit avec des injures:
– Fils de chienne! Faites cuire une poule! Comment voulez-vous que je reprenne des forces avec vos verdures et vos purées? Je veux aussi du lait de chèvre! J'espère que vous n'avez rien négligé pendant que j'étais malade!
– Non, Grand-Mère, nous n'avons rien négligé.
– Aidez-moi à me lever, vauriens!
– Grand-Mère, vous devez rester couchée, le médecin l'a dit.
– Le médecin, le médecin! Quel imbécile! Paralysée définitivement! Je vais lui montrer, moi, comment je reste paralysée!
Nous l'aidons à se lever, nous l'accompagnons à la cuisine, nous l'asseyons sur le banc. Quand la poule est cuite, elle mange toute seule. Après le repas, elle dit:
– Qu'est-ce que vous attendez? Fabriquez-moi une canne bien solide, dépêchez-vous, fainéants. Je veux aller voir si tout va bien.
Nous courons dans la forêt, nous trouvons une branche qui convient et, sous ses yeux, nous taillons une canne aux mesures de Grand-Mère. Celle-ci s'en saisit et nous menace:
– Gare à vous, si tout n'est pas en ordre!
Elle va au jardin. Nous la suivons de loin. Elle entre dans les toilettes, nous l'entendons marmonner:
– Une culotte! Quelle idée! Ils sont complètement fous!
Quand elle rentre à la maison, nous allons voir aux toilettes. Elle a jeté la culotte et les langes dans le trou.
Le trésor de Grand-Mère
Un soir, Grand-Mère dit.
– Fermez bien toutes les portes et toutes les fenêtres. Je veux vous parler, et je ne veux pas que quelqu'un nous entende.
– Personne ne passe jamais par ici, Grand-Mère.
– Les gardes-frontière se promènent un peu partout, vous le savez bien. Et ils ne se gênent pas pour écouter aux portes. Apportez-moi aussi une feuille de papier et un crayon.
Nous demandons:
– Vous voulez écrire, Grand-Mère?
Elle crie:
– Obéissez! Ne posez pas de questions!
Nous fermons les fenêtres et les portes, nous apportons le papier et le crayon. Grand-Mère, assise à l'autre bout de la table, dessine quelque chose sur la feuille. Elle dit en chuchotant:
– Voilà où se trouve mon trésor.
Elle nous tend la feuille. Elle y a dessiné un rectangle, une croix et, sous la croix, un cercle. Grand-Mère demande:
– Vous avez compris?
– Oui, Grand-Mère, nous avons compris. Mais nous le savions déjà.
– Quoi, qu'est-ce que vous saviez déjà?