Nous répondons en chuchotant:
– Que votre trésor se trouve sous la croix de la tombe de Grand-Père.
Grand-Mère se tait un moment, puis elle dit:
– J'aurais dû m'en douter. Vous le savez depuis longtemps?
– Depuis très longtemps, Grand-Mère. Depuis que nous vous avons vue soigner la tombe de Grand-Père.
Grand-Mère respire très fort:
– Ça ne sert à rien de s'énerver. De toute façon, tout est pour vous. A présent, vous êtes assez intelligents pour savoir qu'en faire.
Nous disons:
– Pour le moment, on ne peut pas en faire grand chose.
Grand-Mère dit:
– Non. Vous avez raison. Il faut attendre. Vous saurez attendre?
– Oui, Grand-Mère.
Nous nous taisons un moment tous les trois, puis Grand-Mère dit:
– Ce n'est pas tout. Quand j'aurai une nouvelle attaque, sachez que je ne veux pas de votre bain, de votre culotte ni de vos langes.
Elle se lève, elle fouille sur l'étagère parmi ses bocaux. Elle revient avec une petite bouteille bleue:
– Au lieu de vos saloperies de médicaments, vous verserez le contenu de cette bouteille dans ma première tasse de lait.
Nous ne répondons pas. Elle crie:
– Vous avez compris, fils de chienne?
Nous ne répondons pas. Elle dit:
– Vous avez peut-être peur de l'autopsie, petits chiards? Il n'y aura pas d'autopsie. On ne va pas chercher midi à quatorze heures quand une vieille femme meurt à la suite d'une deuxième attaque.
Nous disons:
– Nous n'avons pas peur de l'autopsie, Grand-Mère.
Nous pensons seulement que vous pouvez vous remettre une seconde fois.
– Non. Je ne m'en remettrai pas. Je le sais. Alors, il fâudra en finir au plus vite.
Nous ne disons rien, Grand-Mère se met à pleurer:
– Vous ne savez pas ce que c'est que d'être paralysé. Tout voir, tout entendre, et ne pas pouvoir bouger. Si vous n'êtes même pas capables de me rendre ce petit service, vous êtes des ingrats, des serpents que j'ai chauffés sur mon sein.
Nous disons:
– Cessez de pleurer, Grand-Mère. Nous le ferons; si vous le voulez vraiment, nous le ferons.
Notre Père
Quand notre Père arrive, nous sommes tous trois en train de travailler dans la cuisine parce qu'il pleut dehors.
Père s'arrête devant la porte, les bras croisés, les jambes écartées. II demande:
– Où est ma femme?
Grand-Mère ricane:
– Tiens! Elle avait vraiment un mari.
Père dit:
– Oui, je suis le mari de votre fille. Et voici mes fils. Il nous regarde, il ajoute:
– Vous avez beaucoup grandi. Mais vous n'avez pas changé.
Grand-Mère dit:
– Ma fille, votre femme, m'avait confié les enfants.
Père dit:
– Elle aurait mieux fait de les confier à quelqu'un d'autre. Où est-elle? On m'a dit qu'elle est partie à l'étranger. Est-ce vrai?
Grand-Mère dit:
– C'est vieux, tout ça. Où étiez-vous jusqu'à maintenant?
Père dit:
– J'ai été prisonnier de guerre. Et maintenant je veux retrouver ma femme. N'essayez pas de me cacher quoi que ce soit, espèce de vieille sorcière.
Grand-Mère dit:
– J'aime beaucoup votre façon de me remercier de ce que j'ai fait pour vos enfants.
Père crie:
– Je m'en fous! Où est ma femme?
Grand-Mère dit:
– Vous vous en foutez? De vos enfants et de moi? Eh bien, je vais vous montrer où elle est, votre femme!