Mary prit un stéthoscope et écouta son cœur, vérifia sa tension, reprit son pouls.
— Est-il diabétique, ou sujet à des crises d’épilepsie ?
— Non.
— Lui arrive-t-il de prendre de l’endorphine ou des stupéfiants prohibés ?
Sans attendre une réponse, elle réutilisa son biper.
— Ici Ahrens. Pouls à 110. Tension 100/60. Je vais analyser son sang.
Elle déchira un sachet contenant de la gaze.
Si Badri avait pris de la drogue, cela eût expliqué sa surexcitation, ses propos décousus. Mais l’examen médical comportait un test de dépistage, et il n’aurait pu terminer les calculs compliqués du transfert. Ce n’est pas normal.
Mary planta un cathéter dans le bras de son patient, qui rouvrit les paupières.
— Badri, m’entendez-vous ?
Elle emboîta un petit appareil à la sonde puis plongea la main dans la poche de son manteau et en sortit une pastille rouge vif.
— Avalez cette thermosonde, ordonna-t-elle.
Elle la glissa entre ses lèvres, mais il la recracha.
Elle fouilla dans sa trousse.
— Avertissez-moi dès que vous verrez quelque chose apparaître sur le moniteur, dit-elle à Dunworthy.
Elle fit disparaître tout le reste dans la pochette puis s’intéressa au contenu de son sac à main.
— Où est-ce que j’ai bien pu fourrer ce thermomètre épidermique ?
— Ça y est, annonça Dunworthy.
Mary prit son biper et lut des nombres.
— Vous devez… commença Badri, avant de murmurer : J’ai froid.
Dunworthy retira son pardessus. Le vêtement était trop humide pour qu’il pût en couvrir le malade et il chercha du regard autre chose. Si l’incident s’était produit avant le départ de Kivrin, ils auraient utilisé son manteau. Il vit la veste du tech, roulée en boule sous la console. Il s’en saisit et l’étala sur le torse de son propriétaire.
— Je gèle…
Il frissonnait. Mary cessa de dicter des chiffres.
— Qu’a-t-il dit ?
Badri murmura des propos incompréhensibles puis, plus distinctement :
— Migraine.
— Avez-vous des nausées ?
Il secoua imperceptiblement la tête. Non.
— Quand… fit-il en agrippant le bras de la femme.
Elle prit son pouls, se renfrogna, toucha son front.
— Il a de la température.
— Il se passe quelque chose d’anormal, marmonna Badri.
Ses yeux se fermèrent. Sa main devint flasque.
Mary regarda le cadran, toucha à nouveau son front.
— Où est passée cette saloperie de thermomètre ?
Elle fouillait une fois de plus sa trousse quand le biper émit un signal.
— Les voilà, dit-elle. Que quelqu’un aille leur montrer le chemin.
Les parameds, un homme et une femme, atteignirent la porte à l’instant où Dunworthy l’ouvrait. Ils se ruèrent dans la pièce avec d’énormes caisses de matériel d’intervention.
— Transport immédiat, ordonna Mary sans leur laisser le temps de déballer quoi que ce soit.
Elle se releva.
— Donnez-moi un thermomètre épidermique et faites-lui une perfusion de glucose, dit-elle à la femme.
— Je croyais que le personnel du Vingtième était soumis à un dépistage systématique, marmonnait Gilchrist. Le Médiéval n’autoriserait jamais…
Il s’écarta du passage du paramed qui revenait avec une civière.
— Overdose ? demanda l’homme.
— Non, répondit Mary. Avez-vous un thermomètre épidermique ?
— Pas sur moi, dit-il en branchant le goutte-à-goutte.
Il tint la poche en plastique au-dessus de sa tête pour accentuer les effets de la gravité puis la colla sur la poitrine de Badri avec un ruban adhésif.
Sa collègue remplaça la veste par une couverture grise.
— Froid, bredouilla le tech. Vous devez…
— Que devons-nous faire ? demanda Dunworthy.
— Le relèvement…
— Un, deux, dirent à l’unisson les parameds.
Et ils le soulevèrent et le déposèrent sur la civière.
— James, monsieur Gilchrist, vous devez m’accompagner à l’hôpital pour remplir les formulaires d’admission, déclara Mary. Et j’aurai besoin de ses antécédents médicaux. L’un de vous pourra profiter du voyage.
Sans ouvrir un débat avec Gilchrist, Dunworthy grimpa dans l’ambulance. Badri avait une respiration hachée et paraissait épuisé.
— Vous avez parlé d’une anomalie. Des problèmes avec le relèvement ?
— Je l’ai effectué.
Le paramed mâle reliait le malade à un nombre impressionnant de moniteurs.
— Le tech de Gilchrist s’est-il trompé dans les coordonnées ? C’est important.
Mary vint les rejoindre.
— En tant que remplaçant du recteur je dois rester auprès de cet homme, protesta Gilchrist.
— Retrouvez-nous aux Urgences, lui lança Mary avant de refermer les portes et de demander au paramed : Avez-vous sa température ?
— Oui. 39,5° avec une tension de 90/55 et un pouls de 115.
— L’anomalie, insista Dunworthy.
— Êtes-vous bien installés, là derrière ? demanda la conductrice par l’interphone.
— Oui. Code un, répondit Mary.
— Puhalski a-t-il fait une erreur ?
— Non.
— C’est le décalage temporel, alors ?
— J’aurais dû…
Le mugissement des sirènes couvrit la fin de sa phrase.
— Quoi ? cria Dunworthy.
— Il y a quelque chose qui cloche, dit Badri.
Avant de perdre à nouveau connaissance.
Des sécurités interrompaient automatiquement tout transfert au moindre imprévu, hormis s’il concernait le décalage temporel ou les coordonnées spatiales. Or, Badri venait de déclarer que ces dernières étaient bonnes. Quelle pouvait être l’importance du décalage, alors ? Le tech n’eût pas couru jusqu’au pub en bras de chemise sous une pluie battante pour un écart insignifiant. Combien ? Un mois ? Un trimestre ? Mais n’avait-il pas déclaré à Gilchrist que les premières estimations laissaient supposer un décalage minime ?
Mary se pencha pour toucher son front.
— Ajoutez du thiosalicylate de sodium à la perfusion. Et lancez un dépistage W.B.C. James, dégagez le passage.
Il alla s’asseoir à l’arrière du véhicule.
Mary reprit son biper.
— Préparez-vous pour une analyse sanguine complète et un sérotypage.
— Pyélonéphrite ? demanda le paramed. Tension 96/60, pouls 120, température 39,5°.
— Je ne crois pas. Il aurait des douleurs abdominales. Mais cette température indique une infection.
Les plaintes des sirènes décrurent et moururent. Le paramed entreprit de débrancher les moniteurs.
— Nous sommes rendus, Badri, annonça Mary. Nous vous remettrons rapidement sur pied.
Il ne semblait pas l’avoir entendue. Elle remonta la couverture et posa le faisceau de câbles sur son ventre. La conductrice ouvrit les portes et ils sortirent la civière.
— Je veux une analyse sanguine complète, dit Mary.
Dunworthy descendit à son tour et la suivit vers les Urgences.
— Il me faut ses antécédents médicaux, dit-elle à l’employée du bureau des admissions. Badri… comment, James ?
— Chaudhuri.
— Numéro de Sécurité sociale ? demanda la réceptionniste.
— Je ne le connais pas. Il travaille à Balliol.
— Pourriez-vous m’épeler son nom ?
— C-H-A… commença-t-il.
Mary disparut à l’intérieur du service et il lui emboîta le pas.