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Et mima qu’elle relevait sa jupe et s’accroupissait.

Un pot de chambre, pensa Kivrin, soulagée. Elle hocha la tête et s’assit en se retenant aux lourdes tentures du lit. Quand elle voulut se relever, un élancement déchira sa poitrine et la paralysa.

La vieille femme se tourna vers la porte pour crier :

— Maisry ! Maisry, com undtvae holpoon !

L’intonation indiquait qu’elle appelait quelqu’un — Majorie ? Mary ? — mais personne ne vint. Kivrin avait dû se tromper sur le sens de ses propos.

Elle se redressa. La souffrance s’atténua mais il fallut pratiquement la porter jusqu’au lit. Sitôt couchée, elle ferma les yeux.

— Slaeponpon donu paw daton, dit la jeune femme.

Ce devait être « Reposez-vous » ou « Dormez », mais elle ne pouvait reconstituer la phrase. L’interprète était cassé. L’angoisse serra sa gorge.

Impossible, se dit-elle. Ce n’est pas une machine mais un décupleur chimique des capacités d’assimilation d’un langage. Il lui faut pour cela connaître un minimum de mots, et le moyen anglais de M. Latimer est en l’occurrence inutile. Un problème de prononciation. Il lui faudrait du temps pour s’adapter et enregistrer suffisamment de données.

Le latin du prêtre ne lui avait posé aucun problème parce que le rite de l’extrême-onction était préétabli. Elle avait su à l’avance ce qu’il dirait. C’était différent, avec ces femmes. Noms propres et communs, verbes et prépositions occupaient des positions immuables. L’interprète établirait lesquelles et s’en servirait pour décrypter le reste.

Il suffisait de lui fournir des données en écoutant les propos échangés, sans essayer de les comprendre.

— Thin keowre hoorwoun desmoortale ? demanda la jeune.

— Got tallon wottes, fit la vieille.

Une cloche sonnait, dans le lointain. Kivrin ouvrit les yeux. Elles s’étaient tournées vers la fenêtre condamnée par la toile cirée.

— Bere wichebay gansanon.

Sans répondre, la belle-mère joignit les mains pour prier.

— Aydreddit ister fayve riblaun, ajouta sa bru.

Malgré sa résolution, Kivrin chercha à établir un lien avec « Il est l’heure des vêpres » ou « Ce sont les vêpres ». Mais elle n’entendait qu’une seule cloche.

La vieille femme se détourna brusquement de la fenêtre.

— Nay, Elwiss, itbahn diwolffin.

Elle alla prendre le vase de nuit posé sur le coffre.

— Gawynha thesspyd…

Elle fut interrompue par des bruits de pas précipités dans l’escalier et une voix enfantine qui criait :

— Modder ! Eysmertemay !

Une fillette fit irruption dans la pièce, nattes blondes et bonnet en bataille, les joues cramoisies et striées de larmes. Elle manqua percuter le pot de chambre que la belle-mère tenait toujours. Cette dernière gronda :

— Wol yadothoos forshame, Ahnyous ! Yowe maun naroonso inhus.

Sans en faire cas, l’enfant courut vers la jeune femme.

— Rawzamun hâttmay smerte, Modder !

Kivrin sursauta. Modder. Ce devait être « mère ».

La petite fille leva les bras et sa mère — oui, sa mère — la souleva. L’enfant la prit par le cou et éclata en sanglots.

— Shh, Ahnyous, shh.

C’est de l’allemand, pensa Kivrin. Chut, Agnès.

En tenant la fillette dans ses bras, la mère alla s’asseoir sur le siège de la fenêtre. Elle essuya ses larmes avec sa coiffe.

— Spekenaw dothass bifel, Agnès.

Oui, c’était indubitablement Agnès. Et speken signifiait « parle ». Dis-moi ce qui s’est passé.

— Shayoss mayswerte ! fit Agnès.

Elle désigna une fille qui venait d’entrer dans la chambre. Elle avait neuf ou dix ans et de longs cheveux bruns réunis dans son dos par un foulard bleu foncé.

— Itgan naso, Ahnyous. Tha pighte rennin gawn derstayres, dit la nouvelle venue avec un mélange d’affection et de mépris.

Elle ne ressemblait pas à l’enfant blonde, mais Kivrin eût été prête à parier qu’il s’agissait de sa sœur aînée.

— Shay pighte renninge ahndist eyres, Modder.

« Mère », à nouveau. Shay était le pronom « elle » et pighte le verbe « tomber ». La clé était bien l’allemand, tant pour la prononciation que la construction des phrases.

— Na comfitte horr Thusselwys, dit la belle-mère. She hâthnau woundes. Hoor teres been fornaught mais gain thy pitye.

— Hoor nay ganful bloody, répondit sa bru.

L’interprète fournissait désormais une traduction, imparfaite et à retardement, mais compréhensible.

— Ne la dorlotez pas, Eliwys. Elle n’est pas blessée. Elle pleure pour se faire plaindre.

Et la mère, qui s’appelait donc Eliwys, avait rétorqué :

— Son genou est en sang.

Elle désigna le pied du lit et dit :

— Rosemonde, passe-moi le linge posé sur le coffre.

L’aînée s’exécuta. Elle rapporta une bande de tissu effiloché, sans doute le pansement retiré du front de Kivrin.

— Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas ! hurla Agnès.

L’assistance de l’interprète était superflue.

— Je dois bander le genou pour arrêter le sang, expliqua Eliwys. Ce ne sera pas…, Agnès.

Le mot manquant était certainement « douloureux » et Kivrin s’étonna que l’interprète ne l’eût pas déduit en fonction du contexte.

— Comment es-tu tombée ? demanda Eliwys pour distraire l’attention de la fillette.

— Elle courait dans l’escalier, expliqua Rosemonde. Elle voulait vous annoncer que… était arrivé.

Un autre blanc dans la traduction, mais Kivrin avait entendu « Gawyn ». C’était probablement un nom propre, et l’interprète dut parvenir à la même conclusion car il l’inclut dans la phrase quand Agnès s’écria :

— C’est moi qui devais annoncer à Mère que Gawyn était là !

Elle enfouit son visage contre l’épaule d’Eliwys, qui en profita pour nouer le bandage autour de son genou.

— Dis-le-moi à présent.

La fillette secoua la tête, toujours blottie contre elle.

— Le pansement est trop lâche, fit remarquer la belle-mère. Il tombera tôt ou tard.

Elle tenait toujours le pot de chambre et Kivrin se demanda ce qu’elle attendait pour aller le vider.

— Chut, chut, murmurait Eliwys en berçant l’enfant.

— Tu es la seule à blâmer, Agnès, gronda la vieille. Tu sais qu’il ne faut pas courir dans l’escalier.

— Gawyn est-il venu à pied ? s’enquit Eliwys.

De toute évidence pour changer les idées à sa fille.

— Non, il montait son étalon noir, Gringolet. Il est venu me dire : « Gente Damoiselle, je souhaite parler à votre mère. »

— Rosemonde, pourquoi n’as-tu pas surveillé ta sœur ? demanda la belle-mère qui se cherchait une autre victime.

— Je faisais mes travaux de broderie, se justifia Rosemonde en se tournant vers sa mère pour solliciter son soutien. C’est Maisry qui devait veiller sur elle.

— Elle est allée voir Gawyn, précisa Agnès.

— Et en profiter pour folâtrer avec le garçon d’écurie, grommela la belle-mère qui se dirigea vers la porte en criant : Maisry !