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L’interprète ne sautait plus les noms propres. Kivrin ignorait qui était cette Maisry, sans doute une servante qui aurait des ennuis.

Rosemonde alla se tenir près de sa mère.

— Gawyn sollicite la permission de vous parler.

— Attend-il en bas ?

— Non. Il est allé voir le père Rock.

L’interprète prenait trop d’assurance.

— Dans quel but ? s’enquit la vieille femme en revenant dans la pièce.

Kivrin avait entendu le nom sous le murmure de la traduction. Roche. L’interprète l’avait traduit du français en anglais.

— Peut-être a-t-il appris quelque chose sur la dame, fit Eliwys en lançant un coup d’œil à Kivrin.

Cette dernière ferma les yeux pour feindre de dormir et les inciter à parler librement.

— Gawyn cherchait des traces de ces brigands, disait Eliwys. Peut-être en a-t-il trouvé. Agnès, va à l’église avec Rosemonde et dis-lui que je serai dans la grande salle. La Dame dort. Il ne faut pas la déranger.

Agnès se précipita vers la porte en criant :

— Je le lui dirai la première !

— Accorde-lui ce plaisir, dit la mère à l’aînée. Agnès, ne cours pas !

Les filles disparurent dans l’escalier, certainement en dévalant les marches.

— Rosemonde est presque une adulte, grommela la belle-mère. Qu’elle aille rejoindre un homme avec tant de hâte est inconvenant. Laisser ces enfants livrées à elles-mêmes n’apportera rien de bon. Vous devriez faire venir une gouvernante d’Oxenford.

— Non, répondit Eliwys avec une fermeté qui surprit Kivrin. Maisry peut s’en occuper.

— Elle serait incapable de garder des moutons. Nous avons eu tort de quitter Bath avec tant de hâte. Nous aurions dû attendre…

Un blanc, que Kivrin ne put combler. Mais elle avait saisi le plus important. Elles venaient de Bath et Oxford était proche.

— Envoyez Gawyn chercher une gouvernante, et un médecin pour la dame.

— Il restera ici.

— Dame Yvolde nous enverra volontiers quelqu’un.

— Non. Nous la soignerons nous-mêmes. Le père Roche…

— Ce prêtre ne connaît rien à l’art de la médecine.

Mais j’ai compris ce qu’il me disait, pensa Kivrin. Elle se souvenait de sa voix qui psalmodiait les derniers rites, du doux contact de sa main sur ses tempes, ses paumes, la plante de ses pieds. Il avait su la rassurer.

— Si cette dame est de noble lignée, comment expliquerez-vous aux siens que vous l’avez confiée aux soins d’un prêtre ignorant ? Dame Yvolde…

— Mon époux nous a ordonné de l’attendre ici.

— Sans doute eût-il mieux fait de nous accompagner.

— Il ne le pouvait pas, et vous le savez. Il nous rejoindra dès que possible. Je dois aller m’entretenir avec Gawyn, ajouta-t-elle en se dirigeant vers la porte. Il devait retourner sur les lieux de l’agression. Peut-être a-t-il trouvé des traces de ces bandits, ou des indications sur son identité.

Gawyn était donc son sauveteur, le rouquin aux traits pleins de bonté qui l’avait conduite jusqu’ici. À condition que ce ne fût pas un autre rêve, il connaissait l’emplacement du point de transfert. Elle se redressa contre l’oreiller pour leur dire :

— Un moment ! Attendez. Je veux parler à ce Gawyn.

Les femmes se turent. Eliwys revint, inquiète.

— Je dois le voir, insista Kivrin.

Avec le temps le processus deviendrait automatique, mais elle devait pour l’instant penser un mot puis attendre que l’interprète lui eût soufflé sa traduction.

— Il faut que je retourne là où il m’a découverte.

La jeune femme posa une main sur son front. Elle la repoussa avec irritation.

— Il est indispensable que je le voie !

— Elle n’a pourtant plus de fièvre, déclara Eliwys en s’adressant à Imeyne. Mais ses propos sont toujours incompréhensibles.

— C’est une étrangère. Peut-être une espionne française.

— Je parle anglais ! protesta Kivrin.

— Elle connaît le latin. Selon le père Roche, elle s’est exprimée dans cette langue lors de sa confession.

— Cet ignare ne sait même pas réciter correctement son Pater. Nous devrions aller à…

Un nom intraduisible. Kersey ? Courcy ?

— Je dois parler à Gawyn, fit Kivrin en latin.

— Non, rétorqua Eliwys à Imeyne. Nous attendrons mon époux.

L’autre femme se détourna si brusquement que le contenu du vase de nuit déborda sur ses doigts. Elle les essuya sur sa jupe et sortit. La porte claqua derrière elle. Eliwys se redressa pour la suivre.

Kivrin saisit ses mains.

— Pourquoi ne comprenez-vous pas mes paroles alors que je comprends les vôtres ? Il faut que Gawyn me dise où est le point de transfert.

Eliwys dégagea ses doigts avec douceur.

— Calmez-vous. Essayez de dormir. Vous devez vous reposer, si vous voulez pouvoir rentrer chez vous.

EXTRAIT DU GRAND LIVRE
(000915–001284)

J’ai des ennuis, monsieur Dunworthy. J’ignore où je suis et je ne peux me faire comprendre. L’interprète traduit ce que disent les contemporains, mais pas mes propos. Et ce n’est pas le plus grave.

Je suis malade. Je ne sais pas de quoi. Pas la peste, en tout cas, car les symptômes sont différents et mon état s’améliore. En outre, j’ai été vaccinée. C’est sans doute une maladie inconnue du Moyen Âge.

J’ai des maux de tête, de la fièvre et des étourdissements. Ma poitrine semble se déchirer au moindre mouvement. Un nommé Gawyn m’a conduite jusqu’ici sur son cheval. Je me rappelle seulement que nous avons voyagé de nuit, pendant ce qui m’a paru durer des heures. J’espère me tromper et être à Skendgate.

Je me souviens d’une église, et je dois être dans une demeure seigneuriale. On m’a logée dans une chambre et non une simple soupente, car un escalier dessert cette pièce. C’est donc la maison d’un noble. Dès que mes étourdissements auront cessé je grimperai sur le siège placé devant la fenêtre pour regarder au-dehors. J’entends sonner les vêpres. L’église de Skendgate n’a pas de clocher et c’est pourquoi je crains d’être ailleurs. Je sais cependant qu’Oxford est proche car Imeyne voudrait y envoyer chercher un médecin. On doit également trouver dans les parages un village appelé Kersey — ou Courcy — qui ne figure pas sur la carte de Mlle Montoya.

J’ai perdu connaissance et je ne peux en conséquence connaître la date. Je pense être en ce siècle depuis deux jours, mais c’est une simple supposition. Mon entourage ne me comprend pas et il m’est impossible de me renseigner. On m’a coupé les cheveux. Je ne sais quoi faire. Que s’est-il passé ? Pourquoi l’interprète ne fonctionne-t-il pas ? Pourquoi les vaccins n’ont-ils pas été efficaces ?

(Pause)

Il y a un rat, sous mon lit. Je l’entends gratter dans le noir.

11

Eliwys s’éloignait et Kivrin lui cria :

— Ne partez pas, je vous en supplie ! Seul Gawyn connaît l’emplacement du point de transfert.

— Dormez. Je reviendrai sous peu.

Elle ouvrit la porte. Des bruits de pas s’élevaient de l’escalier.

— Agnès, je t’ai dit de…

Elle ne termina pas sa phrase et recula. Sa main se crispa sur le battant et Kivrin crut qu’elle allait le repousser brutalement. Son cœur s’emballa. On vient me chercher pour me conduire au bûcher !

— Bonjour, gente Dame, fit une voix masculine.

Rosemonde m’avait dit que je vous trouverais dans la grande salle, mais vous n’y étiez pas.