— J’y cours ! fit Colin en joignant le geste à la parole.
— Quand cet enfant sera malade, j’espère que vous regretterez de l’avoir empêché de s’alimenter correctement. La cause de cette épidémie est évidente. Malnutrition et laxisme. Tout ici est affligeant. Je demande à être logée avec mon fils et on m’attribue une chambre dans un autre bâtiment…
— C’est mon secrétaire qui règle ce genre de détails, répondit lâchement Dunworthy.
Il se leva et enveloppa dans une serviette en papier le sandwich à la marmelade que Colin avait abandonné en prenant la fuite.
— Je suis attendu à l’hôpital.
Il s’esquiva, sans laisser à Mme Meager le temps de rouvrir la bouche.
De chez lui, il téléphona à Andrews. La ligne était occupée. Nul ne décrocha sur le site des fouilles. Il refit le numéro d’Andrews et cette fois l’appel fut transféré vers un service de messagerie après trois sonneries.
— Ici M. Dunworthy, dit-il avant d’hésiter et de fournir son indicatif. Il faut que je vous parle au plus tôt. C’est très important.
Il raccrocha, glissa la disquette dans sa poche, prit son parapluie et l’en-cas de Colin puis traversa la cour.
Le petit-neveu de Mary s’abritait de la pluie sous le porche, le regard tourné vers Carfax.
Dunworthy lui remit son sandwich à la confiture.
— Je vais à l’hôpital voir mon tech et ta grand-tante. Tu veux m’accompagner ?
— Non, merci. Je raterais le postier.
— Alors, va enfiler une veste si tu ne veux pas subir un nouveau sermon de Mme Meager.
— J’y ai déjà eu droit. Cette Mégère voulait que je mette un cache-nez. Je vous demande un peu ! J’ai fait semblant de ne pas entendre.
— Il faudra que je teste cette technique. Je pense être de retour pour le déjeuner. Si tu as besoin de quelque chose, adresse-toi à Finch.
— Hmm, fit Colin qui ne l’écoutait plus.
Dunworthy s’interrogea sur la nature du présent qu’il attendait avec tant d’impatience. Certainement pas un cache-nez.
Il enroula le sien autour de son cou et partit sous la pluie. Les rares passants veillaient à ne pas se croiser de trop près. Une femme descendit sur la chaussée dès qu’elle le vit approcher.
À l’exception du carillon qui massacrait « Minuit chrétien », rien n’indiquait que c’était la veille de Noël. Les gens n’avaient ni paquets ni houx. La quarantaine semblait leur avoir fait oublier la date.
À lui aussi. Il n’avait acheté ni cadeaux ni sapin. Il pensa à Colin et espéra que sa mère avait songé à lui expédier son colis. Il décida de lui offrir quelque chose. Un jouet ou une vid, afin qu’il n’eût pas qu’une écharpe.
Il arriva à l’hôpital et fut conduit dans le secteur d’isolement pour interroger les nouveaux malades.
— Il est essentiel de trouver le lien avec l’Amérique, dit Mary. Les employés du C.M.G. sont en vacances et nous devrons attendre le séquençage. En théorie, il devrait y avoir une permanence, mais comme c’est généralement après les fêtes qu’il y a des alertes — indigestions et G.d.B. prises pour les premiers symptômes d’une grippe — ils se sont accordé des congés anticipés. Le C.D.C. d’Atlanta a envoyé des échantillons du vaccin mais ne lancera sa production qu’après identification formelle du virus. Tout colle — forte fièvre, douleurs, complications pulmonaires —, mais ça ne suffit pas.
Elle s’arrêta sur le seuil d’une salle.
— Je présume que vous n’avez pas établi si Badri a eu des contacts avec des Américains ?
— Non, mais nous n’avons pas encore reconstitué tout son emploi du temps. Je retourne l’interroger ?
Elle hésita.
— Son état aurait-il empiré ?
— Il a une pneumonie et je doute qu’il vous tienne des propos cohérents. Sa température est très élevée. Nous lui administrons des antimicrobiens et des adjuvants qui ont fait leurs preuves contre le virus de Caroline du Sud, dit-elle en ouvrant la porte. Tous les patients ont rempli leurs formulaires.
Elle se pencha sur un clavier et saisit des instructions. Un tableau apparut sur le moniteur. Il avait autant de branches que le grand hêtre de la cour.
— Garder Colin une autre nuit ne vous ennuie pas ?
— Pas le moins du monde.
— Parfait. Je ne pense pas pouvoir rentrer chez moi avant demain et je m’inquiéterais si je le savais seul à la maison. Il n’y aurait bien que moi, remarquez. J’ai pu joindre Deirdre, là-bas dans le Kent, et vous savez ce qu’elle a eu le toupet de me dire ? « Oh, vous êtes en quarantaine ? J’ai été trop occupée pour regarder la télévision. » Puis elle m’a raconté ce qu’elle avait fait avec son ami, sans dissimuler qu’elle était ravie d’être débarrassée de son fils. Je la soupçonne parfois de ne pas être ma nièce.
— Savez-vous si elle a pensé à lui expédier ses cadeaux ?
— Elle est certainement trop débordée pour lui avoir acheté quoi que ce soit. La dernière fois qu’il a passé Noël en ma compagnie, le colis est arrivé pour l’Épiphanie. À propos, savez-vous ce qu’est devenu mon cabas ? Il contient mes présents pour Colin.
— Je l’ai rapporté à Balliol.
— Merci. Je n’ai pas terminé mes emplettes, mais si vous pouviez empaqueter le cache-nez et le reste, il aurait quelque chose sous le sapin.
Elle se leva.
— Si vous avez du nouveau, venez immédiatement me le dire. Nous avons retrouvé plusieurs individus que Badri a côtoyés, mais le porteur initial ne fait peut-être pas partie du lot.
Elle le laissa et il s’assit au chevet de la femme au parapluie lavande.
— Mademoiselle Breen ? J’ai quelques questions à vous poser.
Elle avait un teint cramoisi et une respiration sifflante, mais elle lui répondit sans hésiter. Non, elle n’avait pas séjourné aux États-Unis. Non, elle ne connaissait aucun Américain.
Il était plus de quatorze heures lorsqu’il termina d’interroger les gens dont les noms figuraient sur la liste des contacts directs. Aucun n’avait séjourné outre-Atlantique mais deux étaient allés danser à Headington.
Il passa voir Badri, sans espérer que le tech pourrait répondre à ses questions. Cependant, il semblait aller mieux. Il dormait mais ouvrit les yeux sitôt que Dunworthy s’assit et prit sa main dans la sienne.
— Monsieur Dunworthy, murmura-t-il d’une voix rauque. Que faites-vous ici ?
— Comment vous sentez-vous ?
— C’est bizarre, les rêves. Je pensais… j’avais tellement mal au crâne…
— Pourriez-vous me dire qui vous avez vu à Headington ?
— Je ne connaissais pas la plupart des gens.
— Vous rappelez-vous avec qui vous avez dansé ?
— Elizabeth Yakamoto et Sisu Machin-chose…
La sœur de garde entra, toujours aussi menaçante.
— C’est l’heure de la radio, annonça-t-elle. Vous devez sortir, monsieur.
— Accordez-moi quelques minutes. C’est important.
Mais elle enfonçait déjà des touches sur la console.
— Badri, fit-il en se penchant vers le lit. Quand vous avez procédé au relèvement, quel était le décalage ?
— Monsieur ! gronda la religieuse.
— Était-il plus grand que prévu ?
— Non.
— Combien ?
— Quatre heures.
Dunworthy se laissa entraîner vers la porte.
Quatre heures. Partie à midi et demi, Kivrin avait eu le temps de repérer les lieux et, en cas de besoin, de gagner à pied Skendgate avant la tombée de la nuit.
Il alla fournir à Mary les noms des filles que Badri avait invitées à danser. Elle consulta la liste des admissions, sans les trouver. Elle prit sa température et un peu de son sang. Il allait rentrer chez lui quand on amena Sisu Fairchild et il ne put regagner Balliol qu’à l’heure du thé.