Выбрать главу

Puis elle s’inclina plus encore afin de caresser la crinière du cheval et Kivrin dut faire un effort de volonté pour ne pas se précipiter vers elle et la soutenir.

Agnès devait être une bonne cavalière — ni sa sœur ni le garçon d’écurie n’avaient bronché —, mais elle était minuscule sur cette selle haut perchée.

Cob prépara le rouan, le fit sortir puis attendit.

— Cob ! hurla Rosemonde.

Il alla se baisser devant elle, pour lui faire la courte échelle. Elle prit appui sur ses mains et se mit en selle.

— Serais-tu un simple d’esprit ? Aide Dame Katherine.

Il alla vers Kivrin, qui hésita. Elle s’interrogeait sur l’attitude de Rosemonde. Le départ de Gawyn pour Courcy l’avait bouleversée. Elle était censée ne rien savoir du procès mais peut-être disposait-elle de plus d’informations que ne le supposaient sa gouvernante, sa mère et sa grand-mère.

Imeyne avait parlé de la puissance de leur voisin, et de la nécessité de bénéficier de ses bonnes grâces. Peut-être n’avait-elle pas lancé cette invitation dans un but aussi égoïste que Kivrin le croyait. Messire Guillaume pouvait avoir de graves ennuis et Rosemonde en était peut-être consciente.

— Cob ! Tu vas nous faire rater le père Roche !

Kivrin sourit au garçon d’écurie et prit appui sur ses épaules. M. Dunworthy lui avait fait donner des leçons d’équitation. Les femmes ne monteraient en amazone qu’à la fin de ce siècle, et elle avait tout lieu de s’en féliciter. De plus, les selles médiévales avaient un pommeau et un troussequin qui calaient bien le cavalier.

Mais si quelqu’un devait faire une chute, ce serait elle et non Agnès. La fillette était parfaitement à son aise et se contorsionnait pour chercher quelque chose dans sa sacoche, derrière elle.

— Qu’attendons-nous ? demanda Rosemonde avec impatience.

— Messire Bloet a promis de m’offrir une chaîne de mors en argent, dit Agnès.

— Cesse de jouer et viens ! gronda son aînée.

— Il me l’apportera à Pâques.

— Agnès ! Il va pleuvoir.

— Certainement pas. Messire…

— Voilà que tu sais prédire le temps, à présent ? Tu n’es qu’un bébé ! Un bébé geignard !

— Rosemonde ! intervint Kivrin. Ne parlez pas ainsi à votre sœur !

Elle alla saisir les rênes de sa jument.

— Qu’avez-vous ? Qu’est-ce qui vous irrite à ce point ?

Rosemonde tendit les lanières de cuir, brutalement.

— Que nous devions attendre le bon vouloir d’un bébé !

Kivrin lâcha les rênes et alla se mettre en selle en prenant appui sur les doigts entrecroisés de Cob. C’était la première fois qu’elle voyait Rosemonde se conduire de la sorte.

Elles sortirent de la cour et passèrent devant le pigeonnier désormais désert, sous un ciel plombé par de lourds nuages. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent et Rosemonde avait eu raison d’annoncer de la pluie. L’atmosphère était saturée d’humidité. Des talons, elle fit presser sa monture.

Le village se préparait pour Noël. De la fumée s’élevait de chaque hutte et à l’extrémité opposée du terrain communal deux hommes fendaient des bûches et jetaient les morceaux sur une pile déjà importante. Une carcasse — la chèvre ? — rôtissait sur une broche à côté de la maison de l’intendant. L’épouse de ce dernier trayait la vache décharnée que Kivrin avait vue lors de son escapade. Lorsque M. Dunworthy avait voulu qu’elle apprît à traire, elle lui avait rétorqué qu’au XIVe siècle on laissait les vaches se tarir pendant l’hiver, que seul le lait de chèvre était utilisé pour faire les fromages. Elle lui avait également affirmé qu’on ne consommait pas de viande de caprins, à l’époque.

— Agnès ! gronda Rosemonde.

Kivrin releva la tête. La fillette s’était arrêtée pour se tourner sur sa selle. Elle repartit, mais sa sœur déclara :

— Je ne t’attendrai plus, petite !

Elle piqua des deux et partit au trot. Les poulets s’égaillèrent et elle faillit renverser une enfant aux pieds nus qui portait une brassée de brindilles.

— Rosemonde ! cria Kivrin.

Mais elle était déjà loin et Kivrin ne pouvait laisser Agnès seule pour la poursuivre.

— Est-elle en colère parce que nous allons chercher du houx ? s’enquit-elle.

Elle savait qu’il existait une autre explication et espérait qu’Agnès la lui fournirait.

— Elle est toujours acariâtre. Grand-mère sera mécontente d’apprendre qu’elle commet de telles imprudences.

Elle fit trotter son poney avec beaucoup de dignité, sans omettre de saluer les villageois de la tête. Un parfait exemple de maturité et de sagesse.

La petite fille que Rosemonde avait failli renverser les regarda passer, bouche bée. L’épouse de l’intendant leva les yeux et leur sourit, en continuant de traire, mais les hommes qui fendaient le bois retirèrent leur chapeau et s’inclinèrent bien bas.

Elles passèrent devant la hutte où Kivrin s’était abritée la fois précédente. Pendant que Gawyn apportait tous ses biens au manoir.

— Agnès, le père Roche vous a-t-il accompagnées quand vous êtes allées chercher la bûche de Noël ?

— Oui, il devait la bénir.

— Oh ! Personne n’a donc aidé Gawyn à transporter mes affaires ?

— Non, répondit Agnès.

Mais Kivrin ne pouvait savoir si elle disait la vérité ou improvisait.

— Gawyn est très fort. Il a tué quatre loups avec son épée.

C’était invraisemblable, mais pas plus que le récit de son sauvetage d’une gente Damoiselle au fond des bois. Et il était évident qu’il n’eût reculé devant rien pour tenter d’impressionner Dame Eliwys, pas même tirer le chariot jusqu’au manoir d’une seule main.

— Le père Roche est fort, lui aussi, ajouta Agnès.

— Il est parti, leur cria Rosemonde qui avait mis pied à terre et attaché sa jument au portillon du cimetière.

Elle se dressait entre les tombes, les mains sur les hanches.

— Avez-vous regardé dans l’église ? demanda Kivrin.

— Non. Mais il fait de plus en plus froid et il n’a certainement pas attendu qu’il commence à neiger.

Kivrin descendit de sa monture.

— Allons voir. Viens, Agnès.

— Nan, je resterai ici avec Sarrasin.

— Il n’a pas besoin de toi, fit Kivrin en la soulevant à bout de bras. Nous allons jeter un coup d’œil à l’intérieur de l’église.

Elle prit sa main et poussa le portillon.

Agnès la suivit sans protester, mais elle lançait sans cesse des regards par-dessus son épaule.

— Sarrasin n’aime pas rester seul.

Rosemonde s’arrêta et se tourna.

— Qu’est-ce que tu caches, vilaine fille ? As-tu volé des pommes que tu dissimules dans tes sacoches ?

— Non ! s’exclama sa cadette, apeurée.

Mais Rosemonde se dirigeait déjà à grands pas vers le poney.

— Reste où tu es ! Ce n’est pas ton cheval !

Au moins n’aurons-nous pas à chercher le prêtre, se dit Kivrin. S’il est dans les parages, il sera attiré par leurs cris.

Rosemonde débouclait les sangles de la sacoche.

— Regardez !

Elle leur montra Blackie, qu’elle tenait par la peau du cou.

— Oh, Agnès ! fit Kivrin.

— Tu es possédée du Démon, ajoutait Rosemonde. Je devrais l’emporter jusqu’à la rivière et le noyer.

Elle se tourna vers le cours d’eau.

— Non ! hurla Agnès.

Elle courut rejoindre Rosemonde, qui leva le bras pour placer l’animal hors de portée.

Ça commence à bien faire, se dit Kivrin. Elle s’avança et prit le chiot.