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— N’est-il pas l’époux de Dame Yvolde ?

— Non. Dame Yvolde est sa sœur.

— Rosemonde est trop jeune pour prendre un mari, fit-elle.

Mais elle savait qu’au XIVe siècle on mariait souvent les filles avant qu’elles soient nubiles, parfois même à leur naissance. C’était un excellent moyen d’étendre un domaine et d’élever le statut social. Plusieurs récits médiévaux de jeunes vierges épousant des vieillards édentés lui revinrent à l’esprit.

— L’aime-t-elle ?

C’était une question stupide. Rosemonde bouillait de rage depuis qu’elle avait été informée de sa venue.

— Moi, je l’aime bien, déclara Agnès. Il m’a promis de me donner une chaîne de mors en argent, quand il l’épousera.

Kivrin regarda Rosemonde qui les attendait plus loin. Rien ne prouvait que Messire Bloet était un vieillard lubrique. Elle faisait de simples suppositions, comme lorsqu’elle s’était imaginé que Dame Yvolde était sa femme. Peut-être était-il dans la force de l’âge et sa fiancée changerait-elle d’avis avant les noces.

— Quand aura lieu la cérémonie ?

— À Pâques.

Ils avaient atteint une nouvelle bifurcation et la route empruntée par Rosemonde gravissait une petite colline.

Dans seulement trois mois, et elle n’avait que douze ans ! Que Dame Eliwys n’eût pas souhaité informer Messire Bloet de leur présence ne l’étonnait plus. Elle ne pouvait approuver cette union organisée dans le seul but de sauver son époux.

Rosemonde atteignit le haut de l’éminence puis redescendit au galop demander au père Roche :

— Où nous conduisez-vous ? Nous allons quitter les bois.

— Nous sommes presque rendus, affirma-t-il.

Elle fit demi-tour, disparut derrière la crête, réapparut, revint vers eux et repartit. Comme le rat qui cherchait à sortir de sa cage, se dit Kivrin.

La pluie se changeait en neige fondue. Le prêtre rabattit son capuchon sur sa tonsure et guida l’âne vers le haut de la pente. Arrivé au sommet, l’animal s’immobilisa. Le père Roche tira sur la longe, et il recula.

Kivrin et Agnès le rejoignirent.

— Que se passe-t-il ? demanda Kivrin.

— Avance, Balaam, grommelait le prêtre.

Il prit la corde à deux mains, mais la bête de somme planta ses sabots postérieurs dans le sol et se pencha en arrière, comme pour s’asseoir.

— Il ne doit pas aimer la pluie, suggéra Agnès.

— Pouvons-nous vous aider ? s’enquit Kivrin.

— Non. Continuez sans moi. Balaam sera plus docile, si vos montures sont loin.

Il passa derrière l’animal récalcitrant, sans doute pour le pousser. Kivrin atteignit la crête et regarda par-dessus son épaule afin de s’assurer que l’âne ne l’avait pas assommé d’une ruade. Elles descendirent sur l’autre versant.

La neige détrempée fondait et révélait un bourbier au fond de la dépression. Rosemonde les attendait sur la colline suivante. La forêt s’interrompait à mi-pente. Et au-delà s’étend une plaine où on peut voir une route, ainsi qu’Oxford, pensa Kivrin.

— Où allez-vous ? Attendez-moi ! lui cria Agnès.

Mais elle avait déjà atteint le bas de l’éminence et mis pied à terre. Elle secouait les buissons pour faire choir le manteau blanc qui les couvrait. Il y avait des saules, et derrière eux la ramure d’un grand chêne. Soudées par le gel, les branches s’opposaient à sa progression. Elle les martela de ses poings, et des blocs de neige churent sur elle. Des oiseaux s’envolèrent en piaillant. Elle s’ouvrit un passage dans les branchages, en espérant trouver au-delà une clairière. Elle la vit.

Ainsi qu’un chêne, et un peu plus loin des bouleaux aux troncs pâles. C’était le point de transfert.

Mais cette clairière n’était-elle pas plus vaste ? Et le chêne n’avait-il pas eu plus de feuilles, plus de nids ? En outre, elle ne se souvenait pas de ce prunier sauvage aux bourgeons violacés nichés au sein des épines. Elle aurait dû se le rappeler, n’est-ce pas ?

C’est la neige, se dit-elle. Elle métamorphose le paysage. Il y en avait près de cinquante centimètres, lisse, immaculée. Nul ne semblait s’être jamais aventuré en ce lieu.

— Est-ce ici que le père Roche espère trouver du lierre ? grommela Rosemonde qui venait la rejoindre et regardait de toutes parts. Je n’en vois pas.

N’en avait-elle pas aperçu, au pied du chêne ?

C’est la neige, se répéta-t-elle. Elle a recouvert tous les points de repère. Et les ornières creusées par le chariot quand Gawyn l’a tiré.

La cassette… Il ne l’avait pas apportée au manoir. Les hautes herbes des bas-côtés de la route l’avaient dissimulée.

Elle repartit au milieu des saules, sans faire cas des paquets de neige qui tombaient des branches. Le long du chemin la couche était moins épaisse. La cassette devait être visible. Elle croisa Rosemonde, qui lui cria :

— Dame Katherine ! Où allez-vous ?

— Kivrin ! hurla Agnès, en un écho pathétique.

Elle était sur la route, un pied coincé dans l’étrier.

— Venez m’aider ! Vite !

Kivrin la regarda puis se tourna vers la colline. Le père Roche se colletait toujours avec l’âne récalcitrant. Elle devait trouver la cassette avant son arrivée.

— Reste en selle, Agnès ! ordonna-t-elle.

Elle dégagea la neige sous les saules.

— Que cherchez-vous ? demanda Rosemonde. Il n’y a pas de lierre, ici !

— Dame Kivrin ! hurlait Agnès.

Les branches s’étaient affaissées sous le poids de la neige et la cassette devait être plus loin. Elle se pencha et ne vit rien. Elle avait refusé de l’admettre, mais la ramure abritait le sol et la couche de neige n’était pas assez épaisse pour dissimuler cet objet. Il devrait pourtant être là, pensa-t-elle. Si je suis au bon endroit, évidemment.

— Dame Kivrin !

Elle tourna la tête. Agnès était descendue de sa monture et venait vers elle à toutes jambes.

— Ne cours pas ! cria Kivrin.

Trop tard. L’enfant trébucha dans une ornière et tomba.

Kivrin alla la prendre dans ses bras. Agnès avait eu le souffle coupé et elle exerça une pression sur son ventre pour l’obliger à inspirer.

La fillette hoqueta, puis hurla.

— Allez chercher le père Roche, dit Kivrin à Rosemonde. Il est sur la colline. Son âne refuse d’avancer.

— Il arrive.

Il avait abandonné l’animal et dévalait la pente. Elle lui eût également crié de ne pas courir si elle n’avait su que les pleurs d’Agnès couvriraient cette mise en garde.

— Chut, murmura-t-elle. Tu n’as rien.

Dès qu’il fut près d’elles, l’enfant se jeta dans ses bras.

— Chut, fit-il à son tour en la serrant contre lui. Calme-toi.

Les hurlements se réduisirent à des sanglots.

— Où as-tu mal ? voulut savoir Kivrin. Aux mains ?

Le prêtre lui présenta la fillette pour qu’elle pût lui retirer ses mitaines. La peau était rouge, mais sans une égratignure.

— Où es-tu blessée ?

— Elle n’a rien, intervint Rosemonde. Elle pleure parce que c’est un bébé.

— Je ne suis pas un bébé ! rétorqua Agnès avec véhémence. J’ai mal au genou.

— Lequel ? demanda Kivrin. Le même que l’autre fois ?

— Oui ! Ne le touchez pas !

— Entendu.

La plaie avait dû se rouvrir, mais tant que le sang ne traversait pas son haut-de-chausses en cuir, il était sans objet de l’exposer au froid en retirant ce vêtement.

— Mais tu me laisseras regarder quand nous serons rentrées, d’accord ?