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L’ancêtre fit peser sur lui un long regard investigateur. Une vieille roublardise paysanne se réveillait en lui.

« Comment pouvons-nous avoir l’assurance que vous ferez ce que vous promettez ? » demanda-t-il.

Andy aurait pu lui dire qu’il était le roi des rectifieurs, le meilleur de tous, un bidouilleur de génie doté de pouvoirs quasi magiques. Qui pouvait s’introduire en douce dans n’importe quel réseau télématique et le faire danser sur sa musique. Ce qui n’aurait été que la stricte vérité. Mais il se contenta de déclarer que c’était à lui de se décider ; il ne pouvait lui offrir ni déclaration sous serment ni garantie, il se trouvait simplement qu’il était disponible si on avait besoin de ses services et ça ne lui ferait ni chaud ni froid si la jeune dame préférait garder sa convoc pour les T.D.R.

Ils s’éloignèrent et s’entretinrent deux ou trois minutes. Lorsqu’ils revinrent, le vieillard retroussa sa manche sans un mot et présenta son implant. Andy fit apparaître le solde de son compte : dans les trente mille dollars, pas mal du tout. Il en vira huit sur ses divers comptes, une moitié à Seattle, l’autre à Honolulu. Puis il prit le poignet de la jeune femme, gros comme deux de ses doigts, entra dans son implant et lui rédigea la rectification qui lui sauvait la vie.

« Allez, dit-il. Rentrez chez vous. Vos gosses attendent leur repas de midi. »

Les yeux de la femme brillaient. « Comment pourrais-je vous remercier…

— J’ai déjà encaissé mes honoraires. Partez. Si jamais vous me revoyez, faites comme si vous me connaissiez pas.

— Ça va marcher ? s’enquit le vieillard.

— Vous dites que vous avez des amis qui s’y connaissent. Attendez sept jours, puis dites à la banque de données que Madame a perdu sa convocation. Quand vous recevrez la nouvelle, demandez à vos copains de vous la décoder. Vous verrez. Tout ira bien. »

L’homme ne semblait pas convaincu. Andy soupçonna qu’il était quasi sûr d’avoir été escroqué d’un quart de ses économies. La haine était par trop visible dans ses yeux. Mais dans une semaine il s’apercevrait qu’Andy avait effectivement sauvé la vie de sa belle-fille et il se précipiterait à Pershing Square pour lui dire à quel point il regrettait d’avoir eu une si mauvaise opinion de lui. Sauf qu’à ce moment-là, Andy comptait bien être ailleurs, loin de L.A.

Ils quittèrent le parc par le côté est en traînant les pieds, s’arrêtant une ou deux fois pour regarder Andy par-dessus leur épaule comme s’ils croyaient qu’il allait les changer en statues de sel dès qu’ils auraient le dos tourné. Puis ils disparurent.

En un rien de temps, Andy avait gagné de quoi financer sa semaine à L.A. Il n’en continua pas moins à traîner dans le parc dans l’espoir d’un petit supplément. Ce qui se révéla une erreur.

Le client suivant était le parfait Homme invisible, le genre de petit bonhomme que l’on ne remarque jamais dans une foule, gris muraille, le cheveu rare, le sourire fadasse de ces gens qui ont toujours l’air de s’excuser. Mais il y avait une vague lueur dans ses yeux. Andy et lui entrèrent en conversation, et très vite, ils rivalisèrent d’adresse pour s’extorquer mutuellement des renseignements. Il informa Andy qu’il était de Silver Lake. Ce qui ne disait pas grand-chose à Andy. Lui raconta qu’il était descendu en ville pour voir quelqu’un dans le grand immeuble du LACON sur Figueroa Street. D’accord : probablement pour une réclamation. Andy flaira un contrat.

Le petit homme gris voulut ensuite savoir d’où Andy était originaire – Santa Monica, L.A. Ouest ? Andy se demanda si les gens avaient un autre accent à l’autre bout de la ville. « Je suis un éternel voyageur, dit-il. J’ai horreur de prendre racine. » Vrai. « Je suis arrivé de l’Utah hier soir. Avant, j’étais dans le Wyoming. » Faux dans les deux cas. « Peut-être que je vais pousser jusqu’à New York. »

Le petit bonhomme regarda Andy comme s’il avait annoncé qu’il se préparait à aller sur Jupiter.

Mais il savait maintenant qu’à défaut de détenir un passe-muraille, Andy disposait d’un moyen quelconque d’en obtenir un quand il voulait ou, à tout le moins, ne voyait pas d’inconvénient à le prétendre ouvertement. Autrement dit, il signalait qu’il n’était pas comme tout le monde. Et c’était manifestement là-dessus que l’autre cherchait à s’informer.

En un rien de temps ils furent dans le vif du sujet. Le petit homme gris expliqua qu’il avait reçu sa nouvelle affectation : six ans à la station d’assèchement des marais salants dans les environs de Mono Lake. Très, très mauvaise nouvelle. Andy avait entendu dire qu’on y tombait comme des mouches. Ce que l’autre voulait, évidemment, c’était une affectation moins éprouvante, genre Service d’entretien, et il fallait que ce soit à l’intérieur des murs, de préférence dans un des quartiers proches de l’océan, où l’air était frais et pur.

« Pas de problème, je peux vous arranger ça. » Andy indiqua un prix que l’autre accepta sans sourciller. « Votre poignet, s’il vous plaît. »

Gris-muraille lui tendit la main droite, la paume vers le haut. Le port d’accès à son implant était une plaque jaune pâle, montée à l’endroit habituel mais plus ronde que le modèle courant et d’une texture légèrement plus lisse. Andy n’attacha pas grande importance à ce détail. Comme il l’avait déjà fait tant de fois, il plaqua son bras contre celui de l’autre, poignet contre poignet, accès contre accès.

Leurs biordinateurs entrèrent en contact. À cet instant, le petit bonhomme s’abattit sur lui comme un ouragan et Andy comprit illico, à la force du signal qu’il encaissait, qu’il avait affaire à un individu d’exception et risquait de passer un sale quart d’heure ; bref, qu’il s’était fait pigeonner. Ce minable pâlichon n’avait pas du tout cherché à se payer une rectif. Ce qu’il cherchait, c’était un duel de données. Derrière le sourire passe-partout se cachait Jo Les-gros-bras, prêt à montrer quelques-uns de ses tours au pied-tendre fraîchement débarqué en ville. Il y avait très, très longtemps qu’Andy n’avait pas été impliqué dans une affaire de ce genre. Le duel, c’était un truc d’ados. Mais lorsqu’Andy le pratiquait, aucun bidouilleur n’avait jamais pu le battre en combat singulier. Pas une seule fois. Ce serait pareil pour celui-ci. Andy le plaignit, mais modérément.

Il balança à Andy un paquet de données rapides, bizarroïdes, mais pas trop, histoire de trouver les paramètres de son adversaire. Andy le saisit au vol, le stocka, bloqua le type avec une interruption de programme et reprit l’initiative dans le dialogue. À lui de le tester à son tour. Il voulait que l’autre commence à comprendre à qui il avait affaire.

Mais juste au moment ou Andy entamait l’exécution de sa procédure, l’autre lui colla une interruption. À lui ! Voilà qui était nouveau. Andy le considéra avec un certain respect.

Normalement, n’importe quel bidouilleur, d’où qu’il soit, aurait reconnu le signal d’Andy dans les trente premières secondes et cela aurait suffi à mettre fin à l’échange. Il aurait su que ça ne valait pas la peine d’insister. Mais celui-ci… Ou il n’avait pas réussi à identifier Andy, ou il s’en fichait, et il avait donc repris l’initiative en plaçant son interruption. Andy trouva ça stupéfiant. Et ce que le petit bonhomme commença à lui balancer ne l’était pas moins.

Il se mit au boulot sans hésiter et tenta énergiquement de brouiller l’architecture d’Andy. Des volumes entiers de données flinguaient Andy dans le vif des méga-octets.