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Elle réfléchit. Il n’aurait su dire si elle le croyait ne serait-ce qu’une fraction de seconde, mais il voyait qu’elle réfléchissait.

« Pourquoi avez-vous fait ça ? finit-elle par articuler.

— Je laisse des clients en rade parce que je veux pas avoir l’air infaillible, l’informa-t-il. On est obligé d’écrire des rectifs en bois de temps en temps, sinon on commence à avoir une trop bonne réputation, et ça peut être dangereux. Si on allonge une rectif à tous les coups, ça se sait, les gens commencent à parler, on commence à devenir une légende. On en arrive à être connu partout, et tôt ou tard, on se fait coincer par les Entités, c’est aussi simple que ça. Alors je m’arrange toujours pour saboter un certain nombre de rectifs. Une sur cinq, environ. Je dis aux gens : “Je vais faire de mon mieux, mais sans garantie ; il y a des fois où ça ne marche pas.”

— Vous m’avez donc roulée délibérément.

— Oui.

— C’est bien ce que je pensais. Vous aviez l’air si calme, si professionnel. Si parfait, sauf quand vous avez bêtement essayé de me draguer ; là, je me suis dit, ah, les hommes, tous pareils. J’étais sûre que la rectification serait valable. Je ne voyais pas comment ça pouvait rater. Et puis je suis arrivée au Mur et me suis fait cueillir. Et là, je me suis dit, ce salaud a fait exprès de me balancer. Il était trop calé, pas du genre à se planter. » Elle parlait calmement, mais la colère n’était que trop visible dans ses yeux. « Vous n’auriez pas pu saboter la rectif suivante, Mickey ? Pourquoi a-t-il fallu que ça tombe sur moi ? »

II la regarda un long moment, évaluant ses chances.

Puis il inspira profondément et lâcha, en y mettant tout ce qu’il avait dans le ventre : « Parce que j’étais très amoureux de vous.

— Foutaises, Mickey. Foutaises. Vous ne me connaissiez même pas. Je n’étais qu’une inconnue venue louer vos services.

— Justement. C’est justement comme ça que ça s’est passé. » II sentit l’inspiration venir au secours de son improvisation et poursuivit sur sa lancée : « J’étais là, en train de fantasmer comme un fou sur vous, prêt à foutre en l’air ma petite vie bien organisée pour vous, à rédiger des autorisations de sortie pour nous deux, à faire le tour du monde avec vous, le grand jeu, quoi. Et tout ce que vous arriviez à voir, c’était quelqu’un que vous aviez embauché pour faire un boulot. Je n’étais pas au courant pour le type de San Diego. Tout ce que je savais, c’était que je vous voyais, que vous étiez magnifique et que je vous désirais. Je suis tombé amoureux de vous sur-le-champ.

— Ouais. Tombé amoureux. Comme c’est touchant. » Jusque-là, rien de mirobolant. Mais je peux y arriver, songea-t-il. Il n’y a qu’à laisser couler et voir où ça va.

« Vous ne trouvez pas que c’est de l’amour, Tessa ? Bon, appelez ça autrement, comme vous voulez, mais c’était un sentiment que je me m’étais jamais permis d’éprouver. C’est pas malin de se laisser trop emporter, voilà ce que je pensais, c’est se mettre un fil à la patte, c’est trop risqué. Et puis je vous ai vue, j’ai parlé un peu avec vous et je me suis tout de suite dit qu’il pouvait se passer quelque chose entre nous, j’ai senti qu’un changement s’opérait en moi, et je me suis dit, oui, oui, va jusqu’au bout cette fois-ci, laisse-toi aller, ça va peut-être tout changer. Et vous étiez là, sans rien voir, sans même commencer à remarquer quoi que ce soit, à me tenir d’interminables discours sur l’importance qu’avait pour vous cette rectification. Froide comme un bloc de glace, vous étiez. Et ça m’a fait mal. Affreusement mal, Tessa. Alors je vous ai arnaquée. Et je me suis dit ensuite : Bon sang, tu as foutu en l’air la vie de cette fille super, simplement parce que tu t’es laissé piéger, et ça, c’est vraiment dégueulasse. D’où mes remords. Vous n’êtes pas obligée de me croire. Je ne savais pas pour San Diego. Ce qui ne fait que rendre les choses encore plus difficiles pour moi. »

Elle était restée silencieuse d’un bout à l’autre de cette tirade. Son impassibilité de marbre commençait à irriter Andy et il tenta de l’ébranler. « Dites-moi au moins une chose. Le type qui m’a démoli a Pershing Square, c’était qui ?

— Ce n’était personne.

— Comment ça ?

— “Qui” n’est pas le bon terme. C’est “quoi” qui s’impose ici. Il s’agit d’une chose. D’un androïde, d’une unité mobile antirecti-fieurs, branchée directement sur le supersystème des Entités à Santa Monica. Un dispositif nouveau que nous avons lâché en ville pour débusquer les gens comme vous.

— Ah, fit Andy, sidéré, comme si elle lui avait donné un coup de pied. Ah.

— Il paraît que vous lui avez donné du fil à retordre.

— Pareil pour moi. Il m’a mis la moitié du cerveau en compote.

— Vous n’aviez aucune chance de le battre. Autant essayer de boire la mer avec une paille. D’ailleurs, pendant un moment, vous avez donné l’impression que vous alliez y arriver. Vous êtes un sacré champion de la bidouille, savez-vous ? Oui, bien sûr.

— Pourquoi travaillez-vous pour les Entités ? » Elle haussa les épaules. « Tout le monde travaille pour Elles d’une manière ou d’une autre. Sauf les gens comme vous, ce me semble. Et pourquoi pas ? Elles sont chez elles, non ?

— Il n’en a pas toujours été ainsi.

— Il n’en a pas toujours été ainsi pour des tas de choses. Qu’est-ce que ça peut faire au point où on en est ? Et ce n’est pas un trop mauvais boulot. Au moins, je ne suis pas là-bas sur le Mur. Ou bonne pour les T.D.R.

— Effectivement. C’est sans doute mieux ainsi. Si ça ne vous gêne pas de bosser dans une pièce si haute de plafond. C’est ça qui m’attend ? Un séjour en T.D.R. ?

— Ne soyez pas stupide. Vous êtes trop précieux.

— Pour qui ?

— Le réseau a toujours besoin d’être amélioré. Vous le connaissez mieux que n’importe qui, même de l’extérieur. Vous allez travailler pour nous.

— Vous croyez que je vais devenir un borgmann ? » Andy n’en revenait pas.

« C’est mieux que les T.D.R. »

Comment pouvait-elle parler sérieusement ? Elle était en train de se jouer de lui. Il faudrait qu’ils soient les derniers des idiots pour lui confier le moindre poste comportant des responsabilités. Et complètement abrutis pour lui donner accès à leur réseau.

« Alors ? s’enquit-elle comme le silence d’Andy se prolongeait. Marché conclu, Mickey ? »

II s’accorda encore un petit moment de réflexion. Elle ne plaisantait donc pas. Elle allait lui remettre les clés du royaume. Ça alors ! Ils devaient avoir leurs raisons, supposa-t-il. S’il refusait, ce serait lui l’imbécile.

« Très bien, dit-il, j’accepte. À une condition. »

Elle siffla d’admiration. « Vous ne manquez pas d’air, dites donc !

— Accordez-moi une revanche contre votre androïde. J’ai besoin de vérifier quelque chose. Après, on pourra discuter du genre de boulot pour lequel je suis le plus qualifié. D’accord ?

— Vous n’êtes absolument pas en situation de poser des conditions, vous savez.

— Mais si. Ce que je fais avec les ordinateurs est un art unique. On ne peut pas m’obliger à l’exercer contre ma volonté. On ne peut pas m’obliger à quoi que ce soit contre ma volonté. »

Elle réfléchit puis : « Pourquoi une revanche ?

— Personne ne m’avait battu jusque là. Je veux une deuxième chance.

— Vous savez que ça va être encore plus dur que la première fois.

— Laissez-moi m’en assurer.