— Mais à quoi ça rime ?
— Amenez-moi votre androïde et je vais vous montrer à quoi ça rime. »
II fut extrêmement surpris de la voir accéder à sa demande. Mais il en fut ainsi. Curiosité ? Autre chose ? Toujours est-il qu’elle se connecta au réseau informatique, envoya quelques ordres, et très vite, on amena l’androïde qu’Andy avait rencontré dans le parc, ou peut-être un autre qui avait le même visage passe-partout, la même apparence générale grise et anonyme. Il posa sur Andy un regard aimable, sans la moindre lueur d’intérêt.
Quelqu’un vint enlever le bracelet de sécurité des poignets d’Andy, lui attacha les chevilles avec et repartit. Tessa donna ses instructions à l’androïde ; il leva son poignet vers celui d’Andy et ils entrèrent en contact. Andy passa immédiatement à l’action.
Il était encore dolent, flageolant et salement meurtri, mais il savait ce qu’il avait à faire, comme il savait qu’il fallait être rapide sur le coup. L’essentiel était d’ignorer complètement l’androïde – c’était juste un terminal, juste un élément – et d’attaquer ce qui se trouvait derrière. Plus question de proposer d’accès d’implant à implant. Plus de petites politesses bilatérales. Andy contourna prestement le programme d’identification de l’androïde, intelligent mais superficiel. Progressant intuitivement et instantanément, parce qu’il savait que c’en serait fini de lui s’il s’arrêtait pour interpréter les données, il feinta l’androïde alors qu’il en était encore à élaborer ses combinaisons, perfora son interface Borgmann et plongea en dessous avant que l’autre puisse faire quoi que ce soit pour l’arrêter. Ce qui l’amena aussitôt du niveau de l’unité à celui de l’architecture principale, une machine d’une capacité inimaginable. Sitôt arrivé, il donna au monstre une cordiale poignée de main.
Il en tressaillit d’émotion.
Pour la première fois, Andy comprit véritablement ce que le père Borgmann avait accompli en construisant l’interface qui reliait les bio puces humaines aux superordinateurs des Entités. Toute cette puissance, tous ces téra-octets étaient tapis là comme autant de squatters, et il était directement branché dessus. Il avait l’impression d’être une souris prise en stop par un éléphant, mais ça ne le gênait pas du tout. Il n’était peut-être qu’une souris, mais cette souris se payait une virée sensationnelle. Il trouva rapidement la chaîne de données de l’androïde et y fit un noud pour l’empêcher de lui courir après. Puis, bien accroché, il se laissa porter par les vents impétueux de cette machine colossale rien que pour le plaisir.
Et lui arracha au passage, à pleines poignées, des pans de mémoire qu’il dispersa dans la brise.
Pourquoi se gêner ? Qu’avait-il à perdre ?
Pendant un bon dixième de seconde, le mastodonte ne remarqua rien. Ce qui en disait long sur sa taille. Andy était en train de l’étriper allègrement, de lui arracher de gros blocs de données. Et il ne s’en apercevait même pas, parce même le plus somptueux des ordinateurs jamais assemblé reste soumis à la nécessité de fonctionner à la vitesse de la lumière ; quand on ne peut pas aller à plus de 300 000 kilomètres/seconde, l’alerte a besoin d’un certain temps pour se transmettre d’un bout à l’autre de vos voies neurales. Ce machin était proprement démesuré. Andy comprit qu’il se trompait en s’imaginant en souris sur le dos d’un éléphant. Une amibe à cheval sur un brontosaure, voilà qui constituait une meilleure comparaison.
Naturellement, le circuit de surveillance finit par intervenir. Des alarmes se déclenchèrent, des portes internes se refermèrent avec fracas, toutes les zones sensibles furent condamnées et Andy fut éjecté d’un simple haussement d’épaule. Inutile de traîner dans le coin, à attendre de se faire piéger. Il se retira.
Il constata que l’androïde s’était ratatiné sur la moquette. Ce n’était plus qu’une coquille vide.
Des lumières clignotaient sur le mur du bureau.
Tessa lui décocha un regard épouvanté. « Qu’est-ce que vous avez fait ?
— J’ai battu votre androïde. Ce n’était pas si difficile que ça, une fois trouvée la combine.
— J’ai entendu une alarme. L’éclairage de secours s’est allumé. Vous avez endommagé l’ordinateur central.
— Pas vraiment. Pas d’une manière significative. Ç’aurait été très difficile de rester là-dedans assez longtemps pour causer des dégâts tant soit peu importants. Je l’ai seulement chatouillé un peu. Il a été surpris de me voir débarquer, c’est tout.
— Non. Je crois que vous l’avez bel et bien endommagé.
— Allons, Tessa. Pourquoi ferais-je une chose pareille ? » Elle n’avait pas l’air d’apprécier. « La question devrait plutôt être : pourquoi vous ne l’avez pas déjà fait. Pourquoi vous n’êtes pas allé foutre le bordel dans leurs programmes.
— Vous pensez vraiment que je pourrais y arriver ? »
Elle le regarda attentivement. « Je pense que oui, peut-être.
— Soit. Peut-être que oui. Peut-être que non. Moi-même j’ai des doutes. Mais vous savez, Tessa, je ne suis pas un croisé. J’aime ma vie comme elle est. Tranquille. Je vois du pays, je fais ce que je veux. Je ne joue pas les rebelles. Je n’aime pas monter en première ligne quand ça chauffe. Quand j’ai besoin de trafiquer des trucs, j’en fais pas plus que nécessaire. Et les Entités ne savent même pas que j’existe. Si je leur mettais le doigt dans l’œil, elles me le couperaient. Je ne m’y suis donc pas risqué.
— Mais maintenant vous le pourriez peut-être. »
II commença à se sentir mal à l’aise. « Je ne vous suis pas.
— Vous n’aimez pas le risque. Vous n’aimez pas vous faire remarquer. Vous rasez les murs et ne cherchez pas la bagarre pour le plaisir. Très bien. Mais si nous vous privons de votre liberté, si nous vous assignons à résidence à L.A. et vous mettons au travail, vous vous rebellerez d’une manière ou d’une autre, n’est-ce pas ? J’en suis persuadée. Vous iriez tout droit dans les entrailles du processeur central et imagineriez un moyen d’effacer vos traces, si bien que la machine ne saurait jamais que vous êtes dans la place. Et vous ne feriez pas les choses à moitié. Vous feriez des tonnes de ravages. » Un instant de silence, puis : « Oui, c’est ainsi que vous agiriez. Vous assaisonneriez tellement bien leur ordinateur que les Entités seraient peut-être obligées de le mettre à la ferraille et de tout recommencer à zéro. Je me rends compte à présent que vous avez les compétences nécessaires et que vous pourriez vous retrouver dans une situation où vous seriez disposé à vous en servir. Et alors vous ficheriez tout en l’air pour nous tous, pas vrai ?
— Comment ça ?
— Si nous vous laissions vous approcher tant soit peu du réseau des Entités, vous y sèmeriez une telle pagaille qu’Elles seraient obligées de prendre des mesures de rétorsion quelconques contre nous, et tous les gens du LACON seraient virés. Ou plus vraisemblablement expédiés aux T.D.R. »
Elle le surestimait, c’était évident. La machine était trop bien défendue pour que quiconque, même lui, l’endommage de cette manière. S’il se retrouvait à l’intérieur, il pourrait certes faire des dégâts ponctuels – des dégâts de souris –, mais il ne pourrait pas échapper assez longtemps au circuit de surveillance pour causer des dommages de quelque importance.
Mais si elle le croit, à la bonne heure. C’est quand même mieux d’être surestimé que sous-estime.
« Je ne vais pas vous donner cette chance, reprit-elle. Parce que je ne suis pas folle. Je vous comprends maintenant, Mickey. Il n’est pas prudent de faire joujou avec vous. Chaque fois qu’on essaie, vous prenez votre petite revanche sans vous soucier le moins du monde de ce que vous faites dégringoler sur la tête des autres. On en souffrirait tous, mais ça vous serait bien égal. Non. Pas question, Mickey. Ma vie n’est pas si pénible que j’aie besoin de vous pour me la mettre sens dessus dessous. Vous m’avez déjà fait le coup une fois. Je n’ai pas envie de renouveler l’expérience. »