Выбрать главу

Elle le regardait sans ciller. Toute sa colère semblait s’être dissipée pour ne laisser place qu’au mépris.

Mais il était encore prisonnier de ces murs, les chevilles entravées, entièrement à sa merci. Il resta silencieux et attendit la suite. Elle le regarda un moment sans parler.

Puis elle lâcha quelque chose de totalement inattendu : « Dites-moi, pourriez-vous vous introduire encore une fois dans la bête et vous arranger pour qu’il n’y ait plus de traces de votre arrestation ? »

Andy ne put dissimuler son étonnement. « Vous parlez sérieusement ?

— Dans le cas contraire, je n’aurais rien dit de tel. Vous pouvez faire ça ?

— Ouais. Ouais, je suppose.

— Alors, au travail. Je vous donne exactement soixante secondes pour faire ce vous avez à faire. Et vous n’avez pas intérêt à en profiter pour y aller d’une de vos sales magouilles. Voici votre dossier. À vous de vous en débarrasser. » Elle lui tendit un listing. « Et une fois que vous aurez effacé votre dossier, filez, et en vitesse. Loin d’ici, loin de Los Angeles. Et ne vous avisez pas de revenir.

— Vous allez vraiment me laisser partir ?

— Sans l’ombre d’une hésitation. » Elle eut un geste d’impatience, comme pour chasser une mouche.

Il n’arrivait pas à y croire. Où était le piège ? Il n’en voyait pas. Elle donnait bien l’impression de vouloir le libérer rien que pour le voir partir, avant qu’il puisse causer le moindre ennui qui finirait par lui retomber sur sa tête à elle.

Sa stupéfaction était telle qu’il se sentit obligé de faire un geste pour la remercier, pour se racheter en quelque sorte, et soudain un torrent de platitudes sortit de sa bouche. « Écoutez, Tessa, je veux simplement dire que… quand je vous parlais du sentiment de culpabilité que j’ai éprouvé, de mes regrets pour ce que je vous ai fait autrefois… tout ça, c’était vrai. De bout en bout. » Même lui se jugeait ridicule.

« J’en suis convaincue », dit-elle sèchement. Les yeux gris pesèrent implacablement sur lui un long moment, comme pour le réduire en cendres. « Ça va, Mickey. Épargnez-moi vos conneries.

Vous faites votre truc, vous vous effacez du registre des arrestations et vous videz les lieux. Je ne veux plus vous voir. Ni ici. Ni en ville. D’accord ? Alors allez-y presto et qu’on n’en parle plus ! »

Andy chercha désespérément quelque chose à répliquer. N’importe quoi. Rien ne lui vint.

Barre-toi tant que t’as encore l’avantage, se dit-il.

Elle lui présenta son poignet et il s’interfaça avec elle. Elle frissonna un peu lorsque leurs ports d’accès se touchèrent. Un tout petit frisson, mais qu’il perçut quand même. Elle ne lui avait rien pardonné. Elle voulait seulement qu’il disparaisse.

Il entra dans le registre, trouva tout de suite la mention de l’arrestation de John Doe et s’en débarrassa ; ensuite, puisqu’il lui restait encore une vingtaine de secondes, il préleva dans son propre fichier le numéro d’identification de Tessa, accéda au dossier administratif la concernant, lui octroya deux échelons d’avancement et doubla son salaire. Cet accès de sentimentalité le laissa pantois. Mais c’était un beau geste, non ? En plus, impossible de savoir si leurs chemins n’allaient pas se croiser de nouveau un jour ou l’autre.

Il effaça ses traces et sortit du programme.

« Et voilà, dit-il. C’est fait.

— Très bien. » Elle sonna ses sbires. « Erreur sur la personne, les informa-t-elle. Faites-lui un brin de toilette et remettez-le en circulation. »

Un des flics du LACON bredouilla de vagues excuses pour cette erreur d’identité, puis ils le reconduisirent à l’extérieur de l’immeuble et le relâchèrent dans Figueroa Street. C’était le début de l’après-midi. Il y avait des nuages au zénith, l’air était frais, de cette fraîcheur décontractée typique d’une journée d’hiver à Los Angeles.

Andy trouva une borne d’accès dans la rue ; il ordonna à la Toshiba de quitter l’endroit où elle s’était garée et de venir le prendre.

Elle arriva cinq ou dix minutes plus tard ; il lui dit de prendre l’autoroute et de quitter la ville par le nord. Il ne savait pas exactement où il irait. À San Francisco, peut-être. Il pleuvait pas mal à Frisco en hiver, et d’après tout ce qu’on lui avait dit, il y faisait trop froid à son goût. Mais c’était quand même une belle cité, et une ville portuaire, en plus, si bien qu’il pourrait probablement se faire embarquer pour Hawaï, l’Australie ou quelque autre lointaine destination où il ferait chaud, où il pourrait abandonner pour toujours les lambeaux de son existence antérieure.

Il atteignit le Mur à la porte de Sylmar, quelque quatre-vingts kilomètres plus tard. La porte lui demanda son nom.

« Richard Roe, dit-il. Bêta Pi Upsilon 103324X. Destination San Francisco. »

Elle lut son implant. Autorisa l’accès. Aucun problème. Tout baignait.

La porte s’ouvrit et la Toshiba la franchit. Simple comme Bêta Pi.

La voiture fonça vers le nord. Il allait lui falloir cinq, six heures, estima-t-il, pour arriver à Frisco. L’autoroute était contre toute attente en bon état, ou plutôt en meilleur état que les autres.

C’est alors, moins d’une demi-heure après avoir quitté la porte de Sylmar, que lui vint une idée, une idée si bizarre et si inattendue, si surprenante et si farfelue qu’il eut du mal à croire qu’il y avait songé pour de bon. C’était une idée dingue. Totalement dingue. Il la repoussa donc, mais elle s’accrochait à lui et ne voulait plus le lâcher. Il batailla avec elle pendant environ cinq minutes. Puis lui céda.

« Changement de plan, annonça-t-il à la Toshiba. On va à Santa Barbara. »

Coup de klaxon.

« Quelqu’un à la grille, dit Frank. J’y vais. »

C’était une douce journée de janvier et le soir approchait ; tout était très vert et les arbres luisaient d’une récente petite pluie fine. Il avait beaucoup plu ces derniers jours et Frank supposa qu’il pleuvrait encore avant l’aube, vu les nuages ventrus comme des carpes qui se pointaient au nord. Il empoigna le fusil et remonta la pente au petit trot. Frank était à présent un jeune homme mince et athlétique, juste à la frontière entre l’adolescence et l’âge adulte, et il courait aisément, gracieusement, sans se fatiguer, à longues et souples foulées.

La voiture qui attendait là était d’un modèle insolite, assez récente pour l’époque, très exotique. Frank scruta l’intérieur à travers les barreaux de la grille sans pouvoir discerner le visage du conducteur. Il agita le fusil pour signifier à l’homme de sortir du véhicule et de se montrer. L’autre resta où il était.

Comme tu voudras, se dit Frank et il s’apprêta à repartir.

« Hé, mec… attends ! » La vitre s’était brusquement baissée et l’homme sortit la tête. Un visage aux traits vigoureux, un peu bouffi quand même, des yeux sombres, d’épais sourcils froncés, une expression dure et renfrognée. Ce visage ne lui était pas inconnu. Mais Frank mit un certain temps à le situer dans sa mémoire. Puis il s’étrangla de surprise lorsque le déclic se fit.

« Andy ? »

L’homme dans la voiture hocha la tête avec un grand sourire. « Oui, c’est moi. Et toi, t’es qui ?

— Frank.

— Frank. » Un moment de réflexion. « Frank, le fils d’Anson ? Mais t’étais qu’un gosse !

— J’ai dix-neuf ans, dit Frank sans prendre la peine de cacher son agacement. Ça fait plus de cinq ans que tu es parti. Les gosses finissent par grandir tôt ou tard. » II appuya sur le bouton qui ouvrait la grille et les barreaux se rétractèrent. Mais la voiture resta où elle était. Bizarre. Frank fronça les sourcils. « Et alors, Andy, tu entres, oui ou non ?