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Cindy adorait les plantes. Bizarres, de préférence. Le jardin de leur petite maison de Laurel Canyon étouffait sous les fougères arborescentes, les orchidées, les cactées, les broméliacées, les aloès, les philodendrons, les palmiers miniatures et toutes sortes d’autres merveilles achetées chez les horticulteurs bien approvisionnés de Los Angeles. Il y avait un spécimen en fleur chaque jour de l’année. « Mon jardin de science-fiction », disait-elle. Elle avait choisi les plantes pour leur exotisme tropical, leurs tiges en tire-bouchon, leurs feuilles épineuses, leurs couleurs insolites et bigarrées. Toutes les formes, les textures et les teintes imaginables y étaient représentées.

Mais son jardin n’était qu’un terne et prosaïque parterre de pétunias et de soucis comparé aux plantes de contes de fées qui poussaient partout dans le vaisseau, flottant librement dans l’air sans paraître avoir besoin de terre ni d’eau.

Il y avait des plantes fourchues aux feuilles turquoise, immenses et charnues, assez grandes pour servir de matelas à des éléphants ; des plantes qui ressemblaient à des grappes de lances ; il y en avait une en forme d’éclair ; d’autres qui poussaient de haut en bas, posées sur des déploiements de délicats feuillages violets. Et quelle floraison ! Des fleurs vertes avec des yeux inquisiteurs magenta en leur centre ; des fleurs noires velues, piquetées de taches dorées, qui palpitaient comme des ailes de phalènes ; des fleurs qui semblaient en fil d’argent ; des fleurs qui faisaient penser à des touffes de flammes ; des fleurs qui émettaient de discrets sons musicaux.

Elle les aimait toutes. Elle brûlait de savoir leurs noms. Son esprit s’envola vers l’extase en songeant à quoi pouvait ressembler un jardin botanique sur la planète Hesteghon.

Il y avait huit otages avec elle dans cette salle, trois hommes et trois femmes. La plus jeune était une fillette d’environ onze ans ; le plus vieux, un homme qui devait avoir dépassé les quatre-vingts ans. Tous avaient l’air de crever de peur. Assis dans un coin les uns contre les autres, sanglotant, grelottant, priant et marmonnant, ils faisaient piètre figure. Seule Cindy était debout et se déplaçait. Elle évoluait dans l’immense salle telle Alice lâchée au Pays des Merveilles, contemplait avec délice les fleurs prodigieuses, tombait en extase devant les miraculeuses cascades de reflets entrelacés.

Elle était scandalisée de voir à quel point les autres étaient déprimés en présence d’une beauté aussi fantastique.

« Non, leur dit-elle en traversant la salle pour se planter devant eux. Arrêtez de pleurnicher ! Vous allez vivre le moment le plus extraordinaire de votre existence. Ils n’ont pas l’intention de nous faire du mal. »

Deux des otages lui décochèrent un regard mauvais. Ceux qui sanglotaient sanglotèrent de plus belle.

« C’est vrai, insista-t-elle. Je sais. Ces gens viennent de la planète Hesteghon, dont vous avez peut-être entendu parler. Il en est question dans le Témoignage d’Hermès. Un bouquin qui est sorti il y a environ six ans, traduit du grec ancien. Les gens d’Hesteghon viennent sur Terre tous les cinq mille ans. C’étaient les dieux originels des Sumériens. Vous le saviez ? Ils ont appris aux Sumériens à écrire sur des tablettes d’argile. Lors d’une visite antérieure, ils ont appris aux hommes de Cro-Magnon à peindre sur les murs des cavernes.

— Elle est folle, dit l’une des femmes. Faites-la taire, s’il vous plaît.

— Écoutez-moi jusqu’au bout. Je vous promets que vous ne risquez absolument rien avec eux. L’objet de cette visite est de nous enseigner enfin comment vivre en paix pour l’éternité. Ils s’exprimeront par notre intermédiaire, et nous transmettrons leur message au monde entier. » Cindy sourit et poursuivit : « Je sais que vous me prenez pour une cinglée, mais en réalité, s’il y a quelqu’un de sain d’esprit ici, c’est moi. Et je vous dis que… »

Quelqu’un hurla. Une femme montra quelque chose, forant l’air d’un doigt affolé. Les otages commencèrent à trembler et à se recroqueviller dans leur coin.

Une chaleur soudaine rayonna derrière Cindy. Elle se retourna.

Un des Étrangers était entré dans l’immense salle. Il se tenait à une dizaine de mètres derrière elle, oscillant doucement sur les pointes menues de ses tentacules locomoteurs. Il émanait de l’être une aura de profonde quiétude. Cindy sentit un merveilleux flot d’amour et de paix jaillir de sa personne. Ses deux énormes yeux dorés étaient des abîmes bienveillants de rayonnante sérénité.

On dirait des dieux, pensa-t-elle. Des dieux.

« Je m’appelle Cindy Carmichael, dit-elle tout de go à l’Étranger. Je veux vous souhaiter bienvenue sur Terre. Je veux que vous sachiez combien je suis heureuse que vous soyez venus tenir votre antique promesse. »

La créature géante continua de se balancer plaisamment d’avant en arrière. Elle ne semblait pas avoir remarqué que l’on s’était adressée à elle.

« Parlez-moi avec votre esprit, continua Cindy. Je n’ai pas peur de vous. Ceux-là, oui, mais moi, non. Parlez-moi d’Hesteghon. Je veux tout savoir de votre planète. »

Une des fleurs aériennes, d’un noir velouté, avec des taches vert pâle sur ses deux pétales charnus, flotta vers elle. Il y avait en son centre une crevasse qui ressemblait étonnamment à un vagin. De cette fente sombre et étirée émergea une vrille ténue qui frissonna une seule fois puis émit un faible son, grave et explosif, et brusquement, Cindy se trouva incapable de parler. Elle avait totalement perdu le pouvoir de former des mots. Il n’y avait rien de traumatisant là-dedans ; Cindy comprit sans la moindre hésitation que l’Étranger ne voulait tout simplement pas qu’elle parle maintenant, mais qu’elle le pourrait lorsqu’il serait disposé à lui en redonner la faculté.

Un nouveau son ténu sortit de la fente au coeur de la fleur noire, plus aigu que le précédent. Et Cindy sentit l’Étranger pénétrer dans son esprit.

C’était presque sexuel. L’être entra en elle facilement, sans heurts, et la remplit aussi parfaitement qu’une main remplit un gant. Elle-même était encore dans sa propre conscience, mais il y avait là autre chose, quelque chose d’immense et d’omnipotent, qui ne lui causait nulle blessure, ne déplaçait rien en elle mais s’installait dans sa personne comme s’il y avait toujours eu en elle un espace assez vaste pour l’esprit d’un être gigantesque d’outre espace.

Elle sentit qu’il lui massait le cerveau.

Un massage : il n’y avait pas d’autre mot pour cela. Une douce et apaisante sensation de pétrissage, comme si des doigts caressaient amoureusement les replis et les circonvolutions de son cerveau. L’etranger, comprit-elle, passait méthodiquement en revue l’intégralité des connaissances qu’elle avait accumulées, examinant chacune des expériences de sa vie depuis l’instant de sa naissance jusqu’à la seconde actuelle et absorbant le tout. Ce qui fut fait en l’espace de… deux secondes, peut-être ? Désormais, elle en avait la certitude, il était capable d’écrire sa biographie complète s’il le voulait. Il savait tout ce qu’elle savait, le nom de la rue où elle habitait quand elle était petite, l’identité de son premier amant et la forme exacte de la bague de saphirs à astéries qu’elle avait achevée le mardi précédent. Il apprit aussi d’elle la table de multiplications, comment dire en espagnol : « Où sont les toilettes, s’il vous plaît ? » Comment aller de Ventura Freeway (direction ouest) à San Diego Freeway (direction sud), et tout le reste du contenu de son esprit, y compris un tas de choses qu’elle-même avait très probablement oubliées depuis longtemps.

Puis l’être se retira, elle retrouva la parole et dit, dès qu’elle en fut capable : « Maintenant vous savez, n’est-ce pas, que je n’ai pas peur de vous. Que je vous aime et que je veux faire mon possible pour vous aider à accomplir votre mission. »