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— Non. Mon intention était tout autre. Je formais Tony pour qu’il soit votre tueur. Je formais Rachid pour qu’il soit Rachid. Il se trouve que c’était le même type d’entraînement ; les objectifs étaient différents. Tony est devenu une machine parfaite. Rachid est devenu parfait lui aussi, mais il est bien plus qu’une machine. Il est une ouvre d’art.

— Que tu es disposé à mettre à notre service pour une mission très dangereuse, en sachant que nous allons faire notre possible pour le protéger, mais qu’il y aura quand même un minimum de risque. Pourquoi ? Nous n’aurions jamais su ce qu’était devenu Rachid si tu n’avais pas laissé entendre à Cindy que tu avais l’impression qu’il serait à la hauteur de la tâche. Qu’est-ce qui t’as poussé à dire ça ?

— C’est parce que j’ai construit ma vie au milieu de vous, dit Khalid sans hésiter. Je n’étais personne, sinon un homme sans patrie, sans famille, sans existence, même. Tout cela m’a été arraché quand j’étais enfant. Je n’étais qu’un prisonnier ; mais Cindy m’a trouvé, m’a amené ici et tout a changé pour moi. Je vous dois quelque chose en échange. Je vous donne Rachid ; mais je veux que vous vous serviez de lui sagement, ou pas du tout. Telles sont mes conditions, Anson. Soit vous le protégez, soit vous vous passez de lui.

— Il sera protégé. Nous n’allons pas reproduire l’épisode Tony. Je le jure, Khalid. »

« Tu avances ? s’enquit Frank lorsqu’Andy leva ses yeux fatigués de son écran.

— Ça dépend de ce que t’entends par là. Je trouve des trucs nouveaux tout le temps. Et dans le tas, y en a deux ou trois qui sont vraiment utiles… Ça te ferait rien d’aller me chercher une autre bière, Frank ? Et t’en prends une pour toi.

— Entendu. » Frank se dirigea vers la porte d’un pas hésitant. « T’inquiète pas. Je vais pas sauter par la fenêtre et me barrer dès tu seras sorti de la pièce.

— Je sais. Mais suis censé te surveiller, non ?

— Tu crois vraiment que je vais essayer de m’échapper ? Maintenant que je suis à deux doigts de percer le plus secret des codes des Entités ?

— Je suis censé te surveiller, réitéra patiemment Frank. Et non penser à ce que tu pourrais ou ne pourrais pas faire. Mon père me grillerait tout vif si je te laissais partir.

— Je bosserais mieux en ayant moins soif, Frank. Va me chercher une bière. Je vais aller nulle part. Fais-moi confiance. » II le regarda avec un sourire matois et ajouta : « Tu crois pas qu’on puisse me faire confiance, hein, Frank ?

— Si tu te barres effectivement quelque part et que mon père ne me grille pas tout vif à cause de toi, je partirai en personne à ta recherche pour te ramener et te griller tout vif moi-même. Je le jure par les os du Colonel, Andy. »

II passa dans le couloir. Lorsqu’il revint, une minute et demie plus tard, Andy était à nouveau penché sur son écran.

« Tu vois, je me suis échappé. Et puis j’ai pensé à un nouveau truc que je voulais essayer et j’ai décidé de revenir. Donne-moi cette putain de bière.

— Andy…, commença Frank en lui tendant la bouteille.

— Oui ?

— Écoute, il y a quelque chose que je n’ai pas encore eu le temps de te dire. Je veux m’excuser pour tout ce cirque avec le flingue, le jour où tu as débarqué ici. C’était pas très sympa. Mais je savais ce que mon père et Steve diraient s’ils s’apercevaient que tu étais là et que je t’avais laissé partir. Je ne pouvais pas prendre ce risque.

— Laisse tomber, Frank. Tu crois que je comprends pas pourquoi tu m’as fourré ce flingue sous le nez ? Je peux pas t’en vouloir.

— J’aimerais te croire.

— Alors, te gêne pas.

— Au fait, pourquoi tu es revenu ici ?

— Bonne question. Mais je sais pas si j’ai une bonne réponse. D’un côté, c’était sur un coup de tête, je crois. Mais en plus… hum… écoute, Frank, je te tuerai si t’en parles à qui que ce soit, mais il y avait autre chose qui me trottait dans la tête. J’ai fait deux ou trois trucs pas très nets pendant que j’étais en cavale. Et puis, quand je suis reparti de Los Angeles et que je suis remonté vers le nord, je me suis dit que je devrais peut-être m’arrêter ici et me rendre utile à ma famille, si je pouvais, au lieu de me conduire tout le temps comme un trouduc qui ne pense qu’à lui. Quelque chose dans ce goût-là.

— N’empêche que tu as bien failli tourner bride. Avant même d’avoir franchi la grille. »

Andy grimaça un sourire. « C’est pas facile pour moi de pas me conduire comme un trouduc qui ne pense qu’à lui. Tu l’as déjà oublié, Frank ? »

Onze heures du soir. Pas de lune, pas de nuages, et plein d’étoiles. Frank n’était plus de service ; Martin avait pris la relève pour garder Andy. Debout devant la porte du centre de communications, Frank levait les yeux vers le ciel obscur et pensait à beaucoup trop de choses à la fois.

À son père. À cette mission et aux chances qu’elle avait de produire un résultat quelconque. À Andy, sur qui on avait raconté tant d’horreurs et qui, soudain repenti, trimait derrière cette porte pour découvrir le secret qui leur permettrait de renverser les Entités. Et puis il se disait que ce serait fantastique si par miracle ils arrivaient effectivement à renverser les Entités et à reconquérir leur liberté.

Il ferma les yeux un instant ; quand il les rouvrit, les étoiles étincelantes déployées sur l’immense voûte au-dessus de lui semblèrent l’engloutir, l’aspirer en leur sein.

Cindy connaissait tous leurs noms. Elle les lui avait appris il y avait bien longtemps et il en savait encore beaucoup. Là-haut, c’était Orion, facile à trouver à cause des trois étoiles de sa ceinture : Mintaka, Alnilam et Alnitak. Drôles de noms. Qui les avait baptisées ainsi, et pourquoi ? Sur l’épaule droite, c’était Bétel-geuse. Et là, sur le genou du chasseur géant, c’était Rigel.

Frank se demanda de quelle étoile étaient venues les Entités. Nous ne le saurons probablement jamais, pensa-t-il. Y avait-il plusieurs sortes d’Entités, différentes selon les étoiles ? Y aurait-il quelque part une planète d’Entités plus gigantesques que nos Entités à nous, des êtres qui vaincraient les nôtres un jour ou l’autre, dévoreraient leur civilisation et libéreraient leurs esclaves ? Ce serait si bien si ça se passait comme ça ! Il haïssait les Entités pour ce qu’Elles avaient fait à la Terre. Les méprisait. Il enviait Rachid parce qu’il avait été choisi pour tuer l’Entité Numéro Un, tâche qu’il aurait désespérément voulu accomplir lui-même.

Les étoiles sont des soleils, se dit-il. Et les soleils ont des planètes, et les planètes sont habitées.

Il se demanda ce qui empêchait les étoiles de se détacher du ciel. Cela arrivait parfois. Il en avait déjà vu tomber. Souvent, les nuits d’août, elle traversaient le ciel comme des flèches, dégringolant vers leur funeste destin quelque part très loin de là. Mais pourquoi certaines tombaient, et pas d’autres ? Il y avait tellement de choses qu’il ne savait pas. Il faudrait qu’il pose des questions à Andy, un de ces jours.

Peut-être que l’étoile des Entités était l’une de celles qui étaient tombées. Était-ce pour cela qu’Elles allaient vers d’autres étoiles pour s’emparer des planètes des gens qui habitaient là ? Oui, ça devait être ça. L’étoile des Entités était tombée. Et les Entités aussi, pour ainsi dire : Elles nous étaient tombées dessus. Renversé en arrière pour scruter la sombre et scintillante beauté du ciel nocturne, Frank sentit de nouveau monter en lui une féroce poussée de haine envers les conquérants de la Terre, venus du ciel pour voler la planète à ses légitimes propriétaires.