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Le grand jour, donc. En Californie du sud, cette deuxième semaine de décembre se caractérisa par un temps ensoleillé et doux, un ciel limpide hormis quelques petits nuages de haute altitude, et pas de pluie à l’horizon. Au centre de communications, entouré d’une batterie d’ordinateurs et portant un combiné casque laryngophone, Andy était prêt à se mettre au travail. Aujourd’hui, il allait devenir un grand héros de la Résistance, s’il n’en était pas déjà un. Aujourd’hui, il allait tuer l’Entité Numéro Un par procuration, à quelque deux cents kilomètres de distance, en tirant les ficelles de sa marionnette Rachid.

En fait, Andy allait contrôler tous les acteurs de cette mission, les guider étape par étape. Ce serait son heure de gloire, sa meilleure prestation de pirate informatique.

Assis à côté de lui, Steve était prêt à le relever en cas de coup de fatigue. Andy ne s’attendait pas à un coup de fatigue. Il ne croyait pas non plus que Steve, ou qui que ce soit à part lui, soit capable de gérer une opération impliquant de maintenir un contact permanent et simultané avec quatre véhicules plus un assassin ambulant, et de traiter des données de radiolocalisation par-dessus le marché. Mais Steve pouvait rester si ça lui chantait. Il verrait de près quel petit génie de l’informatique il avait engendré. Eloise était là aussi, et quelques autres, en roulement constant. La-La durant un temps, avec le petit Andy Junior en remorque qui dévisageait ce papa qu’il ne connaissait pas encore. Leslyn. Peggy. Jane. Un va-et-vient constant. Il ne se passait pas encore grand-chose, de toute façon. Anson, bien que théoriquement responsable de la mission, venait aux nouvelles toutes les demi-heures, très agité, incapable de tenir en place. Cindy s’attarda un moment pour regarder, mais ne resta pas non plus.

La première des quatre voitures, celle de Charlie, était partie à huit heures du matin, suivie peu après par les trois autres. Deux avaient pris la route de la côte et deux la route de l’intérieur, suivant un itinéraire en zigzags, aussi tortueux que la canne d’Anson, afin d’éviter les divers barrages et chausse-trappes que les capricieuses Entités avaient installés au fil des ans sur les autoroutes reliant Santa Barbara à Los Angeles. Chaque conducteur était symbolisé sur l’écran d’Andy. La ligne écarlate était Frank ; la bleue, Mark ; la violet sombre, Cheryl ; la vert vif, Charlie. Le véhicule qui transportait Rachid était auréolé de rouge cramoisi. Rachid se trouvait à présent avec Frank dans la vallée de San Fernando ; ils contournaient la section nord du Mur de Los Angeles pour rejoindre Charlie à Glendale, tout à l’est.

Rien n’indiquait une activité inhabituelle de la part des Entités ou de la police du LACON. Normal. À n’importe quel moment, il pouvait y avoir un demi-million de voitures en circulation dans la région de Los Angeles et ses environs. Il n’y avait aucune raison de penser qu’une conspiration infâme était en marche, visant à ôter la vie à l’Entité suprême elle-même. Mais Andy avait des observateurs – des Résistants d’organisations affiliées basées à L.A. – postés un peu partout dans la périphérie du Mur. Ils le tiendraient au courant en cas d’imprévu.

« Nous nous acheminons maintenant vers le deuxième rendez-vous de Rachid, annonça Andy avec emphase. Frank et Charlie, intersection de West Colorado Street avec Pacific Street. »

Ces noms de rue signifiaient-ils quelque chose pour les membres du clan présents ? Probablement pas, sauf peut-être pour Cindy, si à son âge elle pouvait encore se rappeler quoi que ce soit de la vie à Los Angeles. Ou Peggy, peut-être, bien que les années lui aient pas mal embrumé l’esprit à elle aussi. Mais Andy avait bel et bien séjourné à Glendale au cours des cinq dernières années. Il y avait connu quelque temps une femme raisonnablement amusante, à l’époque où il était rectifieur. Il avait même mis les pieds une ou deux fois à Colorado Street. Tandis que les autres avaient vécu tranquillement planqués ici, au ranch, dans une somptueuse ignorance du monde extérieur.

Anson recommençait à s’énerver. Il sortit faire une nouvelle promenade.

« Nous approchons du transfert de Rachid », commenta Andy lorsque le halo cramoisi abandonna la voiture de Frank pour celle de Charlie.

Andy, qui était en contact à la fois vocal et télématique avec tout le monde, envoya deux impulsions rapides à Frank pour lui signifier d’aller à la porte de Glendale et d’y attendre de nouvelles instructions maintenant qu’il avait déposé son passager. Mark, qui venait lui aussi de s’acquitter de sa tâche du matin, était déjà garé devant la porte de Burbank. Cheryl était encore en route, très à l’est de la position de Charlie, et contournait la métropole par le sud, via Arcadia et Temple City, pour remonter vers le lieu de son rendez-vous avec Charlie à Monterey Park. L’opération allait entrer dans sa cinquième heure.

Il était intéressant, songea Andy, qu’Anson ait confié la mission clé à Cheryl. Andy se rappelait très bien certains réjouissants ébats en sa compagnie quand il avait dans les quinze ans, et elle, un ou deux de plus ; mais il se rappelait surtout qu’elle gardait tout le temps les yeux ouverts, même quand elle jouissait. Ces grands yeux bleus Carmichael avec pas grand-chose derrière. Andy ne lui avait jamais trouvé le moindre intérêt, à part un corps mince aux agréables rondeurs dont elle s’était servie habilement mais sans grande imagination lors de leurs rencontres sporadiques sur l’oreiller. Et voilà qu’elle était chargée d’emmener Rachid à Los Angeles, de le déposer à l’intérieur même de la Zone de Tir et de l’en faire ressortir après l’attentat. Comme quoi, les apparences étaient trompeuses. Peut-être qu’elle était plus intelligente qu’il ne l’avait supposé. C’était la fille de Mike et de Cassandra, après tout, et Mike était un mec compétent, à sa manière ; quant à Cassandra, c’était pratiquement le médecin attitré du ranch.

« Nous approchons de l’acquisition de l’engin explosif », énonça Andy haut et clair puisque personne dans la pièce, sauf peut-être Steve, n’était capable de déchiffrer l’enchevêtrement de spaghetti sur l’écran sans son commentaire verbal.

À ce moment précis, son public, ainsi qu’il le constata en regardant rapidement par-dessus son épaule, se composait de sa sœur Sabrina en compagnie de son mari Tad, de Mike, de sa belle-sœur Julie et d’Heather, la sœur d’Anson. Cindy était revenue elle aussi, mais elle semblait déjà prête à repartir de cette démarche douloureusement lente mais farouchement décidée qui était la sienne.

Une ligne pointillée jaune signalait la progression du camion de pépiniériste qui transportait la bombe depuis l’usine de Vista. Nichée au milieu des poinsettias, bien à l’abri au milieu de tout ce feuillage festif d’un rouge criard. L’idée plaisait à Andy. Un petit cadeau de Noël prématuré pour le Numéro Un.

Le camion se trouvait à Norwalk à présent ; il remontait tranquillement Santa Ana Freeway en direction de Santa Fe Springs. Andy contacta le chauffeur par liaison vocale et lui ordonna d’accélérer.

« Votre client se dirige vers le dépôt. Nous ne voulons pas le faire attendre. »

Charlie, avec Rachid à son bord, avait atteint Pasadena et roulait plein sud sur San Gabriel Boulevard, en direction de Monterey Park. C’était là que devait avoir lieu le transfert de l’engin explosif sur la personne de Rachid, juste avant que Charlie confie le jeune homme à Cheryl.

La ligne pointillée jaune avançait plus vite.

La ligne verte auréolée de rouge se dirigeait vers le lieu du rendez-vous.

La ligne violet foncé aussi, mais dans l’autre sens.