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Il y eut dix-sept témoins pour observer le début de l’invasion. Le site initial du débarquement fut la prairie proche de l’extrémité sud de Central Park. Naturellement, il y avait bien plus de dix-sept personnes sur l’herbe lorsque les Étrangers arrivèrent, mais il semble que, d’une manière générale, on n’y ait pas fait très attention.

Tout avait commencé, à en croire les dix-sept témoins, par un étrange chatoiement bleu pâle à une dizaine de mètres du sol. Ce chatoiement n’avait pas tardé à se transformer en une espèce de bouillonnement, comme lorsqu’un évier se vide de son eau. Puis une légère brise s’était levée, avant de se transformer très vite en un vent furieux qui avait emporté les couvre-chefs dans un étonnant mouvement spirale autour du miroitement bleu. Au même moment, on avait eu une sensation de tension croissante, de rupture imminente. Le tout avait duré environ quarante-cinq secondes.

Alors avait retenti une détonation sèche, suivie d’un bruit d’air violemment déplacé, d’un son cristallin et enfin d’un coup sourd – tout le monde était d’accord sur l’ordre de succession de ces effets sonores. Sur quoi était apparu le vaisseau spatial de forme quasi ovoïde qui devait devenir instantanément célèbre. Après être resté en suspens à sept mètres au-dessus de l’herbe, il s’était laissé glisser doucement jusqu’au sol. Spectacle tout à fait inoubliable, avec son enveloppe lisse et argentée, l’arc inhabituel que décrivait sa courbe depuis le sommet évasé jusqu’à la base étroite, les bizarres hiéroglyphes qui ornaient ses flancs et avaient tendance à déraper hors du champ visuel dès qu’on les regardait avec trop d’insistance.

Une écoutille s’était ouverte et une douzaine d’envahisseurs en étaient sortis mollement, comme indifférents à la pesanteur.

Ils avaient une drôle d’allure. Rigoureusement inhabituelle. Là où les humains ont des pieds, ils possédaient un unique pseudopode ovale d’une quinzaine de centimètres d’épaisseur sur un mètre de diamètre. De cette assise charnue surgissait un corps spectral évoquant un ballon captif. Pas de bras, pas de jambes, nulle tête apparente ; rien qu’un large sommet en forme de dôme qui s’étrécissait en un appendice filiforme rattaché au pseudopode. Leur peau bleu lavande, luisante, présentait des reflets métalliques. Il s’y formait, mais de façon éphémère, des taches sombres qui faisaient penser à des yeux. Aucune trace de bouche. Dans leurs déplacements, ils semblaient soigneusement s’efforcer de ne jamais entrer en contact les uns avec les autres.

Leur première initiative fut de capturer une demi-douzaine d’écureuils, trois chiens égarés, une balle et une voiture d’enfant inoccupée. Nul ne saura jamais ce qu’ils firent ensuite, pour la bonne raison que personne ne resta sur place pour les regarder. Le parc se vida avec une célérité impressionnante.

Naturellement, tout cela suscita un émoi non négligeable en plein centre de Manhattan. Les sirènes des voitures de police se mirent à hurler. Les avertisseurs des particuliers vinrent les rejoindre. Non pas les coups de klaxon banals, désordonnés de l’exaspération, genre « Alors, ça avance, oui ou merde ? » que connaissent la plupart des grandes villes, mais le concert rythmé, typiquement new-yorkais, qui signifie plutôt « Allons, bon, qu’est-ce qui se passe encore ? » et fait naître la terreur dans les cours des visiteurs de la Grosse Pomme. Des gens à l’air complètement affolé s’enfuyaient à toutes jambes des abords de Central Park comme si King Kong venait de surgir de l’enceinte des singes, au zoo de Central Park, pour s’en prendre personnellement à eux ; d’autres se précipitaient tout aussi vite dans la direction opposée, c’est-à-dire vers le parc, comme s’il fallait absolument qu’ils voient ce qui se passait. Les new-yorkais, quoi.

Mais la police intervint rapidement pour boucler le parc, et durant les trois heures qui suivirent, les Etrangers eurent l’usage exclusif de la pelouse. Un peu plus tard, les télévisions envoyèrent des caméras-espions filmer la scène pour les infos du soir. Les étrangers les tolérèrent une petite heure puis les cueillirent tranquillement, comme des mouches, avec des giclées de lumière rosé émises de la pointe de leur véhicule.

Jusque-là, les téléspectateurs avaient pu voir des créatures spectrales et lustrées se promener dans un rayon de quelque cinq cents mètres autour de leur vaisseau en ramassant journaux, distributeurs de boissons fraîches, vêtements abandonnés, plus ce que l’on s’accorda à identifier comme un dentier. Elles enveloppaient tout ce qu’elles récoltaient dans des sortes d’oreillers taillés dans une matière brillante présentant la même texture satinée que leur corps, qui s’envolaient aussitôt avec leur contenu en direction de l’écoutille.

Après la neutralisation des caméras-espions, les new-yorkais furent forcés de se rabattre sur les satellites gouvernementaux qui surveillaient la Terre depuis l’espace et sur tout ce que des observateurs munis de jumelles pouvaient fugitivement apercevoir depuis les immeubles résidentiels et les hôtels de grande hauteur qui bordaient le parc. Aucune de ces solutions n’était pleinement satisfaisante. Mais il s’avéra bientôt qu’un deuxième vaisseau spatial avait émergé exactement comme le premier – détonation sèche, bruit d’air déplacé, son cristallin, coup sourd – de quelque poche de l’hyperespace. De nouveaux Etrangers en descendirent.

Mais d’une espèce différente : c’étaient des monstres, des mastodontes. Ils ressemblaient à des montagnes de taille moyenne, mais avec des pattes, deux bosses et une teinte générale tirant sur le bleu. Leurs corps gigantesques, plus ou moins sphériques, avec en travers du dos une espèce de dépression d’une soixantaine de centimètres de profondeur, étaient entièrement recouverts d’une sorte de pelage raide et touffu, à mi-chemin entre fourrure et plumage. On voyait à un bout trois yeux jaunes grands comme des plats à tarte, et à l’autre trois saillies rigides et violettes, genre tiges, de deux à trois mètres de long.

C’étaient les pattes qui les rapprochaient le plus de l’éléphant ; épaisses et rugueuses comme des troncs d’arbre, elles fonctionnaient sur une sorte de principe télescopique et pouvaient se rétracter prestement à l’intérieur du corps de leur propriétaire. Normalement on en dénombrait huit, mais quand elles se déplaçaient, les créatures en gardaient toujours au moins une paire rétractée. De temps en temps, elles déployaient cette paire et en rétractaient une autre, totalement au hasard, semblait-il. D’autres fois, elles rétractaient deux paires à la fois, ce qui les amenait à s’abaisser vers le sol à une extrémité, comme un chameau qui s’agenouille. Cette caractéristique morphologique leur permettait apparemment de se nourrir. La bouche se trouvait au niveau du ventre ; lorsqu’elles voulaient manger, elles se contentaient de rétracter leurs huit pattes toutes ensemble et de se coucher sur leur proie. Cette bouche était assez large pour engloutir un animal de bonne taille en une seule fois – disons un bison. C’est d’ailleurs ce qu’on l’on put constater un peu plus tard, lorsque les créatures plus petites eurent ouvert les cages du zoo de Central Park.

Ensuite, tard dans la nuit, une troisième sorte d’Étrangers fit son apparition. Complètement différents des deux autres sortes, c’étaient des êtres géants, tubulaires, sortes de calmars violacés avec des rangées de taches oranges luisantes qui leur couraient sur les flancs. Pas très nombreux, ils donnaient nettement l’impression d’être les maîtres : en tout cas, les deux autres espèces semblaient leur obéir. On avait maintenant des informations sur le débarquement extraterrestre survenu le même jour, mais un peu plus tôt, à l’ouest de Los Angeles. Seule l’espèce genre calmars y avait été signalée.