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Des atterrissages s’étaient produits en d’autres endroits. En beaucoup d’endroits, surtout des grandes villes, mais pas systématiquement. Un astronef atterrit dans le Parc national de Serengeti en Tanzanie et se posa sur une vaste plaine herbeuse exclusivement occupée par un immense troupeau de gnous et quelques centaines de zèbres qui ne lui prêtèrent guère attention. Un atterrissage eut lieu au plus fort d’une tempête de sable qui faisait rage dans le désert du Takla Makan, en Asie Centrale ; la tempête cessa d’un seul coup aux dires des conducteurs médusés mais globalement reconnaissants d’un convoi de camions chinois qui étaient les seuls à circuler dans les parages. Un atterrissage en Sicile, au milieu des collines sèches et désolées à l’ouest de Catane, n’attira l’attention que de quelques ânes et moutons, plus celle du propriétaire octogénaire d’une oliveraie étique qui tomba à genoux et se signa une fois, deux fois, trois fois, dix fois sans oser rouvrir les yeux.

Mais le gros de l’action se passait dans les métropoles mondiales. Rio de Janeiro. Johannesburg. Moscou. Istanbul. Francfort. Londres. Oslo. Bombay. Melbourne. Et cetera, et cetera, et cetera. Les Étrangers étaient partout, sauf en quelques endroits remarquables où, pour une raison ou une autre, ils ne s’étaient pas souciés d’atterrir, comme Washington, Tokyo et Beijing.

Les astronefs qui arrivèrent étaient de types variés, mus par des systèmes de propulsion allant des bruyantes fusées chimiques à réaction, comme à Los Angeles, jusqu’aux énergies mystérieuses au silence impénétrable. Certains des vaisseaux extraterrestres descendirent au milieu de grandes traînées de feu, comme le monument qui avait atterri près de Los Angeles. Certains se matérialisèrent directement du néant, comme celui de New York. D’autres se posèrent en plein centre de grandes métropoles, comme celui d’Istanbul, qui atterrit sur l’immense place entre Sainte-Sophie et la Mosquée bleue, et celui de Rome, qui se gara devant la basilique Saint-Pierre ; d’autres encore choisirent d’atterrir en banlieue. À Johannesburg, seules émergèrent les sinistres créatures brillantes, à Francfort, ce ne furent que les mastodontes, à Rio, rien que les calmars ; ailleurs, il y eut des mélanges des trois sortes.

Ils ne firent pas de déclarations. N’exprimèrent pas d’exigences. N’édictèrent pas de décrets. Ne proposèrent pas d’explications. Ils ne dirent rien du tout.

Ils étaient là, tout simplement.

Le Colonel découvrit que la réunion se tiendrait au Pentagone, pas à la Maison Blanche. C’était peut-être inhabituel, mais fallait-il s’attendre à ce que tout soit comme d’habitude aujourd’hui, avec ces hordes d’outre espace qui arpentaient la face de la Terre ? Le Colonel n’était pas du tout mécontent de fouler une fois de plus les couloirs aussi vastes que familiers du Pentagone. Il ne nourrissait aucune illusion sur les activités qui s’étaient déroulées en ces lieux au fil des années, ni sur certaines des personnes qui y avaient participé, mais il n’était pas plus porté à prendre ombrage de l’édifice lui-même pour la seule raison que des décisions stupides ou même détestables y avaient été prises qu’un évêque rappelé à Rome n’aurait pris ombrage du Vatican sous prétexte que ceux qui l’avaient occupé au fil des siècles n’avaient pas toujours été des saints. Le Pentagone n’était qu’un immeuble, après tout. Et qui avait été au centre de sa vie professionnelle pendant trois décennies.

Très peu de choses avaient changé depuis douze ou treize ans qu’il n’y avait pas mis les pieds. Dans les longs couloirs, l’air avait toujours la même odeur synthétique de renfermé, les luminaires n’étaient pas plus élégants qu’avant et continuaient d’émettre la même clarté souffreteuse, les murs étaient aussi ternes que dans son souvenir. Il nota une différence : les gardes postés aux divers points de contrôle étaient beaucoup plus jeunes – il les aurait facilement pris pour des lycéens et des lycéennes, même s’il les soupçonnait d’être en réalité un peu plus âgés – et certaines des procédures de sécurité étaient différentes.

On contrôlait maintenant les gens pour voir s’ils avaient des bio puces implantées dans le bras, par exemple.

« Désolé, dit le Colonel avec un large sourire. Je ne suis pas aussi moderne que ça. »

Mais on le contrôla quand même sur ce point, et très minutieusement. Après quoi, on le fit avancer assez vite d’un contrôle à l’autre, tandis que les trois autres qui avaient débarqué avec lui de l’avion de Californie, le professeur à la barbe rousse de l’UCLA, l’astronome à l’accent britannique du California Institute of Technology et cette jolie brune un peu ahurie qui s’était provisoirement trouvée prise en otage à bord du vaisseau extraterrestre furent retenus aux fins d’un interrogatoire plus conséquent, comme c’était habituellement le lot des civils.

En approchant de la salle de la réunion, le Colonel se prépara à passer en surmultipliée pour être à la hauteur de tout ce qui pouvait l’attendre.

Une trentaine d’années plus tôt, il avait fait partie de l’équipe chargée de la logistique stratégique à Saigon et avait contribué à la gestion d’une guerre qu’il était impossible de gagner, s’acquittant au jour le jour de la tâche consistant à débusquer les vers qui se tortillaient dans les sables mouvants et à essayer de les mettre dans leurs boîtes respectives tout en cherchant la lumière au bout du tunnel. Il s’était particulièrement distingué dans cette fonction. Aussi avait-il entamé sa campagne au Viêt-nam comme sous-lieutenant pour la terminer comme chef de bataillon, avec des promotions ultérieures à la clé.

Mais il avait depuis longtemps abandonné toutes ces activités de haute volée. D’abord, fraîchement débarqué du Viêt-nam, pour un doctorat en Études asiatiques et un poste d’enseignant à West Point ; ensuite, après la mort de sa femme, pour l’existence tranquille d’un producteur de noix à l’ancienne dans les collines au-dessus de Santa Barbara. Aussi, en cette première et charmante décennie de ce charmant vingt et unième siècle, s’était-il trouvé trop loin de tout pour bien savoir ce qui se passait dans le monde contemporain ou pour s’en soucier énormément, n’ayant participé ni au glorieux Réseau sur lequel tout un chacun était branché, ni à l’univers encore plus neuf et plus scintillant des bio puces implantées, ni d’ailleurs à aucun autre événement important survenu depuis le milieu des années 90.

Aujourd’hui, cependant, il avait besoin de réactiver ses neurones et de solliciter les talents qu’il avait exercés au bon vieux temps de la bataille épique livrée pour conquérir les cours et les esprits de ces autochtones sympathiques mais compliqués qui vivaient là-bas, dans les rizières du delta du Mékong.

Même si, en définitive, il avait fait partie de l’équipe perdante cette fois-là.

Perdante, certes, mais pas par sa faute.

La réunion, qui se tenait au troisième étage dans une grande salle de conférences morne et, contre toute attente, peu prétentieuse, durait déjà depuis quelques heures au moment où l’on introduisit le Colonel, c’est-à-dire à deux heures de l’après-midi, heure locale, le lendemain de l’arrivée des Entités. Tous les hommes avaient desserré leur cravate, certains avaient tombé la veste, les visages masculins commençaient à bleuir, des pyramides et des ziggourats de gobelets à café en plastique blanc se dressaient un peu partout. Lloyd Buckley, qui s’avança pesamment pour saisir la main du Colonel dès que ce dernier entra, avait l’air érodé d’un homme qui venait de passer une nuit blanche.