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« Jusqu’ici, poursuivit Buckley, les Entités n’ont fait aucune tentative pour communiquer avec nous, pour autant que nous puissions nous en rendre compte. Nous leur avons envoyé des messages par tous les moyens imaginables, dans toute une gamme de langages et de systèmes artificiels d’organisation de l’information, mais nous n’avons aucun moyen de savoir si Elles les ont reçus ni, à supposer qu’Elles les aient reçus, si Elles sont capables de les comprendre. À l’heure qu’il est…

— Quels moyens avez-vous utilisés pour envoyer ces messages ? demanda sèchement Carlyle-Macavoy, l’homme du Cal Tech.

— La radio, évidemment. Ondes courtes, AM, FM et tout le reste du spectre électromagnétique. Plus divers signaux de type sémaphore, éclairs laser et autres, alphabet Morse, tout ce que vous voudrez. Presque tout, en fait, sauf les signaux de^ fumée, et nous espérons que Mlle Crawford, notre secrétaire d’État aux Communications, aura sous peu quelqu’un pour travailler dans cette direction. »

Un rire ténu traversa la salle. La secrétaire d’État aux Communications n’était pas du nombre de ceux qui avaient goûté la plaisanterie.

« Et des émissions codées sur 1420 mégahertz ? insista Carlyle-Macavoy. Autrement dit, la fréquence universelle d’émission de l’hydrogène.

— C’est la première chose qu’on a essayée, dit Kaufman, l’homme de Harvard. Nada. Zéro.

— Donc, reprit Buckley, les extraterrestres sont ici, nous ne les avons, on ne sait trop pourquoi, absolument pas vus arriver, et voilà qu’ils rôdent librement dans trente ou quarante villes. Nous ne savons pas ce qu’il veulent, nous ignorons leurs projets. Bien sûr, s’ils ont des intentions hostiles de quelque sorte que ce soit, nous prendrons nos précautions. Il faut toutefois que je vous dise que nous avons déjà évoqué aujourd’hui – et repoussé – l’idée d’une frappe préventive immédiate contre eux. »

Le Colonel sourcilla. Mais Joshua Leonards, le professeur d’anthropologie de pelleteurs, costaud et hirsute, mit les pieds dans le plat. « Vous voulez dire qu’à un certain moment vous avez sérieusement envisagé de leur balancer quelques bombes atomiques dessus pendant qu’ils se prélassaient au coeur de Manhattan, en plein centre de Londres et dans un centre commercial de la vallée de San Fernando ? »

Le rouge monta violemment aux joues déjà colorées de Buckley. « Nous avons exploré toutes sortes de possibilités, Dr Leonards. Y compris certaines qu’il convenait de rejeter immédiatement.

— Nous n’avons jamais envisagé un seul instant une attaque nucléaire », dit le général Steele, de l’État-major interarmes, du ton qu’il aurait employé pour tancer un gamin de onze ans intelligent mais rebelle. « Jamais. Mais le nucléaire n’est pas notre seule option offensive. Nous disposons de nombreux autres moyens -conventionnels, ceux-là – de faire la guerre. Pour l’instant, toutefois, nous avons décidé que tout mouvement offensif serait…

— Pour l’instant ? » glapit Leonards. Il agita les bras comme un dément et rejeta la tête en arrière ; sa barbe rousse et négligée saillant vers le haut lui donnait plus que jamais l’air d’un marxiste de la première heure prêt à lancer une grenade sur le Tsar. « Monsieur Buckley, mon intervention dans ce débat est-elle prématurée ? Parce que je crois que j’ai besoin d’intervenir un peu.

— Allez-y, docteur Leonards.

— Je sais que vous dites avoir déjà exclu la possibilité d’une frappe préventive. Cela signifie, je présume, que nous, les États-Unis d’Amérique, ne préparons rien de la sorte. Et je présume qu’il n’y a sur Terre personne d’assez fou pour vouloir désintégrer des vaisseaux qui se trouvent occuper des emplacements en plein centre de grandes métropoles. Mais comme vous le dites, cela n’exclut pas d’autres types d’action militaire. Je ne vois personne dans cette salle qui représente la Russie, l’Angleterre ou la France, pour ne nommer que trois des pays où ont atterri des vaisseaux spatiaux et qu’on peut considérer comme de grandes puissances militaires. Essayons-nous actuellement de coordonner notre réaction avec des pays comme ceux-là ? »

Buckley se tourna vers la Vice-présidente. « Nous nous y employons, docteur Leonards, dit-elle, et nous allons continuer à travailler en ce sens vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je vous en donne ma parole.

— Bien. Parce que M. Buckley a dit que tous les moyens imaginables avaient été utilisés pour tenter de communiquer avec les extraterrestres, mais il a également dit que nous avions au moins envisagé d’en faire les cibles de notre arsenal. Puis-je vous faire remarquer que tirer brusquement un coup de canon sur quelqu’un est aussi une forme de communication ? Laquelle, je crois, aurait sans doute pour résultat d’ouvrir le dialogue avec les extraterrestres, mais ce ne serait probablement pas une conversation que nous aurions plaisir à avoir. Et il faudrait le dire aux Russes, aux Français et à tous les autres, s’ils ne sont pas déjà arrivés à la même conclusion tout seuls.

— Vous suggérez que, si nous attaquions, nous rencontrerions une force invincible ? » demanda le secrétaire d’État à la Défense Gallagher, à qui l’idée semblait déplaire. « Vous dites en fait que nous sommes pratiquement démunis devant eux ?

— Ça, nous ne le savons pas, répliqua Leonards. C’est très possible. Mais ce n’est pas le genre d’hypothèse que nous avons besoin de tester à la minute même en faisant quelque chose de stupide. »

Au moins sept personnes parlèrent en même temps. Mais Peter Carlyle-Macavoy déclara, de cette sorte de voix tranquille et fendillée sur les bords qui tranche dans n’importe quel brouhaha : « Je crois que nous pouvons sans risque supposer que nous serions complètement dépassés dans tout affrontement militaire avec eux. Attaquer ces vaisseaux serait la chose la plus suicidaire que nous puissions faire. »

Le Colonel, témoin silencieux de cet échange, opina du chef. Mais les chefs d’État-major et de nombreux autres participants recommencèrent à s’agiter sur leur siège et à manifester bruyamment leur opposition avant même que l’astronome soit arrivé au milieu de sa déclaration.

Le secrétaire d’État à l’armée de terre fut le premier à exprimer ses objections. « Vous prenez la même position pessimiste que le Dr Leonards, n’est-ce pas ? Vous nous annoncez en substance que nous sommes déjà vaincus sans avoir tiré un seul coup de feu, c’est ça ? » II fut immédiatement suivi d’une demi-douzaine d’intervenants qui exprimèrent plus ou moins le même point de vue.

« En substance, oui, telle est la situation, répliqua Carlyle-Macavoy. Si nous essayons de nous battre, je suis persuadé que nous susciterons une manifestation de puissance invincible. »

Ce qui déclencha un tumulte encore plus violent que le précédent, seulement interrompu lorsque Buckley frappa énergiquement dans ses mains.

« Messieurs, je vous en prie. Je vous en prie. » Et le calme de revenir dans la salle.

« Colonel Carmichael, reprit Buckley, je vous ai vu hocher la tête tout à l’heure. En tant que spécialiste des interactions avec les cultures étrangères, que pensez-vous de la situation ?

— Je pense que nous sommes complètement dans le noir à l’heure qu’il est et que nous aurions bigrement intérêt à ne rien tenter avant de savoir où nous en sommes. Nous ne savons même pas s’il s’agit d’une invasion. Il se peut que ce ne soit qu’une visite amicale. C’est peut-être un groupe d’inoffensifs touristes qui font une croisière dans la galaxie. Cela dit, s’il s’agit effectivement d’une invasion, elle est entreprise par une civilisation bien supérieure à la nôtre, et il y a toutes les chances que nous soyons aussi désemparés en face d’elle que le prétend le Dr Carlyle-Macavoy. » Les ténors de la défense, de la marine, de l’armée de terre et de deux ou trois autres factions étaient déjà debout et agitaient les bras pour attirer son attention. Mais le Colonel n’en avait pas terminé.