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« Nous ne savons rien de ces êtres, poursuivit-il avec une grande fermeté. Rien du tout. Nous ne savons même pas comment procéder pour apprendre quoi que ce soit à leur sujet. Comprennent-ils au moins une de nos langues ? Qui peut le dire ? Une chose est sûre : nous ne comprenons aucune de leurs langues. Parmi les nombreuses questions que nous nous posons au sujet de cette collection d’Entités, il y a celle-ci, par exemple : quelle est l’espèce dominante ? Nous soupçonnons que ce sont les calmars géants, mais comment en avoir la certitude ? Pour autant que nous sachions, les divers types que nous avons vus jusqu’ici ne sont que des drones, et les véritables maîtres se trouvent encore dans l’espace à bord d’un vaisseau principal qu’ils ont rendu invisible et indétectable, en attendant que les races inférieures aient terminé les phases initiales de la conquête. »

L’idée était plutôt démente, venant d’un vieux colonel en retraite qui soignait ses noyers. Lloyd Buckley en était soufflé. Les scientifiques aussi, Carlyle-Macavoy, Kaufman et Elias. Et le Colonel lui-même n’en revenait pas.

« J’ai encore une hypothèse, insista-t-il, sur le fait qu’il n’aient jusqu’ici pas tenté de communiquer avec nous, et la manière dont cela reflète leur impression de supériorité sur nous. Je m’exprime maintenant en tant que professeur de psychologie plutôt qu’en tant qu’ancien militaire, et je voudrais souligner que leur refus de nous parler est peut-être moins une conséquence de leur ignorance qu’une façon de manifester cette écrasante supériorité. Je veux dire, comment pourraient-il ne pas avoir appris nos langues, s’ils l’avaient voulu ? Quand on considère toutes les autres capacités qu’ils possèdent visiblement. Des espèces qui pratiquent le voyage interstellaire ne devraient pas avoir de grandes difficultés à décoder des langages simples comme les langues indo-européennes. Mais si ces créatures cherchent un moyen de nous montrer que nous sommes à leurs yeux totalement insignifiants, ne pas daigner nous dire bonjour dans notre propre langue est une assez bonne manière d’y parvenir. Je pourrais vous citer des tas de précédents pour ce genre d’attitude dans l’histoire japonaise ou chinoise.

— Pouvons-nous avoir votre opinion là-dessus, si vous le voulez bien ? demanda Buckley à Carlyle-Macavoy.

— Ce que le Colonel a proposé est une idée intéressante, même s’il est clair que je n’ai aucun moyen de dire si elle recouvre la moindre réalité. Mais permettez-moi de vous rappeler ceci : ces extraterrestres sont apparus dans notre ciel sans manifester la moindre activité radio ni la moindre preuve visuelle de leur approche. Et je ne parle même pas des divers groupes Starguard qui guettent en permanence l’arrivée d’astéroïdes intempestifs. Restons-en au plan des ondes radio. Vous avez entendu parler du projet SETI – Search for Extraterrestrial Intelligence – qui se poursuit sous cette appellation, entre autres, depuis quarante ou cinquante ans ? Il s’agit de scruter le ciel à la recherche d’éventuels signaux radio émanant d’êtres intelligents quelque part dans la galaxie. Il se trouve que je collabore à une partie de ce projet. Vous pensez bien que nous avions des instruments en train de balayer l’ensemble du spectre électromagnétique à la recherche de signes de vie extraterrestre au moment précis où ces extraterrestres sont arrivés. Or nous n’avons absolument rien détecté avant qu’ils ne se manifestent sur les écrans radar des aéroports.

— Alors, vous pensez qu’il se peut vraiment qu’il y ait un vaisseau principal planqué quelque part en orbite, observa Steele.

— C’est parfaitement possible. Mais l’essentiel – et je crois que le colonel Carmichael sera d’accord avec moi – est que la seule certitude dont nous disposons actuellement, c’est que ces extraterrestres sont les représentants d’une civilisation considérablement plus évoluée que la nôtre et que nous aurions intérêt à faire gaffe à la manière dont nous allons réagir à leur arrivée ici.

— Vous n’arrêtez pas de nous seriner ça, maugréa le secrétaire d’État à l’Armée de terre, mais vous n’apportez aucune preuve qui…

— Écoutez, l’interrompit Peter Carlyle-Macavoy, soit ils se sont matérialisés carrément à partir de l’hyperespace quelque part à l’intérieur de l’orbite de la Lune, hypothèse dont je crois qu’elle va fort déplaire au Dr Kaufman et à certains autres d’entre vous au niveau de la physique théorique, soit ils ont utilisé une méthode quelconque pour se rendre invisibles à tous nos dispositifs de détection lorsqu’ils sont arrivés en douce chez nous. Mais qu’importé la manière dont ils ont réussi à échapper à notre vigilance lors de leur approche finale de la Terre, cela signifie en tout cas que nous avons affaire à des êtres qui possèdent une technologie bien supérieure à la nôtre. Il est raisonnable de croire qu’ils n’auraient aucun mal à soutenir toute la puissance de feu que nous pourrions déchaîner contre eux. Nos armes nucléaires les plus terrifiantes seraient pour eux comme des arcs et des flèches. Et ils risqueraient, si on les agace suffisamment, de riposter à une attaque, même non nucléaire, d’une manière conçue pour nous apprendre à être moins insolents.

— Je suis totalement d’accord, dit Joshua Leonards.

— Ils nous sont peut-être supérieurs, lança une voix au fond de la salle, mais nous avons pour nous la supériorité numérique. Nous sommes toute une planète d’êtres humains sur leur propre terrain, et eux se réduisent à une quarantaine de vaisseaux…

— Nous leur sommes peut-être supérieurs, dit Carmichael, mais puis-je vous rappeler que les Aztèques étaient largement supérieurs en nombre aux Espagnols et eux aussi sur leur propre terrain… et qu’on parle espagnol au Mexique aujourd’hui ?

— Alors, vous pensez que c’est une invasion, colonel ? demanda le général Steele.

— Je vous l’ai déjà dit : je n’ai aucune certitude là-dessus. Ça ressemble certes à une invasion, mais le seul fait tangible dont nous disposons quant à ces, euh… Entités est qu’Elles sont là. Nous ne pouvons faire aucune supposition quant à leur comportement. Si nous avons enfin appris quelque chose de notre malheureux enlisement au Viêt-nam, c’est qu’il y a des tas de peuples sur cette planète dont l’esprit ne fonctionne pas nécessairement comme le nôtre, qui obéissent à un ensemble d’à priori totalement différents des nôtres ; il n’empêche que ce sont tous des êtres humains qui possèdent le même câblage mental que nous. Les Entités n’ont rien d’humain, ni de près, ni de loin, et à l’heure qu’il est, leur façon de penser échappe totalement à mon expertise. Jusqu’à ce que nous sachions comment communiquer avec Elles – ou, vice versa, jusqu’à ce qu’Elles aient daigné communiquer avec nous – nous devons simplement tenir bon et…

— Peut-être qu’Elles ont bel et bien communiqué avec nous, si ce qu’on m’a dit à bord de l’astronef était vrai », intervint soudain, d’une voix ténue et rêveuse mais parfaitement audible, la femme qui avait été prise en otage au centre commercial. « Du moins avec l’un de nous. Une femme. Et Elles lui ont raconté des tas de choses sur Elles. Donc, c’est déjà arrivé. Si on peut croire ce qu’elle a dit, bien sûr. »

Nouveau brouhaha. Exclamations de surprise, voire de saisissement, et quelques sourdes remontrances exaspérées. Certains de ces grands seigneurs et suzerains n’appréciaient manifestement pas de se retrouver dans un film de science-fiction.