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Lloyd Buckley demanda à la femme brune de se lever et de se présenter. Le Colonel s’inclina courtoisement et lui céda la place. Elle se leva en chancelant un peu et dit, d’une voix haletante et monocorde, les yeux dans le vague : « Je m’appelle Margaret Gabrielson et j’habite Wilbur Avenue à Northridge, Californie. Hier matin j’allais voir ma sœur qui habite à Thousand Oaks lorsque je me suis arrêtée pour prendre de l’essence à une station Chevron dans un centre commercial de Porter Ranch. Là, j’ai été capturée par un des extraterrestres et emmenée à bord de leur vaisseau spatial, ce qui est la vérité, et rien que la vérité, que Dieu me soit témoin.

— Nous ne sommes pas un tribunal, mademoiselle Gabrielson, dit Buckley en toute bienveillance. Vous n’êtes pas en train de déposer. Dites-nous seulement ce qui vous est arrivé pendant que vous étiez à bord du vaisseau extraterrestre.

— Oui. Ce qui m’est arrivé quand j’étais à bord du vaisseau extraterrestre… »

Sur quoi elle resta silencieuse une dizaine de milliers d’années.

Était-elle paralysée par le fait de se trouver physiquement à l’intérieur du Pentagone, debout devant une assemblée presque exclusivement masculine de très importants personnages gouvernementaux et sommée de décrire les événements totalement improbables et même absurdes qu’elle avait vécus ? Etait-elle traumatisée et désorientée par ses bizarres expériences au milieu des Entités ou encore sous l’effet des sédatifs qu’on lui avait donnés ensuite ? Ou était-elle simplement la citoyenne américaine moyenne peu cultivée du début du vingt et unième siècle, qui, en trente ans d’existence, n’avait jamais acquis les aptitudes techniques requises pour s’exprimer en public avec des phrases structurées et enchaînées ?

Un peu de tout cela, estima le Colonel.

Que faire, sinon attendre patiemment qu’elle parle ?

Après ce silence qui parut interminable, elle déclara : « C’était comme s’il y avait des miroirs partout. L’intérieur du vaisseau, je veux dire. Du métal partout, et ça brillait de tous les côtés, et à l’intérieur, c’était immense, comme une sorte de stade avec des murs autour. »

C’était un début. Le Colonel, assis juste à côté d’elle, lui adressa un chaleureux sourire d’encouragement. Lloyd Buckley l’imita. Mlle Crawford aussi, la secrétaire d’Etat au masque de Cherokee. Carlyle-Macavoy, qui ne tolérait manifestement pas les imbéciles, la fusillait du regard avec un mépris à peine dissimulé.

« Vous savez, on était environ une vingtaine, vingt-cinq, peut-être, poursuivit-elle après une autre pause prolongée, lourde de terreur. Ils nous ont mis en deux groupes dans deux salles différentes. Avec moi, il y avait une petite fille, un vieux monsieur, un groupe de femmes à peu près de mon âge et trois hommes. L’un d’eux avait été blessé quand ils l’avaient attrapé… quelque chose comme une jambe cassée, je crois, et les deux autres hommes essayaient de le… réconforter, si vous voyez ce que je veux dire. C’était dans cette salle géante – aussi grande qu’une salle de cinéma, peut-être –, avec des fleurs bizarres, énormes, qui flottaient partout dans l’air, et nous, on était tous dans un coin. Et on avait la trouille. On s’imaginait qu’ils allaient nous… nous couper en morceaux, vous savez, pour voir comment on était à l’intérieur. Comme avec les animaux dans les laboratoires. Y en a un de nous qui a dit ça, et après on pouvait plus s’empêcher d’y penser. »

Elle essuya quelques larmes.

Nouveau silence interminable.

« Les extraterrestres, lui souffla doucement Buckley. Parlez-nous d’eux. »

Ils étaient grands, expliqua la femme. Enormes. Terrifiants. Mais ils ne se montraient que de temps en temps, toutes les une ou deux heures, peut-être, et jamais plus d’un à la fois, juste pour se rendre compte ; ils observaient les prisonniers un petit moment et repartaient. Chaque fois qu’un de ces monstres entrait dans la salle où ils étaient retenus, c’était, dit-elle, comme si on voyait se réaliser ses pires cauchemars. Elle avait la nausée chaque fois qu’elle voyait une de ces créatures. Elle aurait voulu se faire toute petite et pleurer. Elle donnait d’ailleurs l’impression de vouloir se faire toute petite et pleurer hic et nunc, devant la Vice-présidente, le chef de l’État-major interarmes et tous ces ministres.

« Vous avez signalé, lui rappela Buckley, qu’une des femmes de votre groupe a pour ainsi dire communiqué avec eux ?

— Oui. Oui. Il y avait cette femme, qui était, bon, un peu bizarre, je dois avouer… elle était de Los Angeles… environ quarante ans, il me semble, avec des cheveux noirs lustrés… et des tas de bijoux fantastiques sur elle, des anneaux aux oreilles grands comme des cerceaux, trois ou quatre colliers de perles, et puis… tout un tas de bagues ; et elle portait une de ces jupes longues évasées, multicolores, comme ma grand-mère dans les années soixante, et puis des sandales, des trucs et des machins. Cindy, elle s’appelait. »

Le Colonel s’étrangla.

C’était exactement ses cheveux, lui avait dit Anse, noirs, avec la frange. Et ses grosses boucles d’oreilles, les anneaux qu’elle porte tout le temps. Le Colonel ne l’avait pas cru. Il avait répondu que la police avait sûrement dû interdire l’accès du centre commercial. Qu’il était invraisemblable que la police ait laissé des badauds s’approcher du vaisseau extraterrestre. Mais non ; Anse avait raison. C’était bien Cindy qu’il avait vue dans la foule aux infos télévisés, hier matin de bonne heure, dans ce centre commercial ; ensuite, les extraterrestres l’avait capturée et emmenée à bord de ce vaisseau. Mike était-il au courant ? Où était Mike, d’ailleurs ?

Margaret Gabrielson avait repris la parole.

Cette Cindy, disait-elle, était la seule du groupe à ne pas avoir peur des extraterrestres. Lorsque l’un d’eux était entré dans la salle, elle s’était approchée de lui, l’avait salué comme une vieille connaissance et lui avait dit que lui et tous ceux de son espèce étaient bienvenus sur Terre, qu’elle était heureuse qu’ils soient là.

« Et les extraterrestres lui ont-ils répondu d’une manière ou d’une autre ? » demanda Buckley.

Margaret Gabrielson n’avait rien remarqué. Pendant que Cindy parlait à l’extraterrestre, l’autre restait là sans bouger à trois mètres au-dessus d’elle, à la regarder de haut comme on regarde un chat ou un chien, sans montrer la moindre réaction ni le moindre signe de compréhension. Mais quand l’extraterrestre avait quitté la salle, Cindy avait raconté à tout le monde qu’il lui avait parlé, mais mentalement, par télépathie, quoi.

« Et qu’est-ce qu’il lui a dit ? » demanda Buckley.

Silence. Hésitation.

« C’est comme si on lui arrachait les dents », siffla Carlyle-Macavoy entre les siennes.

C’est alors que la réponse jaillit d’un trait. « Que les extraterrestres voulaient nous informer qu’ils n’avaient aucune intention de faire du mal à notre planète, qu’ils étaient ici… en mission diplomatique, quoi, qu’ils faisaient partie d’une espèce de grande ONU des planètes et étaient venus pour nous inviter à en faire partie. Et puis qu’ils allaient rester quelques semaines seulement et qu’ensuite la plupart d’entre eux retourneraient sur leur planète d’origine, sauf quelques-uns qui resteraient ici comme ambassadeurs, quoi, pour nous enseigner une nouvelle et meilleure approche de la vie.

— Oh oh ! murmura Joshua Leonards. Rien de très rassurant. Les missionnaires ont toujours une nouvelle et meilleure approche de la vie à enseigner aux indigènes. Et on sait ce qui se passe ensuite.

— Ils ont dit aussi, poursuivit Margaret Gabrielson, qu’ils allaient emmener quelques habitants de la Terre sur leur propre planète pour leur montrer à quoi elle ressemble. Uniquement des volontaires. Et cette Cindy, eh bien… elle s’est portée volontaire. Quand ils nous ont fait sortir du vaisseau spatial quelques heures plus tard, il n’y a qu’elle qui soit restée.