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— Et ça avait l’air de lui plaire ? demanda Buckley.

— Elle était comme qui dirait en pleine extase. » Le Colonel tressaillit. D’accord, c’était bien Cindy. Pauvre Mike ! C’est qu’il l’adorait, Mike ! Mais elle l’avait en un clin d’œil délaissé pour des créatures monstrueuses descendues de quelque étoile lointaine. Pauvre, pauvre Mike.

« Vous affirmez, reprit Buckley, que vous avez entendu tout cela de la bouche de cette Cindy, et d’elle seule, n’est-ce pas ? À part elle, aucun de vous n’a eu aucune sorte de contact… euh, mental avec les extraterrestres ?

— Personne. Il n’y a que Cindy qui ait été en contact avec eux, ou qui ait dit l’avoir été. Toutes ces histoires d’ambassadeurs, d’intentions pacifiques, tout ça, ça venait d’elle. Mais ça ne pouvait pas être vrai. Elle était vraiment cinglée, cette bonne femme. Par exemple, elle disait : “L’arrivée des extraterrestres a été prédite dans ce bouquin que j’ai lu il y a des années et des années, et tout se passe exactement comme dans la prophétie.” Voilà ce qu’elle a dit alors que tout le monde sait que c’est impossible. Tout ça, c’était dans sa tête. Elle était folle, cette bonne femme. Folle. »

Oui, songea le Colonel. Folle. Et Margaret Gabrielson, enfin parvenue à son point de rupture, éclata en sanglots hystériques, commença à se recroqueviller et à se laisser choir sur le plancher. Le Colonel se leva d’un mouvement fluide et la rattrapa adroitement au moment où elle tombait ; il la redressa puis la tint contre sa poitrine, lui murmurant des paroles d’apaisement tandis qu’elle pleurait. Il se sentit très paternel. Cela lui rappela le moment où, sept ou huit ans plus tôt, la maladie d’Irène ayant été diagnostiquée, il avait été obligé d’apprendre à Rosalie que sa mère était atteinte d’un cancer inopérable ; il avait dû la tenir contre lui pendant ce qui lui avait semblé des heures jusqu’à ce qu’elle ait fini de pleurer.

« C’était affreux, affreux, affreux », disait Margaret Gabrielson, la voix étouffée, la tête toujours pressée contre les côtes du Colonel. « Ces horribles monstres nous tournaient autour, et nous, on savait pas ce qu’ils allaient nous faire… et cette folle avec ses histoires de dingue… elle était folle, oui, folle à lier…

— Bien, conclut Buckley. Voilà pour le premier compte rendu d’une communication – pour ainsi dire – avec les extraterrestres. » II avait l’air ahuri, voire un peu irrité par le caractère désordonné et inutile du témoignage de Margaret Gabrielson. Il s’attendait sans aucun doute à quelque chose de plus substantiel. Le Colonel, en revanche, avait l’impression d’en avoir plus que son compte.

Mais ce n’était pas fini.

Une sorte de carillon se fit entendre. Un aide de camp se leva d’un bond, appuya son implant de poignet contre une borne de données insérée dans le mur et prononça un ordre d’une syllabe. Des caractères lumineux apparurent sur un afficheur linéaire au-dessus de la borne et une feuille de papier sortit d’une fente juste en dessous. L’aide de camp l’apporta à Buckley, qui y jeta un coup d’œil puis toussa, tira sur sa lèvre inférieure, prit un air revêche et lâcha enfin : « Colonel Carmichael… Anson… tu as un frère qui s’appelle Myron ?

— Tout le monde l’appelle Mike, dit le Colonel. Mais oui, oui, c’est mon frère cadet.

— Un message à son sujet vient d’arriver de Californie et je dois te le transmettre. Une mauvaise nouvelle, j’en ai peur, Anson. »

Tout bien considéré, cette réunion n’avait pas donné grand-chose, songea le Colonel, abîmé dans la tristesse, remâchant la mort héroïque mais choquante et totalement inacceptable de son frère, tandis qu’il rentrait chez lui, seize heures plus tard, à bord du même luxueux appareil de l’armée de l’air qui l’avait emmené à Washington la veille. Imaginer Mike dans ses derniers moments, aux commandes de quelque petit avion minable, luttant frénétiquement, et en définitive vainement, contre les violentes turbulences au-dessus de l’infernal brasier qu’était l’incendie du comté de Ventura, lui était insupportable. Mais lorsqu’il reporta son attention sur les Entités, la crise et la réunion qui avait été convoquée pour en débattre, ce fut encore pire.

Cette réunion était une honte. Une effroyable perte de temps. Et une stupéfiante révélation de la vacuité et de la futilité des prétentions démesurées de l’humanité.

Buckley avait proposé de le laisser rentrer à son hôtel après la nouvelle de la mort de Mike. Mais non, non merci, à quoi bon ? On avait besoin de lui. Il resterait. Il assista donc sans bouger de son siège à l’intégralité de cette morne et inutile réunion. Tous ces ministres, généraux et amiraux bardés de décorations, et tous les autres aussi, toute cette foule de grands chefs hautains alignés en un solennel conclave pour ruminer interminablement la situation n’avaient servi à rien. La réunion s’était achevée sans qu’aucune information significative en sorte, hormis la confirmation des atterrissages, sans qu’aucune conclusion soit tirée et sans qu’aucune décision soit prise. À part attendre la suite des événements.

Tu parles.

La rassurante muraille bleue du ciel avait été percée ; de mystérieuses Entités extraterrestres avaient débarqué simultanément sur toute la Terre ; ces bizarres visiteurs étaient venus, ils avaient vu et se comportaient déjà, deux jours et demi plus tard, comme s’ils avaient vaincu. Et devant le fait accompli, aucun des meilleurs et des plus intelligents des hommes n’avait la moindre idée de la manière dont il fallait réagir.

Non que le Colonel lui-même se soit révélé très utile. Et c’était peut-être le pire dans toute cette affaire : qu’il soit aussi paumé que tous les autres, qu’il n’ait lui-même rien d’intéressant à proposer.

Mais qu’est-ce qu’on pouvait dire ?

On doit se battre, se battre et se battre encore jusqu’à ce que le dernier de ces vils envahisseurs soit éradiqué du sol sacré de la Terre.

Mais oui. Evidemment. Cela allait de soi. On se battrait sur les plages, on se battrait dans les champs et dans les rues, et cetera, et cetera. Sans jamais flancher ni faillir. On se battrait avec une confiance toujours plus grande, on se battrait jusqu’au bout. On ne se rendrait jamais.

Mais était-ce vraiment une invasion ?

Et si c’en était bien une, comment pouvait-on riposter, et qu’arriverait-il si on tentait le coup ?

Trois sièges devant lui, Leonards et Carlyle-Macavoy étaient engagés dans la même discussion que le Colonel avait avec luimême. Et apparemment, pour aboutir aux mêmes consternantes conclusions.

« Oh, colonel, comme je suis triste pour vous », dit Margaret Gabrielson en se matérialisant comme un spectre devant lui dans l’allée. Les précieux spécialistes rentraient tous ensemble en Californie : lui, elle, le crasseux et replet Leonards et le Rosbif aux longues jambes. « Ça ne vous ennuie pas que je m’assoie à côté de vous ? »

D’un geste vague et indifférent, il lui montra le siège inoccupé.

Elle s’installa à côté de lui et pivota pour lui adresser un sourire chaleureux, plein d’une sincère compassion. « Votre frère et vous étiez très proches, n’est-ce pas, colonel ? reprit-elle, le ramenant abruptement d’un abîme de désespoir à un autre. C’est affreux, n’est-ce pas ? Je sais à quel point ça doit vous bouleverser. La douleur est écrite sur votre visage. »

II l’avait réconfortée lors de la réunion à Washington, et c’était maintenant elle qui voulait le réconforter. Elle est bien intentionnée, songea-t-il. Soyons gentil avec elle.