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— Peggy.

— Quoi ?

— C’est mon petit nom. Peggy. Personne ne m’appelle Margaret, en fait.

— Ah bon. Je vois. Très bien. Peggy.

— Elle vous aimait, elle ?

— Cindy ? Je n’en sais rien. Elle était assez polie avec moi. Ce fossile qui était le frère de son mari. Elle devait me prendre pour un Martien et je le lui rendais bien. On ne se voyait pas beaucoup. C’était mieux comme ça, je crois. Au fond, chacun faisait comme si l’autre n’existait pas.

— Et pourtant, hier à la réunion, juste à la fin, vous avez demandé à ce général s’il y avait un moyen quelconque de la sauver, de la sortir du vaisseau des extraterrestres. »

Le Colonel sentit le rouge lui monter aux joues. Il aurait bien voulu qu’elle ne lui rappelle pas ce petit instant d’égarement. « C’était stupide de ma part, n’est-ce pas ? Mais j’avais plus ou moins l’impression que je lui devais ça, que je devais essayer de la tirer de là. Elle fait partie de la famille, après tout. Elle est en danger. Alors je pose la question. C’est la moindre des choses, non ?

— Mais elle s’est portée volontaire pour rester.

— Oui. C’est exact. D’autre part, Mike est mort et elle n’a plus de raison de revenir. Et puis, on n’a aucun moyen de la sortir de cet astronef, même si elle nous le demandait, ce qui n’est pas le cas. Mais c’est l’esprit traditionaliste qui parle, comprenez-vous, Peggy ? Le réflexe de l’homme vertueux. Ma belle-sœur est en danger, ou du moins en ai-je l’impression, alors je me tourne vers les autorités et je leur dis : “Croyez-vous qu’il y ait un moyen de…” »

II s’interrompit brusquement. Les lumières s’étaient éteintes dans l’avion.

Pas seulement les plafonniers, mais les petites lampes de lecture, les veilleuses auxiliaires au niveau du plancher dans l’allée centrale et tout le reste – tout ce qui, pour autant que le Colonel puisse s’en rendre compte, dépendait d’une manière ou d’une autre du mouvement des ondes électromagnétiques dans la partie visible du spectre. Ils étaient assis dans une obscurité absolue à l’intérieur d’un tube métallique hermétiquement scellé qui se déplaçait à plusieurs centaines de kilomètres à l’heure et à douze mille mètres au-dessus de la surface de la Terre.

« Une panne de courant ? demanda Peggy tout doucement.

— Mais des plus bizarres, si c’en est bien une », répondit le Colonel.

Dans le noir, provenant de l’avant de la cabine, une voix s’éleva. « Nous avons, euh… un petit problème, messieurs-dames. »

C’était le copilote. Malgré la jovialité appuyée de ses propos, il semblait ébranlé et le Colonel commença à l’être un peu lui aussi en l’écoutant décrire la situation. Tous les systèmes électriques de l’avion sans exception avaient rendu l’âme simultanément. Tous les instruments étaient tombés en panne, tous, y compris les dispositifs de navigation et ceux qui assuraient l’alimentation en carburant des réacteurs. L’appareil était totalement privé d’énergie motrice. Il venait pratiquement de se transformer en un planeur géant ; il volait désormais sur son erre, porté par la vitesse acquise et rien de plus.

Ils survolaient le sud du Nevada, expliqua le copilote. Là aussi, il y avait apparemment un petit problème électrique, car les lumières de l’agglomération de Las Vegas, visibles un instant plus tôt sur la gauche, ne l’étaient plus. Il faisait aussi noir à l’extérieur de l’avion qu’à l’intérieur. Mais il n’y avait aucun moyen de savoir ce qui se passait au dehors, car la radio était morte, évidemment, comme tous les autres instruments qui assuraient la liaison avec le sol. Y compris le contrôle du trafic aérien.

Par conséquent, nous sommes morts nous aussi, songea le Colonel, un peu surpris de sa propre sérénité ; car combien de temps un avion de cette taille pouvait-il continuer sans moteurs dans les régions supérieures de l’atmosphère avant de tomber en chute libre ? Et même si le pilote essayait de présenter l’appareil à l’atterrissage, comment pourrait-il le maîtriser avec tous ses composants hors service et une absence totale d’aides à la navigation, et où le poserait-il dans l’obscurité absolue générale ?

C’est alors que la lumière revint partout, révélant le copilote debout devant la porte du cockpit, pâle, frissonnant, les joues luisantes de larmes ; la voix du pilote se fit entendre dans les haut-parleurs, une bonne voix grave, pleine d’assurance, où perçait seulement un infime tremblement. « Je n’ai pas la moindre idée de ce qui vient de se passer, braves gens, mais je vais essayer d’atterrir en urgence au Naval Weapons Center avant que ça recommence. Bouclez vos ceintures et cramponnez-vous. »

II se posa impeccablement six minutes trente secondes avant que les lumières s’éteignent de nouveau.

Définitivement, cette fois.

2. DANS NEUF ANS D’ICI

C’était sans conteste la plus grande catastrophe de l’histoire humaine, car en un instant toute la capacité technologique du monde avait rétrogradé de trois siècles. Les Entités avaient en quelque sorte actionné un gigantesque interrupteur et tout arrêté, absolument tout, à un niveau fondamental.

En 1845, c’aurait été grave mais peut-être pas catastrophique, et c’aurait été encore moins grave en 1635 ou en 1425, et ça n’aurait certainement pas eu beaucoup d’importance en 1215. Mais dans la première décennie du vingt et unième siècle, c’était une stupéfiante calamité. Lorsque l’électricité s’était arrêtée, toute la civilisation moderne s’était arrêtée, et il n’y avait pas de systèmes de secours – pouvait-on sérieusement considérer les bougies et les moulins à vent comme des systèmes de secours ? – pour faire tout repartir. Ce n’était pas une simple panne d’électricité. C’était un gigantesque décalage à tous les niveaux. Ce n’était pas seulement une défaillance des gigantesques centrales qui produisaient le courant : tout ce qui était électrique refusait de fonctionner, tout, jusqu’aux torches à piles. Personne n’avait jamais élaboré de mesures à prendre si l’électricité disparaissait à l’échelle mondiale, et cela, d’une façon apparemment définitive.

Personne n’arrivait à comprendre comment les Entités avaient procédé, et c’était presque aussi effrayant que le résultat lui-même. Avaient-Elles changé le comportement des électrons ? Avaient-Elles bouleversé la structure matricielle de la matière terrestre de façon à ce que la conductivité ne soit plus une réalité ? Ou peut-être étaient-Elles parvenues à modifier la constante diélectrique elle-même ?

Mais qu’importaient les moyens utilisés, c’était arrivé. Les ondes électromagnétiques ne circulaient plus là où on pouvait les contrôler et les exploiter, et l’électricité comme force motrice était un concept périmé sur toute la surface de la Terre. Zap, zap, zap ! Toute la révolution électrique anéantie en un éclair, sans explication, l’intégralité de l’immense pyramide technologique qui s’était édifiée à partir du petit générateur à friction construit en 1650 par ce brave Otto von Guericke, de Magdebourg, de la bouteille de Leyde inventée par Petrus van Musschenbroek pour stocker l’énergie crée par la machine de Guericke, des piles au zinc-argent d’Alessandro Volta, des lampes à arc d’Humphrey Davis, des dynamos de Michael Faraday, de l’ouvre de Thomas Alva Edison et de tout le reste.