Выбрать главу

À cet instant précis, un atome de lumière blanc bleuâtre, froid et dur, fulgura dans le ciel à gauche de la lune. La lumière était si intense qu’elle semblait vibrer.

« Regardez ! réagit aussitôt Ronnie. L’étoile de Bethléem repasse en direct pour faire plaisir à son fidèle public. »

Mais Peggy n’apprécia pas la plaisanterie. Elle avait peur, en fait. Elle reprit son souffle avec un bref sifflement et se pressa contre les côtes de l’homme ; sans hésiter, il lui passa un bras autour de la taille et la tint contre lui.

Le point lumineux s’allongea pour devenir une rayure, une tache lumineuse en forme de comète qui traversa le firmament selon un axe sud-nord, trace blanche et floue qui disparut.

« Un vaisseau des Entités, commenta Ronnie. Les E.T. se payent une balade pour livrer leurs cadeaux de Noël deux jours à l’avance.

— Ne plaisantez pas à leur sujet.

— Je ne peux pas m’empêcher de plaisanter quand je pense aux Entités. Je deviendrais dingue s’il fallait que je les prenne au sérieux comme Elles le méritent.

— Je sais ce que vous voulez dire. Je n’arrive toujours pas à croire que tout cela est arrivé pour de bon. Ils sont tombés du ciel un beau jour, ces gros monstres répugnants, et hop ! ils ont pris possession de toute la planète. Ça semble impossible. C’est exactement le genre de chose qu’on trouve dans les bandes dessinées. Ou dans les mauvais rêves.

— J’ai cru comprendre, énonça Ronnie très prudemment, que vous avez été prisonnière dans un de leurs vaisseaux.

— Oui, mais pas très longtemps. Et ça, c’était vraiment comme un rêve. Tout le temps que j’étais là-bas, je me disais : “Ça ne m’arrive pas à moi, ça ne m’arrive pas à moi”. Mais si. C’était la chose la plus étrange que j’aurais jamais pu imaginer… J’ai rencontré quelqu’un de votre famille pendant que j’étais là-bas. Vous le saviez ?

— Oui. Cindy. La femme de mon oncle. Un peu excentrique sur les bords.

— C’est le moins qu’on puisse dire ! Quelle bizarre créature ! Elle est allée tout de suite au-devant des extraterrestres et leur a dit quelque chose du genre : “Salut, je m’appelle Cindy, bienvenue sur notre planète”. Comme si c’étaient des amis de longue date.

— C’est probablement l’impression qu’elle avait.

— J’ai trouvé qu’elle passait les bornes. En plus d’être cinglée.

— Moi, elle ne m’a jamais tellement intéressé. Non que je l’aie très bien connue ou que j’en aie eu envie. Mon père, lui, la détestait carrément. Alors l’invasion n’a pas été entièrement négative pour lui, hein ? Dans le même temps, il se débarrasse de sa belle-sœur Cindy et se réconcilie avec cette canaille de Ronnie, son fils maudit. »

Peggy réfléchit un moment. « Vous êtes vraiment une canaille, alors ?

— Absolument, fit-il avec un grand sourire. Jusqu’au trognon. Mais je n’y peux rien. Je suis comme ça, c’est comme les gens qui sont roux avec des taches de rousseur. »

Un deuxième point lumineux apparut, s’étira, traversa le ciel comme un bolide en direction du nord.

Elle frissonna, blottie contre lui. « Où vont-ils ? Qu’est-ce qu’ils font ?

— Personne ne le sait. Personne ne sait rien d’eux.

— J’ai horreur de les savoir ici. Je donnerais tout pour qu’ils rentrent chez eux.

— Moi aussi. »

Elle frissonnait toujours. Il pivota de quatre-vingt-dix degrés, se pencha jusqu’à que son visage soit en face du sien, ébaucha un baiser et, lorsqu’elle commença à le lui rendre, d’abord sans conviction, ensuite avec enthousiasme, il hésita un peu moins, puis plus du tout. Vraiment plus du tout.

C’était maintenant la veille de Noël ; ils avaient réveillonné comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, avec de la dinde à foison et tout le tralala de rigueur, et un nombre respectable de bouteilles de Napa Valley très correctes, tous cépages confondus, tirées de la cave du Colonel. C’est alors, au moment où, le visage illuminé, chacun glissait dans la torpeur consécutive à un bon repas, que le Colonel se leva et annonça : « Très bien. C’est l’heure de passer aux choses sérieuses, messieurs-dames. »

Anse, qui attendait ce moment depuis son arrivée au ranch mais n’avait pas, au bout de trente-six heures, réussi à glaner le moindre indice de ce qui allait se passer, se redressa sur son siège, tendu mais complètement dégrisé, même s’il s’était permis un ou deux verres de vin supplémentaires. Les autres semblaient moins attentifs. Carole, assise en face d’Anse, avait l’œil vitreux, l’air repu. Son beau-frère, Doug Gannett, plus débraillé et grossier que jamais, semblait dormir pour de bon. Rosalie sommeillait peut-être elle aussi. Helena, l’infortunée cousine d’Anse, semblait à plusieurs millions de kilomètres de là, comme d’habitude. Son frère Paul la surveillait attentivement, en protecteur attitré. Anse nota avec désapprobation que Ronnie, tout à fait éveillé mais encore plus écarlate que d’ordinaire avec tout le vin qu’il avait bu, se blottissait contre Peggy Gabrielson, qui ne semblait pas lui en tenir rigueur.

Se lançant dans le vif du sujet avec une précision et une facilité d’élocution qui laissaient entendre qu’il avait parfaitement répété son numéro, le Colonel déclara : « Vous savez tous, je pense, que je suis quelque peu sorti de mon état de retraité depuis le début de la crise déclenchée par l’invasion. Je suis actif dans les milieux proches du front de libération de la Californie du sud et reste en contact, dans la mesure du possible, avec des secteurs de l’ancien gouvernement national qui fonctionnent encore dans divers États de la Côte est. Les communications sont très problématiques, vous le savez. Mais des nouvelles me parviennent de temps en temps sur ce qui se passe là-bas. Par exemple, pour ne citer que l’information la plus spectaculaire : depuis cinq semaines, New York est une ville fermée, totalement coupée du monde.

— Fermée… coupée… du monde ? répéta Anse. Tu veux dire, une sorte d’interdiction de circulation ?

— Une interdiction tout ce qu’il y a de total. Le pont George Washington – celui qui franchit l’Hudson – a été coupé du côté de Manhattan. Les ponts à l’intérieur de la ville ont été également bloqués d’une manière ou d’une autre. Le métro est hors service. Les divers tunnels venant du New Jersey ont été obturés. Il y a des murs en travers des autoroutes à la limite nord de la ville. Et ainsi de suite. Les aéroports, évidemment, ne fonctionnent plus depuis pas mal de temps. Résultat : la ville est complètement coupée du reste du pays.

— Et les gens qui y habitent ? demanda Ronnie. La ville de New York n’est pas tellement adaptée à l’agriculture. Ils vont se nourrir de quoi maintenant ? Ils vont se manger entre eux ?

— Pour autant que je sache, dit le Colonel, pratiquement toute la population de New York vit à présent dans les États voisins. Les habitants ont eu trois jours de préavis pour évacuer la ville, et apparemment, la plupart sont partis. »

Anse siffla. « Foutredieu ! Les putains d’embouteillages !

— Exactement. Quelques centaines de milliers d’individus étaient physiquement incapables de partir ou n’ont tout simplement pas pris les Entités au sérieux ; ils sont encore à New York, où j’imagine qu’ils vont petit à petit mourir de faim. Les autres, sept millions d’individus sans abri du jour au lendemain, sont hébergés dans des camps de réfugiés dans le New Jersey ou le Connecticut, squattent tous les immeubles vides qu’ils peuvent trouver, vivent sous la tente ou se débrouillent comme ils peuvent. Vous voyez le tableau. » Le Colonel observa une pause pour laisser à ses auditeurs tout loisir de s’imaginer la chose ; ensuite, au cas où ils n’y seraient pas parvenus, il ajouta : « Le chaos et l’anarchie, c’est clair. Quasiment un retour instantané à la barbarie et à l’état sauvage. »